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Love me tender

Raymond Carver ( Texte ) , Guillaume Vincent ( Mise en scène )


: Note d’intention

par Guillaume Vincent

« Je n’avais plus assez de patience pour m’essayer au roman. A l’orée de la trentaine, j’ai renoncé à tous mes rêves de grandeur. »
Raymon Carver


Carver n’a ainsi écrit que des nouvelles et des poèmes, sa formule à la fois drôle et désabusée est à l’image de son œuvre faites de losers, d’insatisfaits, de paumés, en fait de gens tout à fait normaux. Les nouvelles de Carver revêtent l’apparence de la banalité, pas d’histoires extraor- dinaires, pas de grands drames et pourtant face à l’acuité de son regard (la mise en lumière d’un détail incongru, un lapsus en apparence anodin...) on éprouve une sensation de vertige. Il arrive, sans effet de manche, à rendre le proche lointain, le connu étranger, le rassurant inquié- tant, enfin à rendre visible l’invisible. Mais sans nous mettre en garde, l’air de rien, comme en passant, comme par hasard. Il fait vaciller nos certitudes et rend ce banal tout à fait passionnant.


Toutes ses nouvelles ont pour sujet un seul et même thème : le couple.


Les couples se succèdent d’une nouvelle à l’autre sans parfois qu’on puisse les distinguer, il faut dire que les personnages ont parfois le même prénom, qu’ils font le même métier, partagent aussi les mêmes passions pour l’alcool, la pêche, et tous sont obsédés par la trahison et l’adul- tère. On soupçonne que Carver se cache derrière ses personnages certains d’entre eux sont d’ailleurs écrivains... On peut penser à Labiche ou Feydeau, dans cette obsession à mettre en scène le couple ad nauseam, chez eux comme chez lui la cruauté n’empêche pas le rire. Cette galerie de personnages a quelque chose d’évidemment théâtral, il a d’ailleur souvent été adapté en Amérique, au théâtre mais aussi au cinéma, récemment dans Birdman, Mickael Keaton répète une adaptation d’une nouvelle de Carver pour un spectacle à Broadway. Et bien sûr par Robert Altman, qui avec le mythique Short Cuts invente quasiment le film choral. Chacun de ses personnages est un cadeau pour les acteurs.


J’ai choisi d’adapter six nouvelles. J’imagine un spectacle court (une heure et demie) divisé en deux parties.


Dans la première partie le couple est face à lui-même. Un couple prend le large pour tenter de recoller les morceaux et essayer vaille que vaille d’éviter le divorce, une femme avoue à son mari qu’elle l’a bien trompé ce fameux soir, une autre lui raconte ses rêves où il ne figure pas contrairement à son ex-mari...


Dans la seconde partie le couple n’est plus face à lui-même mais face à un autre couple. Un écrivain en panne d’inspiration et sa femme, rendent visite aux Morgan, chez qui ils ont habité il y a quelque temps, sans les avoir jamais rencontré. Sous les apparences d’une cordialité bien- veillante, les choses vont dégénérer pour finir en règlement de compte.


En miroir de ces deux couples Jack et Helen ont acheté une pipe à eau et attendent Carl et Mary pour l’essayer. On change radicalement d’ambiance, tout commence à peu près bien mais sous l’effet du haschich les rires deviennent tristes, et la bonne ambiance apparente cache un malaise.


Toutes les nouvelles de Carver sont traversées par cette idée de malaise. C’est aussi pour ça que c’est une matière passionnante à travailler théâtralement, essayer d’explorer le moment de la bascule, le moment précis où alors que tout allait bien, du moins en apparence, tout s’assom- brit et vacille.


C’est un travail choral quasi musical, que j’aimerais mener avec les huit interprètes de ce projet. L’écriture de Carver demande beaucoup de souplesse, pouvoir être à la fois drôle et pathé- tique, pouvoir passer du rire aux larmes mais aussi être accordé à son partenaire, à deux mais aussi à quatre et à huit.


Ce qui relie mes spectacles que ce soit Gare de l’est, où le dépouillement était total ou Songes et Métamorphoses, où il y avait un déploiement d’artifices, de paillettes, de toiles peintes, c’est l’attention particulière et l’amour total que j’accorde aux comédiens. Pour moi c’est primordial qu’ils soient toujours au centre de mes spectacles, je veux que le spectacle leur appartienne autant qu’à moi. Je mets du temps à faire une distribution parce que je sais que les acteurs vont fabriquer le spectacle au même titre que moi. La distribution de Love me tender est particuliè- rement excitante, par sa qualité mais aussi parce que les comédiens vont chacun jouer deux rôles différents, dans des registres différents. Commençant peut-être sur un registre grave et tendu pour finir en assumant la comédie qui pour être réussie devra être assurément drôle et cruelle.


On a dit de Carver qu’il était le Tchekhov américain. Pas de samovar chez Carver mais des litres de Gin, comme chez le dramaturge russe le drame ne se joue pas que dans les mots mais aussi dans les silences, les non-dits, ainsi l’étrange impression parfois qu’il n’y a pas de drame, du moins en apparence.

Guillaume Vincent

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