Le grand appartement désert. Le halo de la lune, la femme seule : Nalia, première nuit.

Tu vois bien Vlas
Il ne reste rien
Des couloirs vides et des grabats qui dégringolent du plafond
Des trous noirs à la place des fenêtres
Rien
Même les fichues balançoires
Regarde les fichues balançoires à travers les trous noirs
Vlas
On dirait des veuves sous la lune

Il y a un siècle je me souviens tu m’as poussée à pleines mains sur les fichues balançoires Vlas
Tu riais et tu me poussais et moi je m’envolais à travers les fenêtres du quartier
Jusqu’à ciel ouvert Vlas
La robe flottait au vent
Les jambes de sauterelle à l’air et la culotte rose je me souviens
Quelle importance je n’avais pas six ans Vlas
Je riais aussi ou je criais je ne sais plus sans doute les deux à la fois
Le cœur en fanfare Vlas à force je ne pouvais plus serrer les doigts
Je n’ai même pas eu peur tu sais
Seulement fermé les yeux pas pleuré
Juste un oiseau de plus au milieu des arbres
Une poupée jetée par la fenêtre au milieu du soleil
Me suis retrouvée le visage dans le sable Vlas plein la bouche et plein les yeux
Toi tu as couru en criant Nalia Nalia je t’entendais approcher tellement lointain
Comme dans un rêve Vlas tellement lointain
Du sable dans les oreilles aussi
Tu t’es approché et tu t’es accroupi et tu m’as relevée doucement
Une main chaude sous l’épaule tu m’as prise dans tes bras
Un peu de sang seulement au bout du compte rien d’autre qu’une égratignure
Un baiser de sable peut-être
Le vagin c’est plus tard qu’il se déchire je n’avais pas six ans
Tu m’as prise dans tes bras est-ce que tu te souviens de cela au moins Vlas

Bien sûr que tu ne te souviens pas
Les balançoires c’est ce qu’ils ont laissé pourrir en premier