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Anesthésie

de Agnieska Diaz Hernandez

Texte original : Anestesia traduit par Christilla Vasserot


Anesthésie : Larmes cubaines

par Olivier Goetz - Mousson été 2016

Ça se passe de nos jours, à Cuba, dans cette période de transition entre communisme et capitalisme, au cœur d’un paysage urbain, miséreux et splendide.


Une femme est assise sous un pont, muette, prostrée, indélogeable. Elle s’appelle Ana. C’est le centre immobile, l’œil du cyclone de la pièce de la jeune auteure cubaine Agnieska Hernández Díaz : Anesthésie.


Anesthésie », tout le monde sait ce que ça veut dire : Le « a » privatif supprime l’« esthésie » et, donc, la sensation. L’anesthésie est une pratique hospitalière qui permet d’opérer des patients sans douleur.
Ana est cancérologue dans un hôpital ; l’anesthésie, c’est aussi son rayon. Si vous êtes, comme tout le monde, un peu psychanalyste (la lecture du texte théâtral s’apparentant à une forme d’« écoute ottante »), il est tentant d’entendre « Anesthésie » comme « l’esthésie d’Ana » : la sensation, le ressenti d’Ana... Le théâtre étant le lieu des émotions et de la sensibilité, peut-être doit- on alors parler de la sensation d’anesthésie d’Ana.


Car, durant 14 scènes, Ana ne parle pas. Elle est un centre vide, l’œil du cyclone d’Anesthésie. Autour de son personnage silencieux et immobile, gravitent Pedro et deux strip-teaseuses plus ou moins interchangeables. Pedro, lui aussi médecin (il pratique la chirurgie esthétique), est le mari d’Ana. On ne sait pas le nom des strip-teaseuses, seulement qu’elles se prostituent et qu’une, au moins, est la maîtresse de Pedro. Il y a aussi une jeune femme, dont on mettra longtemps à comprendre qui elle est et le rôle qu’elle joue... Ce sont ces quatre personnages qui parlent pendant les quatorze premières scènes où Ana se tait.


La nuit dernière, la lle de Pedro et d’Ana s’est fait agresser à coups de bouteille cassée. Hospitalisée entre la vie et la mort, une greffe de reins pourrait seule la sauver.


Tandis que les strip-teaseuses se lamentent sur les dif cultés de leur existence professionnelle et sentimentale, Pedro, dont la vie dissolue et les pratiques érotiques sont exposées au grand jour fait son examen de conscience et son mea-culpa. Miné par la culpabilité, il nit par demander pardon à sa femme. De son côté, la jeune femme, après avoir tenté de convaincre Ana de rentrer chez elle, de retourner à sa vie bourgeoise dans sa maison confortable, reconnaît sa responsabilité dans ce qui est arrivée à la fille.


C’est alors qu’Ana rompt le silence. Comme un réservoir trop plein qui se débonde en n. On apprend qu’elle était venue ici pour se jeter du haut du pont mais qu’elle n’en a pas eu le courage. Alors, elle nous raconte sa vie. Son enfance dif cile. Son ascension sociale. Son mari, ses enfants... L’immense gâchis qui succède à la réussite. Elle raconte son malheur. L’opulence factice de son existence dans un pays où les inégalités de classes sont loin d’être abolies.


À ce long monologue d’Ana, le bavardage en roue-libre des autres personnages, englués dans leurs discours néo-capitalistes, n’apporte aucune réponse sensée. Un ultime sacri ce, celui de la jeune femme rongée par la culpabilité, pourrait peut-être sauver la lle, mais il s’accomplit dans une perspective désespérée. Cuba peut feindre la douleur mais elle a dépensé jusqu’à sa dernière larme.


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