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Couverture de Et le ciel est par terre

Et le ciel est par terre

de Guillaume Poix


Et le ciel est par terre : Chercheur de langue

par Laura Elias (Journal la Mousson d'été 2016)

L’an dernier, l’auteur Guillaume Poix avait surpris les foules de l’amphithéâtre avec sa pièce écrite et mise en lecture par lui-même Waste. Avec cette pièce, on assistait à la naissance d’une langue totalement différente de la langue usuelle, une langue inventée, taillée sur mesure au sujet de la pièce : une décharge à ciel ouvert. La langue, souillée, salie, épousait avec nesse le monde décrit.


Dans cette nouvelle pièce, Et le ciel est par terre, la langue n’a rien d’une langue inventée, mais elle n’en a pas moins de mérite. Comme dans Waste, elle est exactement adaptée, mimétique du milieu qui l’engendre.
À ce titre, on peut dire que Guillaume Poix est un chercheur de langue, il travaille à se rapprocher au plus près de son sujet en trouvant la langue qui lui correspond le mieux. C’est en travaillant dans et avec la langue que son sujet se dessine. Dans Et le ciel est par terre, on est face à une oralité déroutante, c’est une langue qui s’entend dès la lecture, rien ne résiste tellement elle semble naturelle, comme extraite parfaitement de la réalité. Mais le diamant se taille et c’est là qu’apparaît toute la nesse de l’auteur-joaillier. En effet, cette langue apparaît si immédiate car l’écriture a réussi à saisir les souf es, les respirations, les rythmes qui la constituent. Chez Guillaume Poix, le retour à la ligne n’est pas un effet poético- lyrico je-ne-sais-quoi comme on en voit parfois, en se demandant vraiment si tous ces efforts typographiques sont nécessaires ; le retour à la ligne est une véritable manière d’épouser le rythme du débit de parole et cela rend ce texte profondément théâtral.
Il y a quelque chose qui appelle la scène immédiatement, on l’entend si fort que l’on ne peut pas simplement le lire, c’est une écriture qui doit se dire. Elle doit se dire parce qu’elle est travaillée de con its, con it entre périodes longues et souf e couplé. La langue halète puis se calme en profonde méditation, plus large. Elle s’épanche puis d’un coup se coupe et laisse place au silence. C’est dans ce rythme envolé puis troué que nous retrouvons peut-être la « part invisible », le morceau manquant qui appelle la scène comme le dit très bien Pascale Henry.
L’absence totale de ponctuation, parfois énervante, quand elle est gratuite, est ici complètement nécessaire. C’est cette absence de ponctuation qui donne à cette langue toutes ces respirations, rien ne l’entrave, elle avance sans frein. Irrémédiable. À la manière du drame familial qui se joue sous nos yeux et que cette langue rend admirablement dans les con ts qui la constituent essentiellement. À la manière d’un opéra où chaque personnage s’identifie à sa voix, ici chaque personnage s’identifie à sa langue.


La mère c’est le soliloque interminable, que les enfants n’arrivent plus à écouter. Sa langue à elle, c’est celle de l’appel, une plainte du désespoir comme un hurlement de chien errant lancé dans la nuit. Sa langue est corrosive, elle monte en èche puis d’un coup se calme et retourne dans un lamento touchant.
Elle ressemble aux mamans que l’on connaît, celles qui sont fatiguées du ménage, de la vaisselle, de leur quotidien éreintant dans cette tour HLM, seule avec leurs enfants. Ce sont les mamans qui se plaignent inlassablement, ruminant cette routine désespérante, implacable. Mais qui aussi, d’un coup, explosent et balancent tout à leurs enfants, jusqu’au regret de les avoir conçus. Les mamans qui peuvent être abominablement cruelles, sadiques, qui cherchent à culpabiliser leurs enfants. Puis d’un coup, ce sont elles que l’on a envie de plaindre tellement elles sont touchantes de tout ce malheur qui les accable. Comme si elles étaient conscientes, tout en cherchant à se faire aimer de leurs enfants, que ce sont les seules responsables de la haine qu’ils leur portent.
Dans le texte de Guillaume Poix, la mère est admirable d’humanité et de monstruosité. C’est un personnage taillé à même le réel, extirpé tel quel par les mots avisés de l’auteur. Une gure de tragédie moderne, la mère seule au foyer qui tente de tout gérer mais qui sait déjà que ce qu’elle a construit pour ces enfants est en train de s’effondrer.


À côté de cette mère, il y a les enfants. Chez eux, la langue est elliptique, coupée, violente, sèche. Elle est durcie de ressentiments à l’égard de cette mère, c’est une langue qui condamne, inlassablement.
À chaque phrase, à chaque mot, il y a un reproche latent. Les moments de détente existent, l’humour peut surgir, mais c’est toujours celui du désespoir, car le trait d’esprit qui fait rire les uns, blesse immanquablement les autres. On ironise, on jette des mots, on travaille à vif la chair de sa mère ou de ses frères et sœurs en cherchant malsainement à décocher le mot qui blesse. Toute démonstration d’amour est tout de suite recalée.
La langue, extrêmement violente, traduit l’aliénation de la cellule familiale avec son lot de non-dit, d’incommunicabilité, de silences qui veulent tout dire.


Cette peinture, très douloureuse, exacerbe le malaise propre à chaque famille. Mais là où l’auteur réussit encore une fois admirablement, c’est qu’il nous fait entrer dans la manière de parler spéci que d’une famille, elle peut nous faire penser à la nôtre, bien sûr, ou peut-être, mais ce que l’on sent à travers cette langue, c’est que cette famille ici présente a un passé, une histoire, que l’on ne partage pas. Le coin du rideau est levé, mais les mystères subsistent, comme si les secrets étaient encore bien gardés. Les chaises vides, au début une, puis deux, subsistent dans le salon malgré la disparition des êtres qui les occupaient auparavant et rien ne vient dire clairement ce qu’il s’est passé.


Et c’est en cela que cette pièce est une pièce de langue, parce que ce que l’on retient, ce sont ces langues qui se sont croisées, opposées, con ées, mais qui, malgré la parole débitée, en soliloque ou en dialogue à bâtons rompus, se sont désagrégées vainement comme la tour HLM qui explose. Désagrégée, à l’image de cette famille détruite, qui tente de survivre malgré ses morts.


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