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L'École des femmes

+ d'infos sur le texte de  Molière

: L’impuissance de la volonté (citation 2/2)

Pour enrichir le propos dramaturgique le dossier de presse inclus cette citation de Ramon Fernandez, Molière ou l’essence du génie comique

Voici sur la scène un homme et une femme affrontés. Le point essentiel ce n’est pas qu’Arnolphe pourrait être le père d’Agnès, c’est qu’il l’a élevée, ou du moins qu’il a pris avec elle des habitudes de père, et que ce n’est pas en père qu’il veut être aimé. Le point délicat, ce n’est pas l’acceptation par une jeune fille d’un mari plus âgé qu’elle, c’est la transformation, devant ses yeux, d’un homme- père en homme-mari, alors qu’elle ne parvient pas, elle, à changer ses habitudes ni son optique. (...) Elle peut aimer Arnolphe comme son père, elle ne pourrait pas le souffrir comme son époux, et le malheur veut qu’Arnolphe ait instinctivement recours à l’autorité paternelle lorsqu’il veut imposer le mari. La contradiction de ces deux manières d’être, le glissement de l’une sur l’autre, font le comique essentiel de L’École des femmes.


Bien loin d’être l’histoire d’un amant trop âgé, L’École des femmes est le drame d’un homme trop jeune pour son emploi.
Molière nous découvre, sous les théories et les gesticulations dérisoires de la volonté, le jeu aveugle des impulsions : ce qui meut les hommes, ce qui commande le mouvement d’une vie comme le mouvement d’une comédie. La force instinctive d’Arnolphe se retourne contre elle-même : c’est qu’elle prétend agir sur le nature d’une autre force sans tenir compte de la nature de celle-ci. Mauvaise mécanique. Arnolphe, pur instinct, devant Agnès devient pure volonté, c’est-à-dire pur néant. D’où sa tragédie et notre rire. L’instinct d’Agnès l’emporte parce qu’il demeure adéquat à lui-même. Rien ne porte dans les trémolos d’Arnolphe. (...) Quand, à la fin, Arnolphe s’abandonne et se traîne à genoux, quand le voilà nu devant Agnès, quelle misère, quelles distances entre ces deux êtres accrochés l’un à l’autre. L’impuissance à “se faire passer” dans un raisonnement ou dans un éclat, voilà une des “expériences” que nous révèle ce chef-d’œuvre.


Et aussi l’impuissance de la volonté. (...) Finies, les illusions de puissance, le romanesque créateur, la volonté édificatrice du bonheur. (...) Un homme se débat dans ce monde nouveau pour lui, nouveau pour un grand nombre de ses contemporains, nouveau peut-être pour Molière. (...)


Ainsi notre rire est-il taillé dans l’angoisse d’Arnolphe, et cette angoisse est toute humaine, toute dramatique. (...) Et pourtant il est comique, à cause de la contradiction entre sa volonté et ses aventures, à cause de son mépris pour la pensée commune, à cause qu’il va lui-même se loger dans la classe d’hommes qui excite ses sarcasmes. Molière ne réussira jamais mieux la rigoureuse superposition de deux consciences, la conscience comique du spectateur et la conscience dramatique, tragique de l’acteur. (...) La comédie et la tragédie se rejoignent, s’harmonisent, au bénéfice de la comédie, mais sans que la tragédie perde un pouce de ses droits sur l’expression du réel.


Ramon Fernandez, Molière ou l’essence du génie comique,1929 (réédition Grasset, 1979)

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