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Les Femmes savantes

de Molière


Les Femmes savantes : Proposition de séances de travail avec les élèves

Extraits du dossier pédagogique proposé par la Comédie française à l'occasion de la mise en scène de Bruno Bayen (2010)


L'argumentation : Blaise Pascal


  • 1. Montrez comment l'imagination, dans cet extrait des Pensées de Pascal, passe d'« ennemie de la raison » à maîtresse de la raison.
  • 2. Quel lien Pascal opère-t-il entre l'imagination et l'amour propre ?


C’est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses. Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages ; et c'est parmi eux que l'imagination a le grand don de persuader les hommes. Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait sentir. Elle a ses fous et ses sages. Et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire, ils disputent avec hardiesse et confiance – les autres avec crainte et défiance – et cette gaieté de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de faveur auprès des juges de même nature. Elle ne peut rendre sages les fous mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison qui ne peut rendre ses amis que misérables, l'une les couvrant de gloire, l'autre de honte.


Blaise Pascal, Les Pensées, III, « Vanité »


Étude comparative : La Bruyère


  • 1. Comment La Bruyère articule le savoir à la sagesse ?
  • 2. Quel lien peut-on établir entre Molière et La Bruyère dans leur traitement des femmes savantes ?

Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne sont pas savantes ? Par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits leur a-t-on défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur conversation ou par leurs ouvrages ? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage de ne rien savoir, ou par la faiblesse de leur complexion, ou par la paresse de leur esprit ou par le soin de leur beauté, ou par une certaine légèreté qui les empêche de suivre une longue étude, ou par le talent et le génie qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main, ou par les distractions que donnent les détails d'un domestique, ou par un éloignement naturel des choses pénibles et sérieuses, ou par une curiosité toute différente de celle qui contente l'esprit, ou par un tout autre goût que celui d'exercer leur mémoire ? Mais à quelque cause que les hommes puissent devoir cette ignorance des femmes, ils sont heureux que les femmes qui les dominent d'ailleurs par tant d'endroits, aient sur eux cet avantage de moins.

On regarde une femme savante comme on fait une belle arme : elle est ciselée artistement, d'une polissure admirable et d'un travail fort recherché ; c'est une pièce de cabinet, que l'on montre aux curieux, qui n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse, non plus qu'un cheval de manège, quoique le mieux instruit du monde.

Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même sujet, je ne m'informe plus du sexe, j'admire ; et si vous me dites qu'une femme sage ne songe guère à être savante, ou qu'une femme savante n'est guère sage, vous avez déjà oublié ce que vous venez de lire, que les femmes ne sont détournées des sciences que par de certains défauts : concluez donc vous-même que moins elles auraient de ces défauts, plus elles seraient sages, et qu'ainsi une femme sage n'en serait que plus propre à devenir savante, ou qu'une femme savante, n'étant telle que parce qu'elle aurait pu vaincre beaucoup de défauts, n'en est que plus sage.

Les Caractères, III, 49


Lecture romantique des Femmes savantes :


Victor Hugo, Les Tables tournantes de Jersey, chapitre XXX


Chassé de France en août 1852 par le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo s'exile en Belgique puis à Jersey. C'est là qu'il découvre le spiritisme avec Delphine de Girardin, égérie de la génération romantique. Dans cet extrait, Molière prend la parole pour s’expliquer sur Les Femmes savantes.

  • 1. Comment Victor Hugo définit-il le combat entre l'âme et le corps dans Les Femmes savantes ?
  • 2. Quelle vision Victor Hugo donne-t-il du rapport de l'écrivain à ses personnages ? En quoi est-ce une représentation romantique de l'artiste ?

Critique, j'ai cherché dans mes Femmes savantes
Entre l'âme et le corps l'introuvable milieu.
Le corps veut que l'idée aille avec les servantes
Et faire à ce flambeau cuire le pot-au-feu.
L'esprit veut à son tour courber les sens rebelles
À la pensée, aux mots par l'homme estropiés.
Philaminte à la fin songe tant à ses ailes
Que Chrysale n'a plus de souliers à ses pieds.
Le corps veut que l'idée aime son haut-de-chausses
Et que, laissant dehors tout rêve ambitieux,
Elle aille à la cuisine y déguster les sauces,
Et fait remplir son verre à cette Hébé des cieux.

(Entre Victor Hugo.)
L'esprit injuste alors veut que la chair vassale
Souffre : voilà, dit-il, un corps original !
Que m'importe le vent dont grelotte Chrysale
Quand j'ouvre sur le ciel ta fenêtre, idéal ?

(Mme Victor Hugo remplace Guérin à la table.)
Je trouve que ce ventre est plaisant dans son rôle.
Pense donc, brute, au jour, à la lune, au ciel bleu.
Que m'importe les trous du pourpoint de ce drôle v Lorsque mon regard plonge aux abîmes de Dieu ?

(Exit Victor Hugo.)
Que m'importe appétit, que tu vives ou crèves !
Et ton immonde rôt mal cuit par Margoton ?
Et que sur l'oreiller où je fais mes beaux rêves
Grogne confusément ton bonnet de coton !
Que m'importe ta vie et ta santé, Chrysale !
Henriette, et tes sens qui ne sont pas l'amour !
Je nage dans l'azur et non pas dans l'eau sale. Je suis oiseau du ciel et non de basse-cour.
Vous êtes enrhumés, maigres, morts, beau désastre !
Faites, si vous voulez, appeler l'infirmier.
Moi, je plonge mon aile aux blonds cheveux de l'astre
Et laisse vos groins à leurs tas de fumier !


Écriture d’invention à partir de Molière Shakespeare.


La comédie et le rire de Stendhal, Éd. Le Divan

  • Écrivez à la manière de Stendhal une critique argumentée et personnelle des Femmes

savantes.

Ce qu’il y a de moins bon dans cette pièce, ce sont les caractères des trois femmes. Encore à proprement parler il n’y en a que deux. Bélise n’est que frottée de ce ridicule, celui qui appartient en propre est de croire tous les hommes amoureux d’elle.
La peinture de la femme impérieuse occupe la plus grande partie du rôle de Philaminte ; celle de Tartuffe jouant par orgueil l’amour platonique remplit aussi les deux tiers des vers que dit Armande.
Il n’y a de grandes scènes du caractère annoncé que celle de la Sutane, et celle du renvoi de Martine. Je suis étonné que cette seconde scène ne me fasse pas rire davantage.
La scène de raillerie intéresse l’esprit, la dispute donne ce genre de plaisir qui fait que vous ouvrez votre croisées pour voir deux chiens qui se pillent dans la rue. La pièce est supérieurement écrite. Trois ou quatre morceaux me semblent même parfaits, mais il me paraît aussi qu’elle est trop dénuée de plaisanteries.
Ce genre d’ornement aurait fait rire et donné plus de vivacité à la pièce. Son grand défaut, à mes yeux, est de manquer de cette vivacité dont le Barbier de Séville et le premier acte du Médecin malgré lui sont des modèles.
Le caractère le mieux peint est celui de l’homme faible. Ce qu’il y a de remarquable c’est que la peinture est complète et qu’elle est donnée au moyen d’un nombre de vers extrêmement petit. Je n’ai trouvé autant de concision dans aucun autre caractère de comédie.
Clitandre et Henriette sont froids. Le dénouement est vicieux, comme n’appartenant point au sujet. C’est un dénouement applicable à tous les mariages de convenances qui se font dans le monde. Trissotin se conduit comme feraient les deux tiers des hommes. Seulement il est ridicule comme ayant été obligé de jouer la passion.
Le sujet des Femmes savantes me semble raté, mais c’est le rat du grand maître.


Écriture d’invention :

  • Écrivez à la manière de Marcel Aymé le texte de présentation qui pourrait figurer dans le programme des Femmes savantes que vous auriez vu au théâtre.

Marcel Aymé, « Philaminthe avait raison », programme de la Comédie-Française du spectacle Les Femmes savantes mises en scène par Jean Meyer en 1956

Philaminthe avait raison

Les femmes savantes de notre temps sont chimistes, médecins, avocates, professeurs, architectes, astronomes et beaucoup d’entre elles « savent du grec » au moins autant que le triste Vadius. Sans parler de Minou, on ne compte plus celles qui sont capables d’écrire des vers à faire jaunir Trissotin. Le beau savoir, dont Chrysale aurait voulu interdire l’accès au sexe féminin, est pour elles un instrument de travail leur permettant de gagner leur vie et, en même temps, d’avoir du monde où s’écoule leur destin de femme, une vue moins simpliste que celle de la trop sage Henriette.

On imagine aisément que nos femmes savantes de 1956, en suivant sur la scène de la Comédie- Française celles de 1672, ne les voient pas du même œil qu’auraient eu leurs grands-mères et les distingués critiques littéraires d’il y a cinquante ans. Ce serait de leur part une noire ingratitude de ne pas considérer avec la plus admirative sympathie, une Philaminte et une Armande osant faire les premiers pas dans la voie d’une résolution qui n’a pas encore fini de s’accomplir. « Pauvres femmes, penseront-elles, qui ne pouvaient pas regarder le ciel dans la lunette et nourrir des ambitions littéraires sans déchaîner la verve d’un auteur comique ! Grâce à Dieu et un peu à elles, nous n’en sommes plus là. »

On rit et on rira toujours aux Femmes savantes, mais je ne crois pas que ce soit au bon de sens de Chrysale qu’aillent maintenant les applaudissements. Ce bonhomme Chrysale, qui survivra encore longtemps en chacun de nous, est devenu quelqu’un de vraiment inavouable, même à soi-même. Le bon sens, du moment où il a cette figure-là, est presque compromettant pour les spectateurs qui en sont épris.


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