theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Pièce »

Pièce

François Gremaud ( Conception ) , Michèle Gürtner ( Conception ) , Tiphanie Bovay-Klameth ( Conception )


: Entretien avec le collectif Gremaud/Gurtner/Bovay

Propos recueillis par Mélanie Jouen, avril 2019

Qu’est-ce que donne à voir Pièce ?


Ce sont des gens dans une pièce qui représentent ou travaillent une pièce. Nous prenons pour postulat que lorsqu’une pièce se joue, toujours se joue une autre pièce entre les gens qui jouent la pièce. On ne raconte pas plus que ce qu’on vous raconte et on ne dira jamais ce qu’il faut voir ni ce qu’il faut entendre.


Après Vernissage, Chorale, Les Potiers dans lesquels vous mettiez en jeu des gens qui font quelque chose qu’ils aiment – des « amateurs » – et après Western dramedies, comédie musicale, Pièce semble cristalliser votre recherche sur les gens en communauté et en représentation. Quelle est votre visée ?


On a souvent montré des gens en train de faire quelque chose, le plus souvent dans des pratiques amateurs ou artisanales et dans un rapport à la représentation. Il y a une vraie volonté de notre part de donner à voir ce qui opère dans ces moments-là. On a cherché ici quelle autre communauté peut nous intriguer et nous émouvoir, jusqu’à ce qu’on ait l’idée de nous intéres- ser aux comédien.n.es qui aiment jouer du théâtre. On convoque l’amateur dans ce qui le définit : le fait d’aimer ce qu’il fait, qu’il en fasse son métier ou non.


Avec cette Pièce polysémique où vous jouez des gens qui jouent, souhaitez-vous multiplier les superpositions de calques qui vous intéressent tant, exacerber les mises en abyme ?


C’est vrai qu’il se trouve que Pièce se situe dans une pièce, un lieu, et que c’est aussi une pièce au sens plastique puisqu’on joue dans une scénographie qui est la reproduction exacte de la pièce dans laquelle on a répété, à l’Espace Mont-Blanc de Lausanne. Un lieu où des acteurs, professionnels ou non, viennent travailler. C’est une pièce blanche toute blanche. Là aussi le scénographe a fait un travail très minutieux, pour redessiner à l’identique la pièce où l’on a répété et, au reenactment de l’action s’ajoute la copie d’un espace existant. Mais finalement, ces mises en abyme se sont découvertes au fil du travail et existent par la force des choses. Elles sont un appui mais on laisse le choix au spectateur de les mettre lui-même en perspective ou non.


Depuis votre rencontre, vous expérimentez un protocole de création très défini, en quoi consiste-t-il ?


En 2009, pour le festival de performance Les Urbaines à Lausanne, nous nous sommes rencontrés sur le projet KKQQ. Puisque nous étions tous trois nos propres metteurs en scène, il a fallu mettre en œuvre une méthode de travail : s’enregistrer – plus tard on s’est filmés – pour s’entendre, se regarder faire. Sélectionner des pans entiers, qu’on rejoue exactement comme on les a improvisés, sans corriger la qualité du contenu textuel et gestuel, ni les fautes ni les maladresses. Puis noter très précisément ce que l’on retient sous forme de partitions. D’un besoin est donc né un protocole. Et, si on improvise beaucoup le temps de l’écriture de plateau, rien n’est improvisé lors des représentations. C’est le cadre que nous fixons et le reenactement qui nous permettent de prendre, au fur et à mesure, des libertés de respiration, de rythme.


De quelle manière la dramaturgie se définit-elle ici ?


On écrit quelque chose qui se rapproche du théâtre, mais cela reste flou. C’est une nébuleuse inspirée de la tragédie, où l’on peut reconnaître quelques références peut-être. C’est une sorte d’impressionnisme théâtral : ce sont des gens qui se mettent en représentation, qui ont du plaisir à le faire, qui travaillent sur des pièces à la dramaturgie disons classique, ce que Pièce n’est pas. C’est une dramaturgie qui procède par quête. Lorsqu’on regarde nos improvisations, notre étalon est le rire : si l’on rit, c’est qu’il y a étonnement et donc matière à travailler. On est très attentifs aux émotions que nous procurent ce que l’on produit et l’endroit où celles-ci nous mènent. Chacun avance dans le brouillard puis peu à peu des choses se posent. On a souvent la sensation que le spectacle est déjà là, qu’il y a une dramaturgie qui existe avant même qu’on la nomme, et qu’il nous revient de faire advenir. C’est un vrai travail de montage comme le définit Jean-Luc Godard : il y a l’image filmée, l’image montée et la troisième n’appartient quant à elle qu’au spectateur. Gilles Deleuze disait d’ailleurs de lui qu’il montrait l’imperceptible, ça nous parle.


Travailler aujourd’hui la matière théâtrale même, qu’est-ce que cela change pour vous ?


Comme on connaît cette pratique, il fallait trouver une manière de la redécouvrir, d’être aussi décalé que lorsqu’on fait du chant alors qu’on n’est pas chanteur. On doit être vigilant à ne pas parodier, à ne pas singer ou tomber dans des facilités. On essaie de ne pas coller à quelque chose d’ultra précis.


Votre protocole évolue-t-il ?


Il nous est arrivé de doubler les scènes filmées : la parole chevauche le mouvement et crée un décalage incongru. On a alors une participation physique et une partition orale d’une toute autre énergie. Cette étrangeté nous plaît et nous fait sortir de l’ornière.


Vous qui convoquez des figures, plus que des personnages, quelles sont celles que vous convoquez ici ?


On joue chacun un personnage, qui joue des person- nages, des figures tragiques on peut dire, des grandes figures du théâtre antique. On ne prédéfinit pas de caractères mais lorsque quelque chose émerge qu’on peut nommer, c’est justement le travail de montage qui va mettre en valeur certaines singularités. Ce sont des choses encore une fois qui apparaissent malgré nous. Ce qui nous plaît, c’est un travail très fin, qui porte le regard sur ce trouble entre l’apparence et ce qui se situe en dessous

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.

Loading…
Loading the web debug toolbar…
Attempt #