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Couverture de Rose mexicain

Rose mexicain

de Luis Ayhllón

Texte original : Rosa mexicano traduit par David Ferré


Rose mexicain : Onirique et trivial

par Laura Elias (Journal la Mousson d'été 2016)

Rose mexicain, le titre de la pièce de Luis Ayhllon, est évocateur. Il fait référence à l’origine de l’auteur, bien sûr, mais aussi à la symbolique de la rose, l’amour, la pureté... À la lecture de la pièce, le titre évoque aussi Flor et le monde éthéré qu’elle s’est construit. Rêvant du prince charmant, elle passe ses journées à attendre son acteur préféré sur le lieu de tournage de sa série, au lieu d’aller poser des CV, comme le lui rappelle sa mère, pas éthérée pour deux sous. Un poster de lui est af ché dans sa chambre « entre les peluches et le poster de Titanic ».
Flor est bien le produit de la culture de masse : elle regarde des séries analogues à notre chère Plus belle la vie, elle pleure devant Titanic, regarde les bêtises sur NRJ12, et tweete ses moindres faits et gestes.
À la manière d’une Bovary moderne, elle est bercée d’illusions et une fois qu’elle parvient en n à rencontrer son Rodolphe à elle, l’acteur Luis Vivanco, elle lui déballe tout son amour dans une tirade touchante mais alarmante sur la perdition d’une jeunesse qui ne sait plus distinguer vie intime et vie publique, qui pense que tout peut se dire sans complexe et qui ne ré échit pas aux dangers que représentent ces hommes de pouvoir sans scrupules.


Dès le début, la fraîcheur de Flor s’oppose, comme dans le titre, à la réalité sociale du Mexique. Drogue, corruption, pauvreté, c’est de cette réalité-là que Flor cherche à s’évader en rêvant. Mais peu à peu ciel et terre se renversent et c’est du fond de sa tombe que le rêve peut continuer. En effet, la construction de la pièce est, à ce titre, admirable : elle alterne les moments où l’on est propulsé dans l’univers du conte et les moments de retour à la réalité.
Au début, on s’imagine que le conte fait partie des élucubrations de la jeune adolescente qui a besoin de se raconter des histoires, histoires qui annoncent en prolepse la suite de la fable ou présentent des jeux d’échos frappants avec la réalité ; mais au fur et à mesure de la lecture, on se rend compte que le conte se fait depuis la mort. Flor, dans sa tombe, continue de rêver.
Elle rêve ou plutôt cauchemarde puisque l’univers qui est présenté fonctionne de la même manière que le monde réel : une suite de désillusions entre l’apparence et la réalité. Monsieur et Madame Renarde sont en fait des assassins, l’homme à la tête d’ours qui veut la reconduire chez elle la frappe et l’emmène dans une cabane graisseuse. En n, le prince charmant qu’elle rencontre après avoir embrassé un escargot, devient lui aussi un tortionnaire.


Ce texte raconte, de manière impitoyable, comment la réalité engendre le rêve et comment le rêve engendre le cauchemar. On ne peut s’empêcher de rêver, mais le rêve est conditionné par les médias, les rêves de l’adolescente sont fabriquées par la société dont elle tente de se défaire ; tout mène automatiquement au cauchemar. La critique des médias, de la téléréalité, de l’image fausse de la vie qu’ils donnent à une adolescence en mal de rêve est présente, mais la critique la plus forte dans ce texte reste celle de la corruption.
L’acteur dont Flor est fan, ce charlatan qui la tue dans une soirée où il était « défoncé un max », tente de corrompre le sergent pour ne pas entâcher sa carrière et il parvient à faire taire la mère avec une absurde « baraque à frites ». La mère elle-même, loin de déplorer la perte de sa lle, retrouve la sœur jumelle de Flor avec qui elle s’était brouillé pour que celle-ci vienne hanter l’acteur et qu’il lui donne plus d’argent. Ce monde sans rêve s’avère impitoyable. Même prier la Vierge est un acte intéressé. On veut racheter ses fautes pour se déculpabiliser.
On veut des miracles pour prouver l’existence des choses parce qu’on ne sait plus rêver, ni imaginer, ni croire. Un monde sans rêve, un monde où même le rêve est perverti, voilà le terrible constat que fait l’auteur à travers sa pièce. Tamara, la sœur de Flor trouve dans la vengeance le moyen de réaliser ses rêves, Flor est la victime sacri cielle nécessaire à l’accomplissement des rêves de sa jumelle :

  • « Alors, dans cette vie, la réelle, celle qui commence aujourd’hui, je veux m’assurer que tous mes rêves vont se réaliser et que je vais pas me retrouver comme l’autre en train de hurler toute seule dans le désert. »

Seule Flor continue de rêver depuis la tombe. De « hurler depuis la tombe ». Mais ce sont ces hurlements qui résonnent en nous. Postuler que le rêve existe dans la mort, après la mort, ce n’est pas seulement postuler la survivance de l’esprit au corps, c’est lui accorder en plus sa plus belle destination. Incroyablement poétiques, ces moments de rêve depuis l’au-delà constituent une vraie fascination. On assiste à une véritable descente aux Enfers, peuplées d’images effarantes et sublimes. Comme dans un immense travelling on suit pas à pas cette déambulation nocturne entre la ville et la forêt, jalonnée de créatures à double face. C’est une matière à rêver.
Merveilleux.


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