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Tout mon amour

mise en scène Arnaud Meunier

: Entretien avec Laurent Mauvignier

Le projet initial était l’écriture d’un scénario avec le cinéaste Laurent Achard. Nous étions partis de l’idée d’une enfant disparue et d’une adolescente qui se présente à la famille des années plus tard, prétendant être la fille. Le projet n’a pas abouti car on ne trouvait pas la solution, tout tournait autour de la question : est-ce elle ou non ? Et au fond, il suffisait de faire un test ADN et tout était réglé, dans un sens ou dans l’autre... Mais cette histoire m’est restée en tête pendant trois ans, je n’arrivais pas à m’en détacher et j’ai voulu y revenir. En écrivant, en me mettant dans la disponibilité d’écouter les personnages me raconter qui ils étaient, ce qu’ils pouvaient dire ou pas, je me suis aperçu que la question de l’identité réelle ou usurpée de la jeune fille était un faux centre. Quels sont les enjeux, les non-dits, les obsessions qui rejaillissent tout autour, chez les membres de cette famille ? Comment les personnages ont-ils vécu avec, en eux, cette image de l’enfant disparue − à la fois ensemble et dans leur intimité profonde ? Ce sont ces histoires de la mère, du père, du fils que je devais saisir. L’idée qu’il s’agisse de la fille ou non devait aussi raconter comment ils pouvaient appréhender cette possibilité d’un retour après dix ans.


Le théâtre est la forme qui s’est imposée, sans doute parce qu’il permet davantage de métaphysique, d’éloignement du réalisme. Tous mes textes, mes romans, tournent autour de la question du  « passé qui ne passe pas  » et qui ressurgit au présent. Comment y faire face ? Dans Tout mon amour, il fait irruption dans le salon du grand-père. Cette maison est chargée du dernier souvenir, de la dernière image de la fillette. Elle est aussi l’endroit où le père continue de voir le grand-père, de l’entendre. Ici, le passé prend corps. L’idée de parasitage entre espace mental et réalité me plaît, c’est un procédé qui relève d’une évidence : les fantômes sont toujours actifs, ce ne sont pas des images effacées, en retrait. Ils sont dans nos têtes et avec nous. Que faire de cette mémoire, cet héritage ? Derrière le titre se pose la question de ce qu’est un amour total, absolu, c’est-à-dire potentiellement aliénant. Comment faire pour que, face à cet amour pour la fillette disparue, les autres ne soient pas vécus comme relatifs, comme des négociations ? Dans cette famille, les liens sont d’autant plus solides qu’ils sont forcément détériorés. Ils résistent depuis dix ans.


La famille est un terreau passionnant parce que c’est le lieu de la naissance du langage, de sa structuration et de toutes les contradictions qu’il peut porter. J’aimais l’idée de construire une tension, créer des conversations souterraines entre des éléments de mémoire, mettre en questionnement des choses liées au silence, au secret. La disparition d’un enfant est un sujet tellement fort qu’il faut laisser le travail se faire en soi, aller chercher ses propres fantômes, ses propres démons. En écrivant, un chemin se fait vers une finalité qu’on ignore mais qui finit par s’imposer – aussi surprenante qu’inéluctable."


  • Laurent Mauvignier - Propos recueillis par le TNS
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