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Le Sacrifice

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mise en scène Dada Masilo

: Entretien avec Dada Masilo

Propos recueillis par Moïra Dalant

Le Sacrifice est l’expression d’une rencontre entre la danse contemporaine et la danse rituelle du Botswana, la danse tswana.


Dada Masilo : J’ai toujours aimé mêler des danses de différentes cultures ; ces rencontres entre des cultures qui parfois s’opposent permettent de composer avec des dynamiques très différentes et surtout m’aident à éviter l’écueil de la signature chorégraphique. Je souhaite que mes pièces gardent une fraîcheur toujours renouvelée, et cela afin de déjouer les attentes d’un spectateur qui connaîtrait trop bien mon travail, afin qu’il ne sache pas à quoi s’attendre. Toujours renouveler l’effet de surprise esthétique. La pièce présentée au Festival d’Avignon est directement inspirée du Sacre du printemps. Je voulais explorer les notions de rituel, de communauté et de sacrifice qui habitent cette œuvre et sont toujours criantes d’actualité. La danse contemporaine rencontre ici la danse tswana qui appartient à mon héritage culturel ; je suis d’origine tswana. Ce type de travail est une manière d’interroger mes racines et de rentrer en contact avec mes ancêtres. C’est la première œuvre que je consacre à l’exploration de mon héritage culturel et personnel, que je connais finalement assez peu. En effet, j’ai grandi dans une culture principalement xhosa. J’ai appris le langage du Botswana, mais pas réellement la danse ni les racines de la culture. Après le ballet, le flamenco, le contemporain et la danse africaine, je me suis enfin penchée sur ces racines profondes. À Johannesbourg, la danse tswana fait partie de notre paysage quotidien ; si on se promène dans un centre commercial, on peut voir les jeunes danser, c’est fascinant. J’ai voulu explorer cela.


La danse tswana est une danse rituelle. Il y a donc de fait une première proximité avec l’œuvre d’Igor Stravinsky, Le Sacre du printemps.


L’idée de tribu, ou du moins de communauté, qui existe dans Le Sacre du printemps résonne avec le principe de collectif dans la danse rituelle tswana ; ce groupe qui se tourne vers les ancêtres pour faire une requête. Il y a un échange obligatoire : pour demander quelque chose aux ancêtres, il faut être capable de donner quelque chose en retour. J’ai intitulé mon travail Le Sacrifice parce que la pièce interroge le choix que nous devons faire collectivement de qui ou de ce qui sera sacrifié. Dans la culture africaine, les rituels impliquent souvent un sacrifice animal, ce qui en émerge sont les pleurs de l’animal. Lorsqu’une demande est faite aux ancêtres, quelle qu’elle soit – faire venir la pluie, guérir quelqu’un de la maladie – un sacrifice est demandé et ritualisé, le sang doit être versé pour les ancêtres ; suite à cela viennent la danse et les chants. Les rituels n’étaient pas considérés comme cruels à l’origine, mais il est vrai qu’il s’agit aussi de cela, d’une cruauté dans la mise à mort d’un animal. Les humains, quant à eux, subissaient parfois des pratiques de scarification lors de certains cultes, afin de faire couler du sang. Le Sacre du printemps, la musique de Stravinsky et la danse de Vaslav Nijinski racontent le renouvellement d’une communauté et le symbole de l’arrivée du printemps, un passage à ritualiser ; il faut alors sacrifier un être humain pour que vienne la saison nouvelle, le renouveau de la nature.


Que signifie cette idée du sacrifice pour vous, en tant qu’artiste et en tant que personne ? Et dans cette pièce en particulier ?


Ma réponse peut être aussi bien au niveau global que d’un point de vue personnel. Le Sacrifice raconte une certaine inhumanité de notre monde contemporain, de ses écueils individualistes et discriminants. Il n’y a aucun équilibre, aucune équité, actuellement. Nous vivons une époque du chacun pour soi, dans laquelle les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Il s’agit pour moi de raconter une purge, une manière de faire table rase afin de recommencer avec un terrain neutre et neuf. Il s’agit de trouver une certaine pureté, en retournant aux origines et en se regroupant pour recommencer autrement. Il s’agirait de réévaluer notre vision du changement climatique, de la pollution... Le Sacrifice questionne ces dynamiques et volontés collectives de changer le monde pour le meilleur et raconte les exactions spontanées qui sont l’expression de l’individualité impérieuse. Nous explorons les idées d’ensemble et de solitude et les rapports de force qui se mettent en place entre suiveurs et meneurs, sachant que les rôles peuvent parfois s’échanger. La politique en Afrique du Sud est particulièrement compliquée, il est très difficile de changer les habitudes en place et de faire bouger les situations qui se gangrènent. Corruption, déséquilibre des pouvoirs en place... L’humour vient contrebalancer les résonances dramatiques de la pièce, le rire est très présent dans Le Sacrifice. Il peut être nerveux mais il est toujours salvateur.


Pourriez-vous revenir à l’essence de l’œuvre : la musique ?


La discordance rythmique du Sacre du printemps m’a toujours fascinée et c’est une des raisons qui m’ont attirée. C’est pourquoi sur scène j’ai tenu à réunir dix danseurs et quatre musiciens. Nous avons travaillé en improvisation avec la danse afin de créer une musique librement inspirée de l’œuvre de Stravinsky. Il y a des éléments qui se jouent sur scène et d’autres qui ont été enregistrés. C’est la première fois que je travaille avec de la musique en direct, ce qui nous permet de garder un esprit ouvert sur des possibles improvisations. Le Sacrifice raconte une progression d’un état de pureté à une situation qui se dégrade, la musique accompagne la détérioration des rapports dans la communauté, le jeu avec les costumes de même. Nous commençons dans le blanc de la pureté, dans la lumière du printemps, pour finir, à l’instar des quatre saisons, dans une image plus décharnée, appauvrie, avant le prochain renouveau, évidemment.


  • Propos recueillis par Moïra Dalant
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