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L'École des femmes

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: Derrière les murs de L’École des femmes de Molière

par Stéphane Braunschweig, septembre 2018

  • Dans un petit couvent, loin de toute pratique
  • Je la fis élever selon ma politique,
  • C’est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait
  • Pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait.
  • Dieu merci, le succès a suivi mon attente.
  • Et, grande, je l’ai vue à ce point innocente
  • Que j’ai béni le Ciel d’avoir trouvé mon fait
  • Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
  • (Acte I, scène 1)

La peur des femmes transpire de l’œuvre de Molière. Jalousie maladive, possessivité débridée, hantise d’être trompé, désir de domination définitive : les personnages masculins, particulièrement ceux que leur auteur interprétait lui-même (Alceste, Orgon, Arnolphe...), sont des malades habités par cette peur, et qui oscillent entre le ridicule et la terreur qu’ils inspirent.


C’est aussi et peut-être plus fondamentalement une peur du désir. Peur de son propre désir aliénant, et peur de ce désir de l’autre qu’on ne peut jamais contrôler et qui constitue la vraie peur du cocuage.


Et précisément L’École des femmes est la comédie de Molière qui parle le plus du désir et du besoin de le garder sous contrôle. Arnolphe, célibataire invétéré toujours prêt à se rire des maris trompés et à fustiger leurs femmes, s’apprête pourtant à épouser la jeune Agnès. L’ayant recueillie enfant et fait élever à l’écart du monde depuis ses quatre ans, il pense l’avoir ainsi protégée des vices qu’il redoute, et que l’enfant a grandi sans perdre sa pureté ni son innocence.


Pour Arnolphe, la pierre de touche de l’éducation des femmes, c’est donc d’abord le maintien dans l’ignorance, et au premier chef celle des choses du sexe. Mais lorsqu’il comprend qu’Agnès a commencé d’éprouver du désir pour le jeune Horace, il entreprend de combattre ce désir – et de réaliser le sien – par une “éducation” beaucoup plus radicale et qui s’apparente aux pires intégrismes religieux :


  • Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
  • Du coté de la barbe est la toute-puissance.
  • Bien qu’on soit deux moitiés de la société,
  • Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité.
  • (Acte 3, scène 2)

C’est ainsi que Molière hyperbolise dans la folie totalitaire d’Arnolphe les soubassements ordinaires de la domination masculine et les angoisses qui la constituent. Et comme souvent chez lui, l’effroi se conjugue au rire. L’École des femmes distille un fort malaise et un trouble certain. L’amour d’Arnolphe pour Agnès et ses relents d’inceste évoquent la Lolita de Nabokov, tandis que le viol rôde comme dans la Viridiana de Buñuel. La situation d’enfermement, à la fois physique et dogmatique, et la cruauté qui en découle et qui va peu à peu se retourner contre Arnolphe ont l’intensité des cauchemars.


Même l’émancipation finale d’Agnès, fuguant avec Horace, prend la forme d’un périlleux passage à l’acte...


Énigmatique Agnès. Quelles armes pour affronter le désir des hommes et échapper au fantasme où Arnolphe voudrait l’enfermer ? On sait que la pièce fit scandale : mais peut-être moins pour les sous-entendus grivois qui affleurent sous les alexandrins que pour l’étonnante force de transgression que recèle cette supposée ingénue...

Stéphane Braunschweig

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