Première scène

1 – Cabinet du médecin. Par un après-midi blafard.
La mère, le médecin, Dora.

LE MÉDECIN - Dora peut me comprendre.

LA MÈRE - Naturellement. LE MÉDECIN - Bonjour Dora.

DORA - Salut.

LE MÉDECIN - Tu te sens comment.

DORA - tire la langue au médecin.

LA MÈRE - Ça va, Dora.
Rentre-la.
Il ne va pas t’examiner.

LA MÈRE - La journée entière, Dora était apathique, puis au beau milieu de la nuit il lui est arrivée de pousser des cris suraigus de jeunes cochons.. Une fois, elle s’est enfermée, elle a verrouillé la porte de sa chambre, ce n’était pas tenable. Et quand les pompiers sont passés par le balcon avec une échelle, elle s’est calmée d’un coup et m’a suggéré de préparer du café à ces hommes parce qu’il faisait froid dehors et qu’on était encore en pleine nuit.

LE MÉDECIN - J’ai entendu cette histoire. L’humour de Dora lui vaut l’indulgence du quartier.

LA MÈRE - Nous avons tout essayé, inlassablement, toutes les hormones, tous les traitements, jusqu’à trouver ce qui lui convenait. Ça l’a calmée, calmée de plus en plus .

LE MÉDECIN - C’est très bien si Dora va mieux.

LA MÈRE - Je ne sais pas si elle va mieux. Bon elle ne crie plus, oui mais elle rit à peine, ne pleure jamais, mange ce qu’on lui tend. Depuis deux ans, elle n’a pas tenu une seule conversation cohérente, que répété des bouts de phrase piqués à droite, à gauche. De temps à autre elle fredonne une chanson, allez savoir d’où ça lui vient. Ne me comprenez pas mal. Ce n’est pas de l’ingratitude de ma part. Mais, parfois, je souhaite le retour de cette folie furieuse. Dora riant, d’un rire encore plus sonore que mon mari, plus profond. On croirait qu’à l’intérieur de ma fille tressaute un vieux marin ou un garçon d’abattoir.

LE MÉDECIN - Vous en avez parlé à mon prédécesseur.

LA MÈRE - Je n’osais pas. Il s’est donné pour elle un mal infini. Dora était sa passion. Il a tout essayé. Ecrit sur elle. Si nécessaire venant à la maison, même le dimanche, même la nuit. Il n’était jamais tombé sur une jeune fille comme elle. À première vue un enfant comme tous les autres. A côté de notre monde, à un millimètre près, mais un millimètre infranchissable. Cet homme aimait ma fille. Elle lui appartenait plus qu’à moi. Le cher homme est mort à présent et je reveux ma fille.

LE MÉDECIN - Je ne comprends pas.

LA MÈRE - Je veux que vous supprimiez les médicaments.

LE MÉDECIN - Votre fille dépend de ces médicaments.

LA MÈRE - La dernière fois que j’ai eu ma fille, elle était encore enfant. C’est presque une adulte à présent. J’ai vu comme son corps a changé. J’aimerais voir à l’intérieur comment ça a changé. Ce qui est derrière ce visage toujours le même.

LE MÉDECIN - Si je considère les antécédents.

LA MÈRE - Vous n’avez pas besoin de me les rappeler. Je connais bien l’histoire. Je la connais sur le bout des doigts Je veux faire un pas. J’ai du temps. Mon mari travaille beaucoup, je n’ai pas d’autre obligation que Dora. Je veux essayer ça, avec vous. Ou avec un autre médecin.

LE MÉDECIN - Tu penses quoi de l’idée de ta mère.

DORA - Sais pas.

LE MÉDECIN - Elle aimerait supprimer les médicaments.

DORA - Bof.

LE MÉDECIN - Ça ne te plaît pas.

DORA - Sais pas.

LE MÉDECIN - Ça te fait peur.

DORA - Sais pas.

LE MÉDECIN - Tu y es habituée.

DORA - Sais pas.

LE MÉDECIN - Tu comprends ce que c’est au juste des médicaments.

DORA - Sais pas.

LA MÈRE - Naturellement que tu sais, Dora.

DORA - Ah oui, oui, oui.

LE MÉDECIN - Alors.

DORA - Nous devrions demander à papa.

LA MÈRE - J’ai parlé avec lui.

LE MÉDECIN - Et ce qu’il en pense.

DORA - Oui, ce qu’il en pense.

LA MÈRE - Il est d’accord.

DORA - Bon, alors, qu’est-ce qu’on attend.