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La Réunification des deux Corées

+ d'infos sur le texte de Joël Pommerat
mise en scène Joël Pommerat

: Entretien avec Joël Pommerat (1/2)

«Instants sans unité»

Début novembre à Paris, pendant les répétitions de sa prochaine création, La Réunification des deux Corées, Joël Pommerat a rencontré Daniel Loayza, conseiller artistique de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Il dresse ici, à la suite de leur entretien, un état des lieux intérieur(s) de ses intuitions artistiques.

  • Est-ce que je me contredis ?
  • Très bien ma foi je me contredis,
  • (je suis vaste, je contiens des multitudes).
  • Walt Whitman

Pour le moment je ne sais pas très bien comment parler de cette pièce. Pourtant elle est relativementsimple. C’est une suite d’instants sans unité déclarée ou cohérence narrative. Elle ressemble plus à unesuccession de petits fragments fictionnels, comme des nouvelles, sur un thème à peu près commun. Pourtantce n’est pas une pièce abstraite. Au contraire, elle est dans la veine d’écriture réaliste et humoristique débutée avec Je tremble et Pinocchio, qui s’est accentuée avec Cercles/Fictions, Ma Chambre froide, Cendrillon et La Grande et fabuleuse histoire du commerce.
En plus d’être réaliste, c’est un théâtre d’action, comme je l’ai déjà formulé, plus qu’un théâtre de texte, de poésie textuelle. Ce théâtre, il me semble, vaut par ce qu’il met en jeu entre des individus, ce qu’il montre, ce qu’il suggère sur un plan relationnel et existentiel, plus que par ce qu’il dit, ce qu’il formule. Je pense que dans ce théâtre, par exemple, il est formulé beaucoup de banalités. Et le style de l’écriture textuelle n’y est guère intéressant ou recherché, encore moins original. C’est un théâtre réaliste, qu’on pourrait presque qualifier de théâtre de situation, mais je préfère le terme de théâtre d’action, qui est plus drôle et plus ambigu. C'est-à-dire que l’action prévaut sur la parole.
C’est un théâtre réaliste, donc, c'est-à-dire simple, et compréhensible, avec une psychologie relativement concrète. Sans arrière-plan. Pourtant dans cette pièce, La réunification des deux Corées, il y n’a pas d’unité narrative. Au moment où nous parlons le travail d’écriture n’est pas terminé, et la cohérence qui pourrait soutenir ce projet se cherche encore. Et je plaiderai certainement coupable si elle n’est toujours pas là le 17 janvier.


J’essaie néanmoins de la trouver, mais de façon non préméditée, et peut-être même non rationnelle. Je cherche quelque chose qui pourrait se révéler à moi au fur et à mesure de l’avancement de notre travail, écriture sur le papier et sur le plateau avec les comédiens. D’où la difficulté, bien sûr, de parler aujourd’hui de ce quelque chose de non préétabli, et qui va se constituer, se former. Plus concrètement, cette pièce démarre avec une scène tirée d’un scénario de Bergman, Scènes de la vie conjugale. Il y a plusieurs autres fragments fictionnels ensuite, trois exactement (sur à peu près une vingtaine en tout), qui sont inspirés de Schnitzler: une de ses nouvelles, Rien qu’un rêve, et une pièce, La Ronde. J’aimerais insister sur le fait que ces noms que j’ai cités ne sont pas forcément des sources d’inspiration globale, mais dans le cas de Schnitzler des amorces d’inspiration pour ces trois fragments de l’ensemble. Pour Bergman, je ne lui ai emprunté qu’un tout petit instant de son film formidable. J’ai voulu commencer par lui et cette petite scène pour situer quelque chose, ouvrir une thématique bien particulière. En termes d’influence, je pourrais citer Tchekhov, celui des nouvelles et des pièces en un acte. Cruelles et humoristiques, presque satiriques.
Il y a quelque chose chez moi qui correspond très fort à cette sensibilité-là. Je pourrais qualifier cette pièce en cours, aussi, de «pièce spontanée », pour la différencier de pièces écrites de façon plus réfléchie et mûrie telles Ma Chambre froide, Cendrillon, Les Marchands. «Pièces spontanées» telles que Je tremble, Cercles / fictions, qui se cherchent en se faisant. Avec des matériaux précis au départ, mais des matériaux non «raffinés» au sens où l’on dit que le pétrole se raffine. Et aussi «pièces spontanées» parce qu’elles se sont constituées tout d’abord en tant que rapport à un espaced e théâtre particulier. Et non pas à partir d’un concept fictionnel ou intellectuel, une «idée» d’écriture au sens habituel.


La scénographie a depuis toujours une importance déterminante dans mon écriture et dans mon inspiration.Une scénographie du vide, des espaces sans matière, des fondations, des architectures appelant lumières et sonorités pour se révéler pleinement (c’est pourquoi la rencontre avec Eric Soyer créateur de lumières a été aussi importante pour moi, ainsi que celle de François Leymarie au son). C’est à partir de là que mon imaginaire d’auteur et d’écrivain se met en marche.


Au tout départ de ma formation d’auteur (au début des années 90), c’est parce que j’ai pu définir (et visualiser)avec précision des espaces théâtraux que j’ai pu me libérer en tant qu’écrivain et ainsi commencer à écrire. Écrire des mouvements de corps, des déplacements en silence, des immobilités, avant toute parole. Seul devant une page blanche ou un ordinateur je serais resté bloqué, j’en suis sûr. Imaginer des gestes, puis de la parole, des sons, retranscrire des mots entendus à l’intérieur de soi, développer un imaginaire, former des images scéniques et surtout alimenter une inspiration, c'est-à-dire un désir de créer et d’inventer, c’est grâce à un rapport concret à l’espace que j’ai pu faire ça...
C’est pour ça que je dis souvent que je ne suis pas metteur en scène, du fait que sans une vision intérieure concrète de l’espace (ou bien si l’on devait m’en imposer une qui n’aurait pas pris racine à l’intérieur de moi) je serais incapable de créer. Je dis que je ne suis pas metteur en scène parce que je ne pourrais pas travailler dans des univers d’écriture ou des espaces scénographiques qui ne seraient pas naturellement en lien avec moi et issus de moi. Ces autres pièces dites  «spontanées» dont je parle sont donc Je tremble et Cercles/fictions et ont comme point de déclenchement le rapport à l’espace. Un lieu fictionnel pour ce qui est de Je tremble: «théâtre dans le théâtre, rideau rouge, cabaret, entre réalité physique et mentale, lieu de tous les possibles et paradoxes, caisse de résonance de l’intime et spectacle de la pensée » et une scénographie circulaire pour Cercles/fictions: une aire de jeu au centre d’un gradin (en cercle donc), l’acteur encerclé par le public.
Pour ce qui est de La Réunification des deux Corées son point de départ essentiel a été le désir de travailler dans un espace bi-frontal. C'est-à-dire deux gradins de spectateurs se faisant face, étirés latéralement, creusant une aire de jeu centrale, comme un couloir entre deux montagnes. Un espace plus banal que le cercle, espace confiné mais dans lequel je n’avais jamais évolué encore. Ce que je veux dire par là c’est que dans de nombreux exemples (dont cette dernière création) l’espace scénographique est l’élément dramaturgique premier de mes pièces. La source d’inspiration qui va conduire l’écriture.


Est venu ensuite, en ce qui concerne La Réunification, le choix des matériaux dramaturgiques plus classiques : thèmes, sujets, point de départ fictionnels. Matériaux qui ont été explorés et mis à l’épreuve dans les conditions réelles du bi-frontal pendant deux ateliers de recherche organisés pour une cinquantaine de comédiens en tout,pendant deux sessions d’un mois à Bruxelles. De ces ateliers se sont dégagés beaucoup d’éléments essentiels de cette création et je voudrais rendre hommage ici à tous ces comédiennes et comédiens qui m’ont accordé leur confiance, et avec qui j’ai aimé travailler et qui m’ont inspiré. Je voudrais les remercier. J’ai d’ailleurs demandé à cinq d’entre eux s’ils voulaient bien rejoindre l’équipe de ce projet. Ils ont accepté. Si l’on compte leBtemps de ces deux ateliers à Bruxelles, c’est presque six mois de travail et de recherche que nous aurons menés dans les conditions quasiment réelles de représentation et dans cet espace bi-frontal.


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