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Les Fourberies de Scapin

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Christian Esnay

: Le Projet de création

COMME UNE ÉCHAPPÉE BELLE


Les circonstances dans lesquelles les Fourberies sont données en 1671 en disent long sur le sens qu’elles ont pour Molière. Si ce n’est pas une sortie de route, ça y ressemble beaucoup !
Molière n’a plus rien écrit pour « la ville » depuis trois ans (c’était L’Avare), et il vient de donner coup sur coup une série de grandes machines pour « la cour », des pièces à grand spectacle et grand prestige, qui ont satisfait certainement sa gloire, mais non peut-être sans « plomber » son génie. Pour ce Molière au sommet, à deux ans de sa mort, la mascarade de Scapin est comme une échappée belle. Un retour à « la ville », un retour en arrière, aussi, vers une jeunesse insolente, vive. La salle du Palais-Royal est en travaux, impossible d’y créer quoi que ce soit de lourd ? Tant mieux, c’est comme une chance. Rien dans les mains, rien dans les poches, tout dans les jambes et dans la bouche : du théâtre à toute vitesse. Ramasser tout ce qui traîne (reprendre son bien, dit Molière), un peu de Rotrou par ci, de Cyrano par là, et des Italiens mélangés à du Térence qu’on fait un peu « grimacer » (Boileau, qui râle), secouer le tout, et voilà. Du théâtre en travaux, c’est ça que Molière récupère, exactement, et avec quelle liberté ! Scapin, c’est une espièglerie hors de saison. Dont le sujet est l’espièglerie. Dont le héros est l’Espiègle. Tout se tient : on efface tout et on recommence – la belle équipe. Le public boude. Quand Molière sera mort, le public raffolera. Parce que c’était toute la vérité première de Molière, simplement.


SCAPIN : LA « COSA NOSTRA » DU COMIQUE


Monter Scapin, c’est pour cette raison-là et aucune autre. Parce que Scapin, origine incontrôlée, c’est l’ami incarné du peuple (Boileau, qui persifle), et à ce titre l’occasion de retrouvailles nécessaires avec un long théâtre anonyme et populaire et international, avec une immense famille : zanni de tous les pays, unissez-vous. Tabarin ne fait pas honte à Molière, Copeau a raison. C’est la cosa nostra du comique.
Notons qu’au commencement des Fourberies, Scapin est en retraite, ou au moins en retrait. Un peu de fatigue, l’âge aussi, et beaucoup de prudence… Il n’est plus tout à fait ce qu’il a été. Lui aussi, il va se refaire la main, et se refaisant une santé, se démontrant à lui-même qu’il est toujours là, se refaire aussi une légende. C’est comme si c’était la dernière fois qu’il jouait Scapin lui-même, une dernière fois visitée par le souvenir de la lointaine première fois. C’est pourquoi il faut jouer encore et encore Scapin, Scapin jouant Scapin pour un feu d’artifice avant clôture de saison.
Le repris de justice, le débaucheur, oui, mais surtout le mécanicien, le génie de la fabrique, qui ne se contente pas de prestations de services, qui pratique l’embrouille, l’imbroglio, comme un art. Il n’aime les choses que quand c’est impossible, quand leur inventer une issue relève du miracle, de la danse au-dessus des eaux. Il fait descendre une sorte de merveilleux sur les êtres, sur la vie. Il faut l’écouter quand il dit qu’il reprend du service par humanité. La fourberie comme gratuité, comme grâce, dans tous les sens que vous voudrez, d’une divinité mercurienne, et vieillissante.


UNE ESPIÈGLERIE HORS DE SAISON


Jouer Scapin en « homme consolatif », comme il dit très bien de lui. Celui qui remet à la tranquillité monotone, mortifère, des jours, une folie perpétuelle. Des hauts et des bas, des cabrioles et des chutes. Scapin et sa petite philosophie portative, qui sait que le pire est toujours sûr, mais que le hasard aussi n’est pas moins sûr, en sorte qu’il y a toujours de la ressource même quand tout a l’air perdu.
Et toujours à rire, c’est presque une question d’honneur.
Jouer les Fourberies comme la farce qu’elles sont, c’est-à-dire comme quelque chose de très instable, complexe, difficile. La farce qui recrée de la jeunesse, entre férocité et joyeuseté. Trouver son point d’équilibre, mouvant, entre le non-sérieux qui volatilise toutes les pesanteurs, et un secret sérieux, qui dit comme en passant, à la légère, la cruauté des pères, des riches, des règlements, et la crudité des rapports humains et sociaux, entre pères et fils, riches et pauvres, gens d’ordre et gens de désordre. Jouer le comique en vue des moeurs, soit, mais sans passer par la punition (le – trop - fameux castigat ridendo mores). Ne pas « morigéner », c’est le mot que Molière pose sur le plus haïssable de tout. La farce sert à éviter cet écueil. Si les moeurs doivent être bonnes à la fin, ce sera à proportion de l’air qu’on aura fait respirer, du courant qu’on aura fait passer, et pas à proportion des enfermements et contraintes des corps imposés par force.
Jouer la comédie, enfin, et surtout, en vue de la fraternité, et de ses embrassades, qui payent de tout, par un allégement des charges. Chez les théoriciens, on disait (en se pinçant un peu le nez) que tout ça « désoccupait » : c’était très bien vu.


L’ACTION AU PREMIER PLAN


Du « théâtre pur » (Bray), s’il est vrai que le théâtre est action. C’est bien ce qui constitue l’essence des Fourberies, mais aussi l’effet spécifique qu’elles libèrent. Il y a comme une morale, qui d’ailleurs n’est pas étrangère à nos temps de crise, y compris celles de la culture, et du théâtre lui-même. Cette morale, c’est que, quand il n’y a plus rien, il y a encore quelque chose. Quand il n’y aurait plus rien, il y aurait encore quelque chose. Ce quelque chose, le théâtre en fait son lieu et son temps. Ce quelque chose qu’il y a à faire, c’est même le théâtre lui-même. Les Fourberies ? Regardez, pour les jouer, pas besoin de plus ni mieux que trois objets, que n’importe qui peut trouver chez soi, ou même dans la rue. Arte povera, c’est le cas de le dire. C’est ça, un art démocratique.Et comme il n’y a rien, il n’y a qu’à courir, profiter de cette apesanteur.
Scapin, c’est l’homme de théâtre, du théâtre, de tout le théâtre : il est l’auteur, il est le producteur, il est le metteur en scène, il est le directeur d’acteurs, il est l’acteur, il est même le spectateur. Cette « Italie » de la farce, napolitaine, conventionnelle, rêvée, peut-être fantasmée, elle est l’alternative à la pompe des grandes maisons, des grandes troupes, des grandes oeuvres. C’est comme interjeter appel contre la condamnation du théâtre, et de la vie, à la lourdeur, la gravité. Telle est la fourberie suprême des Fourberies, ce théâtre sur le théâtre que Scapin y glisse, pratique, illustre – l’Illustre Théâtre qui revient à Molière, et à nous tous pour peu que nous soyons fatigués.


LA VERTU DE LA FARCE


La farce a en effet sa loi, son risque et sa vertu. Sa loi, c’est d’être cantonnée dans le jeu gratuit, restreinte à une « bulle » sans rapport à rien d’autre qu’à elle-même. Son risque, c’est du coup de devenir une sorte de mécanique, une artificialité, que précisément sa vertu est là pour corriger. La vertu de la farce est de mobiliser dans le rire le plus éclatant l’humanité la plus totale. Ce n’est pas un hasard si elle travaille avec gourmandise sur les conflits de génération : c’est toujours pour prendre le parti de la jeunesse, de la vie, mais c’est aussi, subtilement, pour préparer des sortes de retrouvailles entre jeunesse et vieillesse. Une fois résolus les conflits, c’est la gaieté de l’armistice qui s’ajoute à la jubilation du triomphe.
Pour les dix rôles des Fourberies, la distribution comportera sept acteurs. Outre Scapin, quatre jeunes comédiens pour les couples d’amants et deux comédiens âgés pour les deux rôles de pères. Les Géotrupes sont ainsi fidèles à l’échange des rôles qui a toujours marqué leur jeu, dans la mesure où les deux jeunes filles se partageront les utilités, qui sont ici au nombre de trois, mais ils introduisent aussi une innovation par rapport à leurs principes en choisissant de respecter pour les Fourberies un rapport de convenance entre l’âge des comédiens et leurs rôles respectifs. Pourquoi ? Parce que si, comme dit Scapin, « les jeunes gens sont jeunes », il convient que les pères en face aient aussi leur âge !

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