L’écrivaine hongroise Agota Kristof rédige Le Grand Cahier dans les années 80 alors qu’elle est installée "par hasard" à Neuchâtel. Elle a fui les troupes soviétiques entrant en Hongrie et elle travaille dans une usine d’horlogerie. Le Grand Cahier devait être un récit pour transmettre son histoire d’exilée à ses enfants, cela fera d’elle l’une des grandes figures de la littérature du XXe siècle, grâce à la construction et la force de son récit et à l’extrême sobriété de son écriture, dépouillée et troublante.

Le Grand Cahier, The Notebook en anglais, raconte l’histoire de deux jeunes jumeaux abandonnés à leur méchante grand-mère à la campagne, pour les protéger de la guerre qui fait rage. Livrés à eux-mêmes, les deux enfants apprennent ensemble à surmonter la faim, le froid et les privations dans un pays dévasté – ils se font une devise commune de "vaincre tout ce qui fait mal". Leur méthode est l’écriture: ils rédigent sur un carnet leurs découvertes et leurs apprentissages, avec une objectivité appliquée pour dire "les vraies choses", "pas les choses inventées", évacuant méticuleusement toute forme d’ambiguïté.

Deux interprètes de Forced Entertainment, habillés de façon identique et jouant à l’unisson dans un espace aussi dépouillé que l’écriture, lisent le cahier des deux jumeaux. En tournée mondiale depuis sa création il y a quatre ans, ce spectacle aussi minimaliste que bouleversant fait entendre la complicité des deux jumeaux, leur inventivité quasi déshumanisée pour se protéger de ce qui les entoure et la prose percutante et intime d’Agota Kristof: une plongée toute en maîtrise et en délicatesse dans un monde cruel et ruiné où l’écriture est un acte qui détruit autant qu’il sauve.