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Promenade Obligatoire - Marche pour huit poppeurs

Anne Nguyen ( Chorégraphie )


: Note d'intention

« PROMENADE OBLIGATOIRE part d’un questionnement sur le sens de l’ensemble et de la synchronisation. A mes yeux, l’ensemble synchrone est l’une des formes les plus artificielles que l’on puisse donner à la danse. Il donne un aspect exceptionnel à l’évènement, et s’oppose au « hasard » et au « désordre » inhérents à l’improvisation dansée. Je préfère symboliser le fait d’être ensemble par l’écoute et par des contacts, depuis la mise en partage d’un espace-temps jusqu’à l’interaction directe entre les corps. Pourtant, l’ensemble synchrone existe dans la nature à certains niveaux d’observation. Si la physique quantique remet en question la possibilité-même de son existence, cette structure peut être observée à l’échelle humaine et moléculaire. Forme fascinante, elle est le passage obligé de certains états de matière, et est employée par des animaux lors de leurs déplacements. Sous ses apparences, la danse nous apparaît dans son caractère le plus ancestral.


Le titre PROMENADE OBLIGATOIRE est tiré du livre Nous autres d’Ievgueni Zamiatine, l’une des premières utopies négatives du XXème siècle, qui a inspiré Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley et 1984 de George Orwell. Dans l’univers de Zamiatine, écrivain, ingénieur naval et amateur de métaphores mathématiques, la vie de société est réglée au métronome, comme une chorégraphie perpétuelle : tous les « numéros » pratiquent les mêmes gestes aux mêmes minutes règlementaires, depuis le lever jusqu’au coucher. La promenade obligatoire fait partie de cette « Table des Heures ». C’est un moment de loisir et de détente pour l’ensemble des numéros, qui se plongent dans le bien-être de la marche en rang quatre par quatre. L’état de synchronisation apparaît ici comme un absolu presque religieux, comme une victoire de l’homme face à l’incertitude de la nature, comme une négation du changement et de la mort. L’enjeu de PROMENADE OBLIGATOIRE est de faire apparaître cet état de synchronisation au cours de la transformation d’une masse organique constituée par un groupe de danseurs.


Evanescents, les multiples états dans lesquels les danseurs sont plongés découlent les uns des autres, au sein d’un mouvement continu et cyclique parcouru d'infinies variations. Les formes exprimées, accumulées dans une « base de données » commune, symbole de l’inconscient collectif, se confrontent au processus de la mémoire et de l’oubli, au désir de créer et à l’instinct. A travers les différentes contraintes de forme qui se succèdent transparaissent des conceptions distinctes de la liberté. Affranchissement de l’homme par rapport à la nature, à travers des choix délibérés de formes artificielles évoquant la valeur de sa volonté. Affranchissement de l’individu au sein de la collectivité, par la séparation, l’opposition ou la différenciation. Liberté à l’état « sauvage », où l’instinct, rattaché à la mémoire collective, met le corps en résonance avec les formes les plus appropriées à sa survie (idée développée dans la théorie des champs morphiques[1]).


Sur une création musicale électronique contemporaine jouant sur la boucle, le battement de la mesure et la distorsion des sonorités, le spectacle est constitué de trois cycles de 21 minutes chacun. Les interprètes, particules chimiques en cours de réaction, composent une matière mouvante en renouvellement perpétuel, qui se déverse comme un flux dans un espace sous tension. Ils forment des ensembles « moléculaires » se transformant, s’associant et se désagrégeant au cours de leur progression vers l’avant. Paradoxalement, leurs mouvements ne sont pas « naturels » dans le sens de l’improvisation, mais chorégraphiés de manière précise, selon des partitions décrivant des opérations mathématiques et des réactions chimiques. Dans cet ordre du vivant en perpétuel remaniement, d’infinies variations de forme sont exprimées, en passant, inéluctablement, par l’unisson.


Marche de l'histoire, évolution organique, devenir de l'individu, PROMENADE OBLIGATOIRE est une mise en évidence de notre impuissance face à la marche du temps et à l’intelligence de la nature.
C’est aussi la danse « popping » que j’ai voulu mettre en avant par cette création, qui pour la première fois exploite exclusivement cette gestuelle. Les poppeurs, capables de traverser différents états de corps et de jouer sur la rupture, y sont amenés à exploiter toute la richesse de leur répertoire très spécifique. Celui-ci est dissocié par les contraintes de la chorégraphie, la recherche portant ensuite sur des éléments isolés. Le popping, danse ordinairement frontale, est ici exploité de profil. Les danseurs sont également amenés à entrer en contact : autant d’éléments chorégraphiques favorisant l’innovation technique. »

Notes

[1] Selon la théorie de Ruppert Sheldrake, les champs morphiques façonnent les différents types d'atomes, d'organismes vivants, de sociétés, ou même de coutumes, expliquant des phénomènes tels que les migrations animales ou la télépathie. Ces champs contiendraient une mémoire inhérente acquise par un processus de résonance avec l’inconscient collectif de chaque espèce.

Anne Nguyen

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