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Nkenguégi : Le discours de l'indignation

Extraits sélectionnés à l'occasion de la rédaction du dossier Pièce (dé)montée

Extrait 1. « L’art de la Serpillère »


De Lafuenté. – Notre plus grand métier c’est de passer l’éponge. On est vachement doués dans l’art de la serpillière. On travaille dans de la javel. Ça pourrait durer dix ans, mille ans, deux jours, quatre secondes, des années, on finit toujours par passer l’éponge. On va se couper à la machette et après on va passer l’éponge. On va foutre des générations entières au pilori puis on va passer l’éponge.
On va se mettre en rogne toute la nuit après on va passer l’éponge. Le pire c’est qu’on va se faire violer puis on nous apportera l’éponge, ou mieux on ira la chercher nous-mêmes sous l’évier de la salle de bain. “Chérie, je t’aime. Passe l’éponge.”
On va attraper sa nana et on va faire un gang bang en plein midi sur le pont du Djoué, on ferme le goudron avec des Rubalise, c’est très simple de corrompre la mairie et la police à la fois, et un de nous va filmer toute la partie, après on mettra le truc sur YouTube, ça va être un carton. Et quand on aura fini de tuer sexuellement la nana du pote et que les internautes se seront bien masturbés devant leurs écrans, vous savez quoi ? On va passer l’éponge, exactement comme après la pluie, et tout le monde va se la mettre bien derrière l’oreille, à commencer par le ministère de la Justice, parce que pour passer l’éponge y a pas mieux comme technicienne de surface. Et merci de me croire ou de ne pas me croire et de passer l’éponge à la fin.


Nkenguegi, IV, « Sur le pont de Djoué », Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2016.


Extrait 2. « Démos-cratos »


De Lafuenté. – Le peuple, oui, c’est ça, celui qui coupe la tête du président à la Bastille, il est où dans la mêlée ? Le roi, c’est ça ? C’est pas vrai ? Couper la tête ? C’est un putsch, alors ? Et qui va commander ? Les gens ? Non, mais attends, tu crois que les gens n’ont que ça à foutre, commander ? Putain ! Mais je rêve ! Et la démocratie alors, elle a fait quoi dans tout ça ? La convention de Genève et les Droits de... comment tu l’appelles déjà ? Il est très connu... L’homme ! Oui, c’est ça, l’homme. L’humain ? C’est quoi ça l’humain ? Ah ! Jamais entendu parler. Oui, c’est dommage, mais moi je ne parle que des gens que je connais. L’autre je le connais, l’homme. Mais pas l’autre, l’autre. Ça va ! Je connais mes voisins, c’est suffisant, ils sont insupportables. Alors c’est qui qui tue le patron ? C’est le patron ou le peuple, celui qui tue ou celui qui est tué par l’un des deux pour faire le sacrifice aux dieux grecs ?


Nkenguegi, V, « La diagonale perdue », Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2016.


Extrait 3. « Quand on est pauvre »


Antagona de Péregrinos. – Quand on est pauvre on accepte tout, je dis bien tout. On vend son âme, son château, sa terre, ses papiers, son sexe, le cœur de son mari, les études de ses enfants, son respect, son nom, sa nationalité, ses actions, on privatise son pays, l’avenir de ses moutons, tout. Quand on est pauvre on vend sa femme, sa forêt, ses rivières, le cerveau de sa mère, la bague de fiançailles de son arrière-grand-mère, son dieu et ses anges, son autorité, son droit d’aînesse, son orgueil, sa paix, sa personnalité, son diable, ses maîtresses, son royaume, sa médaille d’or aux Jeux Olympiques, son Molière, sa ceinture de champion, son titre. On vend tout ça. Quand on est pauvre rien ne résiste à rien, rien ne résiste à l’argent. Et tu apprends, et tu acceptes avec ta grande gueule, le comble de la misère. On vend son arme, sa prose, on vend sa merde, on vend son sperme, ses ovules, ses droits d’auteur, on vend le « je t’aime », on vend la haine, on vend la colère, on vend le merci, on vend le pardon, on vend la raison, on vend le retard, on vend la chance, on vend son art, on vend sa culture, on vend le rien, on vend le vent...


Nkenguegi, VII, « La mort est un immeuble », Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2016.



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