Suivre aussi Jean-Luc Lagarce sur :
21 extraits de pièces
Testez votre connaissance !
Vous identifiez les titres des 21 extraits vous êtes un hyper spécialiste de l'œuvre.
Vous identifiez une dizaine de titres, on peut dire que vous êtes un bon connaisseur de l'œuvre.
Vous identifiez cinq titres, donc vous connaissez l'œuvre de Jean-Luc Lagarce.
Vous identifiez moins de cinq titres, nous vous invitons à consulter ces pages plus en détails ou consulter l'article "Découvrir l'œuvre de Jean-Luc Lagarce" (en cours de rédaction)
1
Ce que je ne comprends pas‚ c’est pourquoi il est venu et pourquoi surtout il est reparti si vite. C’est anormal. On dit‚ je crois‚ que de nombreux individus louches rôdent dans la ville et mettent les incidents à profit. Il est vrai que la tentation est grande quand on est pauvre de voir les autres continuer à survivre. Mais‚ après tout‚ pourquoi ont-ils essayé de tout changer‚ alors que tout allait si bien.
2
Quelle horreur ! Est-ce que vous vous rendez compte ? Mon mari travaillait au Ministère... Il y passait ses journées‚ je le connaissais mal‚ je le voyais si peu souvent ! Mais c’était mon mari‚ je me souviens de son visage‚ à quelques détails près... Un jour‚ il disparut... Il disparut. Il ne revint pas de son travail‚ c’est ce que je veux dire... Voulez-vous insinuer que mon mari disparut dans un bac d’acide ? Dans une bassine‚ une cuvette d’acide ? (Elle rit violemment.) Dans une tasse à thé d’acide ?
3
« Mais‚ madame‚ répètent-ils
– sont courtois mais obstinés et n’entendent pas ne rien
entendre – oui‚ madame‚ l’histoire quelle est-elle ?
Parce que tout de même on ne saurait se nourrir ainsi‚
tout le temps‚
d’expédients divers‚
le tabouret‚ l’histoire du tabouret‚ ses multiples aventures‚
et la robe‚
et la porte du fond‚ et celle‚ plus fréquente encore‚
latérale‚ dans les cas difficiles‚ tout cela‚
nous l’avons compris‚ mais l’histoire‚
on ne saurait faire semblant‚ il y en a bien une‚ et quelle
est-elle ? Nous serions heureux de la connaître... »
Goguenards‚ ils attendent maintenant dans le silence et
ce trou obscur‚
là‚ devant moi.
4
Je dis mieux les choses ?... « Je ne suis pas certaine que je vous aurais attendu une année de plus... » C’est ce qu’elle me déclara aussitôt et elle éclata de rire... beau grand rire... nous en avons perdu l’habitude... Je crois que j’ai su immédiatement... Comme si elle avait dit là une chose trop importante‚ ou déraisonnable ou vulgaire‚ une phrase qu’on ne peut dire aussitôt...
5
Cette petite plaisanterie... Qu’est-ce que ce pouvait être d’autre ?... Cette petite plaisanterie était excellente‚ en effet‚ bien bonne‚ nous étions d’accord làdessus‚ propre à alimenter nos futures veillées au coin du feu‚ sujette à l’émerveillement de nos petitsenfants... Plusieurs centaines... milliers !... plusieurs milliers de kilomètres en terrain étranger‚ miné‚ pour en arriver là ! Il faut reconnaître que c’était une blague réussie !... Mais il ne pouvait s’agir que d’une erreur‚ une lamentable erreur comme il arrive parfois‚ exceptionnellement‚ qu’il s’en produise jusque dans les plus impénétrables recoins des administrations les plus huilées... Rien‚ presque rien‚ une broutille‚ plusieurs milliers de kilomètres ! Une de ces petites erreurs de mutation‚ simple et badine anicroche dans l’ordonnance méticuleuse d’un service... On ne va pas se laisser aller au désespoir pour si peu‚ c’est ce que nous nous sommes dit.
6
Oui‚ j’ai connu un homme‚ donc‚ et cet homme dont je
vous parle‚ malgré toutes les qualités que j’ai dites‚
physiques‚ morales – c’est souvent lié‚ non ? –‚ il ne
l’avait pas du tout‚ une absence totale‚ complète‚ pas
du tout‚ pas du tout le sens de la psychologie‚ rien‚
toujours à côté.
Les gens‚ il faut leur parler‚ les deviner‚ les séduire et
sourire‚ bien sûr‚ sourire‚ mais‚ par-dessus tout‚ avant
tout‚ il faut trouver leur faille‚ la sentir‚ la mettre à jour.
« L’achat‚ c’est la faille qu’on comble et... »
7
Les réunions de famille sont le meilleur creuset de nouvelles unions. C’est incroyable‚ le nombre‚ on ne saurait le croire et les chiffres pourtant le prouvent‚ c’est incroyable le nombre de mariages issus d’une Noce.
8
La fête est la même que celle des noces d’argent. Mais
avec une intimité plus grande‚ pour ménager les héros
du jour‚ car ils le sont‚ dont la vie est devenue fragile.
On prend garde à ne pas transformer ce jour de fête en
jour de deuil. Chacun leur a apporté son présent‚
jusqu’à l’arrière-petit-fils de deux mois‚ qui tient une
fleur‚ pour eux‚ entre ses petits doigts inconscients.
Le grand repas est suivi d’un bal ou d’une sauterie. Les
deux aïeuls l’ouvrent avec deux de leurs petits-enfants
s’ils peuvent. S’ils ne peuvent pas danser‚ ils regardent.
C’est bien.
La fête ne se prolonge jamais au-delà de minuit. Alors‚
laissés à eux-mêmes‚ abandonnés‚ car abandon‚ on ne
va pas se raconter d’histoire‚ les vieux époux tombent
dans les bras l’un de l’autre‚ et se promettent que‚ s’ils
recommençaient la vie‚ ils se choisiraient encore‚ des
choses comme cela qu’on dit et qu’on croit.
9
Oui‚ nous nous sommes enfuis‚ Madame Forster et
moi‚ oui‚ nous nous sommes enfuis !... Mais tout le
monde s’est enfui ! Ils couraient comme des lapins‚ je
les vois encore‚ je nous vois... Ceux qui osent ricaner
aujourd’hui... Et ce n’est rien de ricaner... qu’avonsnous
à en faire‚ Madame Forster et moi‚ des petits
ricanements des médiocres...? mais‚ ce n’est pas tout‚
ils se permettent de juger... Ceux qui osent ricaner‚
ceux-là aussi‚ ils couraient... Et ceux qui ne se sont pas
enfuis‚ où sont-ils ?... Parce que là aussi‚ il y a une belle
et vraie question... Où sont-ils ?... Qu’ils se lèvent et
qu’ils parlent !... Pas un‚ évidemment !... Ceux qui ne
se sont pas enfuis‚ c’est bien simple... il ne faut pas
avoir peur des mots...
« La fuite intelligente et subtile de Madame et Monsieur
Forster. »
Ceux qui ont eu la triste bêtise ou ceux qui n’ont pas eu
la riche idée... aujourd’hui : au plus profond de la fosse
commune‚ sous douze pieds de crétins de leur espèce !...
Monsieur Forster rit et Madame Forster ritégalement.
10
Vous imaginez cela ?... Sous les arbres de Santa Monica
(il devait bien y avoir des arbres)‚ de Santa Monica ou
de San Simeon‚ profitant de la lune et du bruit lent du
Pacifique... tard dans la nuit... presque le matin... il y
eut ce moment fragile où Hearst‚ c’est mon tour‚
maintenant‚ n’est-ce pas ?... Randolph Hearst‚ doucement...
Cet homme connu pour parler avec tant d’autorité...
doucement‚ comme un secret... Randolph Hearst
souhaita parler de la beauté‚ de son absence aussi‚ du
malheur d’être né laid‚ pareil à tant d’autres‚ sans
nuance ou sans intérêt... Et personne ne sait... Tu
imagines cela ?... et personne ne sait s’il plaisante‚ s’il
veut se moquer‚ s’il rit de lui-même‚ vraiment‚ ou s’il
parle de sa douleur... avec la plus grande dérision...
devant ces jeunes gens terribles de joliesse...
Tu comprends cela ?
11
Il faut des règles et des principes.
Je me lève alors que le type dort encore‚ il ronfle
comme ronflent les hommes mariés‚ ceux-là qui savent
que l’autre‚ la Brave Habituelle‚ a renoncé‚
je me lève et j’enfile mes bas de la veille sur le recoin
de la baignoire‚ c’est bien‚ l’heure où on quitte les
autres sans leur devoir rien.
Le matin‚ tôt‚ au buffet de l’autogare – il faut les voir‚
les timides en permission ! –
le matin‚ si tôt‚ insidieusement‚ cela pourrait commencer
à me faire du mal‚
ne plus me lâcher pendant tout le voyage du retour mais
je suis experte‚ devenue experte‚ j’ai une vraie belle
absence de sentiments‚ je me suis entraînée‚ je ricane
en moi-même et je m’évite les désagréments‚ la nostalgie‚
tout ça‚ les comptes et les bilans.
Je sais bien prendre garde.
12
Moi. J’habite avec un autre homme. Je vis avec lui.
Nous avons un enfant. Personne ici ne les connaît. Mon
mari n’a pas souhaité venir‚ il n’y a pas été convié.
Nous ne parlons jamais de cela‚ reparlons jamais de
cela‚ « toute cette histoire »‚ c’est le passé. C’est
comme ça que nous appelons les choses. J’ai un métier‚
nous avons une maison et une voiture‚ nous habitons
dans une banlieue résidentielle et il nous arrive de
partir en vacances.
L’idée de revenir là‚ cette soirée‚ un bal à nouveau (un
bateau‚ comme la dernière fois ?)‚ rencontrer les mêmes
gens‚ vous‚ cela m’était un peu égal. Je n’avais
aucune raison de fuir.
13
Ce que je voudrais dire‚ enfin‚ et surtout‚ car à moi
aussi‚ il tarde d’en finir‚ ce que je voudrais dire‚ c’est
que ma présence aujourd’hui‚ et notre participation au
choix de monsieur pour remplacer cet autre monsieur‚
ne sont pas le début d’une ombre de symbole‚ on
l’imaginera aisément.
Je suis venu aussi vous informer de la volonté du ministère
de s’engager dorénavant‚ et clairement – parce
que tout de même – et financièrement aussi‚ bien sûr‚
j’allais l’oublier‚ ce qui n’est pas tout‚ mais ce qui n’est
pas rien‚ je suis venu aussi affirmer (on ne dit plus ça‚
on dit « réaffirmer »‚ toujours‚ je ne me trompe pas ?)
je suis venu aussi affirmer les engagements de l’État
dans votre ville et dans l’action qui nous intéresse‚
nous réunit‚ aujourd’hui.
14
Mais de quoi est-ce que vous me parlez !
Malversations ?
De quoi est-ce que vous me parlez ? Vous croyez que
l’argent sort des malles à costumes et que nous pourrions
en plus de tous les frais‚ et de la nourriture‚ et des
affiches‚ et des programmes‚ et de la location des
salles‚ remplir parfaitement les paperasses et cotiser
avec sérieux ? Vous rigolez ? Ce n’est pas le Kristall-
Palast de Leipzig‚ ici‚ c’est une entreprise artisanale‚
un commerce de détail.
15
Tout ce temps où je n’étais plus rien‚ où je venais et où
je n’étais plus rien‚ cette vie silencieuse que j’avais
près de vous et qui ne comptait pas. Tout ce temps que
vivent à côté des autres‚ au milieu des autres‚ les gens
abandonnés.
J’étais abandonnée‚ sans que vous le sachiez‚ sans que
vous vous en souciiez jamais‚ trop inquiets‚ vous le
croyez‚ trop inquiets de vous soucier de ceux que vous
aimez.
Peu à peu‚ la folie me prit‚ elle était douce et sans haine.
Je marchais et je songeais avec douceur qu’on me
tenait le bras ou l’épaule‚
et je me contentais de ce bonheur inventé‚
et j’étais bien‚
et j’étais seule et je parlais et je répondais à des
promesses secrètes qu’on me faisait à l’oreille.
16
Et puis enfin‚ les choses allaient de plus en plus vite‚
tout se bousculait‚
nous étions très loin de ce que nous avions voulu vivre‚
très loin de ce qui devait être écrit.
Un jour‚ sans avoir terminé le livre
– peut-être même qu’il n’en avait pas écrit une ligne et
qu’il se contenta de nous raconter l’histoire –
un jour‚ il meurt dessus‚
emporté et noyé à la fois.
Ou encore‚ il le laisse‚
il s’en désintéresse‚
il raconte autre chose.
Il dit‚ comme une dernière pirouette‚ un dernier aveu‚
il dit que ce n’est pas cela qu’il avait prévu de dire‚
écrire.
17
Je ne sais pas si tu te souviens bien de cela... cette
faculté qu’il a et qu’il a toujours eue... aussi loin que je
me rappelle‚ je l’ai connu ainsi... cette faculté qu’il a de
s’endormir paisiblement et vite‚ alors que d’autres‚
lorsque l’heure est grave (et ne l’a-t-elle pas toujours
été‚ durant toutes ces années et aujourd’hui encore‚
« par exemple »‚ plus qu’à n’importe quel autre moment...)
alors que les autres... Ellen et moi... restons
bien éveillés‚ préoccupés ou agités par les événements
en cours‚ les décisions qui se préparent...
Une manière qu’il a de s’enfuir‚ je suppose‚ enfouir sa
tête dans les draps et ne plus bouger... attendre... n’estce
pas toujours ainsi qu’il a vécu ?... attendre que le
monde et les choses s’arrangent entre eux... nous
laisser nous défaire et le réveiller‚ « lorsque tout ira
mieux »‚ d’un petit tapotement amical sur l’épaule...
18
Et puis enfin... comme un dernier espoir... ou‚ comment dire ? comme une dernière boutade faite à moimême... j’entrepris de ne raconter... comme thème unique de l’histoire que les responsables attendaient de moi... « simplement‚ le plus simplement du monde »... toute la difficulté que j’avais à raconter quelque histoire que ce soit... quelque histoire qui ne soit pas la mienne... comme si cela devait suffire à contenter cette soif de récits dramatiques‚ glorieux et rondement menés...
19
Vous avez raison‚ il est temps déjà de préparer les valises et les malles. Nous plierons soigneusement nos robes en éponge‚ et des shorts et des chapeaux et des lunettes et des espadrilles peut-être‚ c’est encore la mode. Et aussi des paniers en osier avec des piqueniques‚ avec du riz‚ avec du thon‚ avec des cerises‚ et des fleurs de marguerites dans les cheveux...
20
Ne pleurez pas‚ c’est ridicule... C’était une plaisanterie « innocente »... et pure aussi. Ne pleurez pas ! J’ai horreur qu’on pleure ! Vous entendez ?... Ne vous comportez pas comme un enfant !... Si vous continuez à pleurer‚ cela va me rendre triste. J’ai horreur d’être triste ! C’est une des nombreuses choses que je me suis interdites... ou bien‚ alors‚ uniquement dans « les grandes circonstances ». Vous n’êtes pas une grande circonstance‚ il n’en est pas question ! Cessez de vous rendre intéressant !
21
La seconde femme de chambre n’existait que dans l’attente que celle qui la précédait disparaisse accidentellement... se fracasse la tête sur le marbre rose du grand escalier‚ ou parte avec un homme. En un mot comme en tant d’autres‚ la seconde femme de chambre pour sa part personnelle attendait son heure.
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.