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Sans tambour

Samuel Achache ( Mise en scène ) , Florent Hubert ( Direction musicale ) , Robert Schumann ( Musique )


: Entretien avec Samuel Achache

Propos recueillis par Marie Lobrichon

La musique est au cœur de votre pratique de la mise en scène. Comment l’abordez-vous dans Sans tambour ?


Samuel Achache : Je me rends compte que le travail de la compagnie tend de plus en plus vers la composition. Nos premiers spectacles partaient d’une forme musicale narrative, à savoir l’opéra. Ensuite, nous avons pris pour thématique une question musicologique, puis nous nous sommes tournés vers l’invention d’histoires où la musique venait se substituer aux mots pour exprimer ce qu’ils ne pouvaient plus dire. Aujourd’hui, nous allons plus loin, en essayant de trouver des principes d’écriture musicale intrinsèquement liés à l’action théâtrale. L’une ne peut exister sans l’autre : la musique n’est pas là pour soutenir une action. Dans Sans tambour, nous nous sommes interrogés sur la manière de faire se déployer les lieder de Robert Schumann, pour leur faire raconter ce que nous y voyons quand nous les entendons. Que se passe-t-il si ces mélodies ne sont plus jouées par une voix et un piano, mais par tout un petit orchestre de fortune ? Ou juste par un violoncelle ? Comment partons-nous d’un motif pour le développer à notre manière ? C’est là qu’intervient notre travail de composition : il ne s’agit pas de réorchestrer, mais plutôt d’extraire des éléments cachés de la partition pour en faire le point de départ d’une nouvelle création. Le fait de réunir sur scène des acteurs, des chanteurs et des instrumentistes y contribue pour beaucoup. Chacun développe dans le processus de travail un rapport singulier à la musique, y compris les non-musiciens qui, peut-être précisément parce qu’ils n’ont pas la conscience de l’écriture musicale, peuvent nous permettre de trouver des formes que nous n’avions pas prévues.


Pourquoi le lied ? Pourquoi Robert Schumann et les poètes romantiques ?


Nous avions déjà travaillé sur ce répertoire, pour le spectacle La Chute de la maison, avec Jeanne Candel ; mais nous avions le sentiment que nous n’avions fait que l’effleurer. Ce qui est intéressant avec les lieder, c’est qu’ils fonctionnent comme des précipités, des unités complètement closes sur elles-mêmes avec un début, un milieu et une fin. En cela, ils représentent une notion importante pour les romantiques, celle de l’absolu, qu’ils considéraient ne pouvoir atteindre que par la petite forme, le morceau, le fragment. Les romantiques étaient bien plus conscients de ce qui se produisait autour d’eux que nous n’avons tendance à croire. Ils observaient le monde avec un petit décalage, d’où l’ironie permanente que l’on retrouve dans les lieder. Le poète a une distance ironique avec ce qu’il est en train de produire, il n’est pas dupe ! Et c’est dans cette forme d’humour que nous pouvons trouver des points d’accroche. Je trouve d’ailleurs toujours plus d’échos entre le romantisme et notre manière de créer, notamment à travers le motif du collage, du fragment, ou dans cette manière qu’ils ont de frotter une chose à son contraire pour faire apparaître une nouvelle idée. D’une certaine façon, ce sont les ancêtres des surréalistes !


Quelle est la dramaturgie que cette musique vous a amenés à composer ?


Nous abordons ces lieder comme des fragments d’une histoire passée, que nous découvririons seulement au moment de l’épilogue. Comme si dès le départ tout était fini, que nous étions face à un effondrement, une ruine sans espoir. Mais que se passe-t-il si nous considérons ces pièces non pas comme un aboutissement, mais comme un début ? Non comme une forme forclose, mais comme une ouverture active sur le monde ? Nous nous sommes interrogés sur les échos que cette musique pouvait trouver en nous, dans nos effondrements intimes – qu’il s’agisse d’une séparation, d’un deuil... Comment ces gouffres peuvent-il ouvrir vers d’autres espaces ? Dans Sans tambour, la fiction, la scène et la musique explorent cette même question, chacune dans son langage et évoluent toutes trois de la même manière. Sur scène, nous avons eu l’idée de créer une maison, que nous voyons peu à peu se démanteler sous nos yeux jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une ruine, un désert. Il en va de même pour la musique : nous la désossons jusqu’à ne plus en garder que la structure. Nous en arrivons ainsi à jouer les lieder sur un piano préparé, dont nous avons altéré le son en plaçant des objets dans ses cordes... c’est très étonnant ! Pour autant, cet effondrement n’est pas un anéantissement : au contraire, il ouvre des espaces imaginaires, fictionnels. Ce qui apparaît au début comme un désastre est en fait le début d’une ouverture à tout le champ des possibles.


Sans tambour est aussi une réflexion sur la mémoire. Comment se manifeste-t-elle dans le spectacle ?


Quand un espace ou une histoire n’existent plus, tout ce qu’il en reste c’est leur souvenir. Entrer dans l’espace imaginaire des personnages, cela signifie donc aussi entrer dans leur mémoire. Comment faire pour visiter ces engrammes, c’est-à-dire les traces laissées en nous par nos souvenirs, afin de réinventer de nouvelles histoires ? Que recomposons-nous à partir du souvenir que nous avons des choses ? Certains motifs nous constituent et sont inscrits en nous, quand bien même nous ne les avons pas forcément vécus. C’est ainsi que dans le spectacle, nous voyons tout à coup surgir les figures de Tristan et Iseut, une peinture romantique... ou encore, un lied. Car la musique permet précisément cela : rétablir un lien direct entre notre conscience et une image, vécue ou imaginaire. Comment, en tentant de se rappeler quelque chose, en venons-nous à recomposer un lied ? Les mélodies peuvent surgir d’une autre musique, d’un son plus concret, ou même d’une histoire ; puis les acteurs s’en emparent et les incorporent jusque dans leurs paroles, même si elles ne sont pas musicales. Il s’agit d’une musique si intime, elle touche si personnellement chaque individu qui l’écoute, que les imaginaires qu’elle évoque ne peuvent être que propres à chacun. Et pourtant, c’est toujours la même musique.


  • Propos recueillis par Marie Lobrichon
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