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mise en scène Pascal Rambert

: Entretien avec Pascal Rambert

Propos recueillis par Arielle Meyer MacLeod

Pascal Rambert écrit comme il respire, et comme il parle, par associations qui s’enchaînent et s’envolent, des images qui vont là puis ailleurs, un auteur et metteur en scène qui a son propre style, sa propre voix.


"Je n’ai aucune imagination, je suis vide dit-il, ma position c’est de me mettre dans cet état de totale réception. Je rentre dans chacun des acteurs pour lesquels j’écris. Je me mets sous influence. J’adore ça."


Il écrit avec une voix dans l’oreille, celle d’Yvette Théraulaz, une des actrices de STARs, qui "a une texture, une tessiture si singulière", dit-il encore, "que je l’ai captée tout de suite".


Je lui demande de décrire ce projet, STARs, il démarre tout de suite, au pas de course. Il faut le freiner, revenir en arrière, pour comprendre comment ce projet s’est construit, comment ces étoiles ont germé dans sa tête, comment peu à peu elles ont vu le jour, se sont rencontrées, comment il a choisi de mettre ensemble des histoires de vies et la trajectoire des étoiles dans le ciel. Les vies de six personnes travaillant en Suisse dans la société du service et la parole de Frédéric Plazy, qui, avant d’être un homme du théâtre, avant de devenir directeur de la Haute École de théâtre de Suisse romande, était astrophysicien.




Comment est né ce projet STARs ?


La Suisse est tout près de la France et pourtant lorsque j’y viens je suis en terre étrangère. J’aime ici le fond sonore, où y distingue plusieurs langues, de l’anglais, un français légèrement différent dans son accent, de l’italien, beaucoup d’espagnol d’Amérique du Sud. La Suisse et la France n’ont pas la même histoire, l’immigration, comme la société du service, y est très différente.


Alors quand Denis et Natacha m’ont proposé de faire un spectacle à la Comédie, je me suis dit "je vais faire ça", un spectacle qui parle de personnes appartenant à la société du service, ici, en Suisse.


Lorsque je dirigeais le théâtre de Gennevilliers à Paris, je croisais tous les jours les femmes de ménage qui étaient des femmes noires. J’arrivais au théâtre alors qu’elles étaient déjà en train de partir, elles avaient déjà nettoyé les bureaux, lavé les sols, vidé les corbeilles. J’ai commencé à parler avec elles. Et je me suis rendu compte que dans notre milieu artistique dit de gauche, personne ne leur adressait même un bonjour, les acteurs et les actrices les voyaient à peine.


Vous vous dites je vais faire un spectacle sur le monde du service et parallèlement vous découvrez que Frédéric Plazy connaît les étoiles. Comment faites-vous le lien entre les deux ?


Par analogie poétique, par association d’idées.


C’est une métaphore donc ?


Oui. Je commence par appeler la pièce STARs, je ne peux pas écrire tant que je n’ai pas le titre. Et tout à coup projeter des existences réelles dans la grande marche de l’univers, dans ce qui nous fait lever le nez et regarder les étoiles, et composer avec cette idée qu’il y a des étoiles de notre quotidien qui sont parfois tout aussi émouvantes à regarder, tout à coup cette association m’apparaît évidente. À ce moment-là je noue la gerbe et décide de mettre en place ce dialogue entre ces vies et l’astrophysique.


C’est ça le projet. Il se concentre sur ce noyau atomique.


Déployer un rapport poétique d’une marche commune, tisser la trajectoire de Gidia quittant le Honduras, de Samy quittant Gaza, de Marques quittant l’Angola ou Martha le Portugal, relier ces corps-là avec les étoiles. Des personnes heureuses d’être ici en Suisse, c’était important, car je ne voulais pas faire un spectacle comme on en voit beaucoup, de ceux qui cherchent à culpabiliser le spectateur.


Vous vouliez donc raconter les vies de gens qui viennent d’ailleurs...


Oui, c’est par rapport à la marche. Je passe ma vie à sillonner la planète, je vois beaucoup de situations différentes, j’entends beaucoup de récits et j’ai une inclinaison pour ceux qui sont partis d’un point et sont arrivés ailleurs. Ce n’est pas quelque chose que je connais, je suis un privilégié, je fais le métier que j’aime, je vais où je veux, je n’ai pas besoin de visa pour aller dans la plupart des pays.


Ce que je voudrais faire entendre, sans récrimination – d’abord je ne suis pas dans mon pays et je ne me le permettrais pas – ce que je voudrais faire entendre, c’est la parole de ces gens qui arrivent de loin et qui sont parfois considérés comme des gêneurs, des intrus. Ils racontent par exemple comment ils s’occupent des personnes âgées, comment ils les prennent dans les bras, les soulèvent, les retournent, ou leur parlent à l’occasion de la toilette mortuaire. On les écoute et tout à coup ces gêneurs prennent corps. Ces intrus deviennent familiers, ils sont nos proches.



Avant de choisir vos six étoiles, vous rencontrez une quarantaine de personnes et…


… et je parle avec eux. C’est important. Je l’ai fait avec toutes et tous. Je parle avec eux comme je le ferais avec des connaissances, quand on est au café et qu’on discute avec la personne d’à côté, simplement.
Il n’y a pas de vie inintéressante, que ce soit chez moi dans le 6ème arrondissement de Paris ou à l’autre bout de la planète, il n’est pas nécessaire que les vies soient tragiques, toutes les vies me vont.
En parlant avec eux je les observais, j’observais comment telle personne fonctionnerait avec telle autre – des rapports de corps, de visages, de trajectoires, des histoires communes et des histoires dissemblables, des rapports de tessitures vocales, des rapports d’optimisme et de pessimisme, de lumière et d’ombre, de rapidité et de lenteur, un écheveau très beau à composer.


Trouver un rythme en somme entre les corps et les êtres.


Oui, la rencontre est déjà de l’écriture. Même si je n’ai aucune idée en tête, parce que je n’ai jamais aucune idée en tête. Le travail de l’écriture pour moi est un travail sur le vide, mon travail quotidien consiste à me mettre dans une position de disponibilité absolue, comme une sorte d’aigle. Ce matin par exemple, je m’y suis mis à 9h après avoir fait du yoga, et je reprenais tous les textes et…


Vous allez trop vite ! Vous les rencontrez, les choisissez et ensuite ?


Ensuite je refais des entretiens avec les six personnes que j’ai choisies, en les filmant cette fois-ci. Une façon aussi de m’assurer que chacun et chacune, malgré le parcours difficile qui est le sien, parvient à délivrer son récit une seconde fois.


Évidemment je leur dis et leur répète que s’ils souhaitent retirer la moindre chose, ils le peuvent à chaque instant, rien ne sera retenu contre vous.


Puis tout a été transcrit, à la virgule près, et nous avons lu tous les entretiens, en entier – des heures et des heures d’entretiens – nous les avons lus ensemble et à haute voix. Je voulais que tout le monde ait tout entendu. Que ces mots-là soient autant à l’intérieur de leurs corps qu’ils sont à l’intérieur du mien. Les ponts ont commencé à se faire dans les esprits : tiens cette chose-là quelqu’un d’autre la déjà dite, cet aspect-là fait écho à un autre…


On fait le travail ensemble.


C’est très excitant et très différent de ce que je fais d’habitude. D’habitude j’écris une pièce en amont, j’arrive quelque part dans le monde, je travaille quelques semaines, je repars et vais en faire une autre ailleurs. Là, j’avais envie que ce soit autrement. Je voulais monter le texte en direct. Avec eux.


Lorsque vous choisissez vos six étoiles, vous les doublez chacune d’un acteur ou d’une actrice.


Oui je les prolonge, je leur fais des extensions comme on fait des extensions de cheveux, c’est vrai ce que je dis, ce sont des extensions de leur corps, de leur parole, des extensions de ces vies.


Concrètement comment est-ce que vous vous emparez de cette parole qui est la leur ? Est-ce qu’ils vont redire leurs propres mots ou un texte qui est le vôtre ?


J’ai comprimé en une vingtaine de minutes les 7 ou 8 heures d’entretien avec Frédéric Plazy et ce digest sur la marche des étoiles sera réparti entre tout le monde.


Quant aux vies qu’ils m’ont racontées, en les écoutant pendant la lecture qu’ils en font à haute voix, je les condense et souligne ce qui va supporter l’architecture que je suis en train de construire. Je monte en direct. Six vies, le digest de Frédéric, et puis les images, le son, la lumière, l’ensemble des signes, j’agence tout en direct. Je fais du montage. Comme au cinéma. En fait je suis en train de faire un film. J’ai devant moi toute la matière à la fois textuelle, langagière et filmique, et je me dis "tiens là Martha pourrait parler de sa vie", là je pourrais insérer une image filmée de son entretien et monter le tout avec Yvette qui se met à chanter derrière. Je vais très vite, j’adore bâtir très vite avec les corps parce que je sais ce que je veux, je sais comment les installer dans l’espace. Je permute les éléments jusqu’à ce que j’arrive à l’équilibre que je cherche, un équilibre que normalement je cherche chez moi tout seul en écrivant, en disposant dans ma tête les corps des acteurs et des actrices dans l’espace, les lumières, les sons. Ici je le fais en direct avec eux, c’est un pur bonheur.

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