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La Petite

+ d'infos sur le texte de Anna Nozière
mise en scène Anna Nozière

: Entretien avec Anna Nozière

Propos recueillis par Denis Loubaton, août 2012

Qui est La Petite?


Une femme qui n’a pas vraiment eu d’enfance parce que sa mère est morte en couches, et pour qui grandir reviendrait à renoncer définitivement à tout ce qui lui a manqué. Une idée qu’elle ne peut supporter. Être enfant, devenir adulte, rien n’est possible pourtant.
La Petite, par fidélité à sa mère décédée, est incapable de jouir de ce que la vie lui propose. Elle se retrouve au pied du mur et comme prise au piège lorsqu’enceinte, elle est dans l’obligation de transmettre la vie.
Faire le deuil de ce qu’on n’a pas eu pour pouvoir l’offrir à un enfant, c’est une adéquation paradoxale, difficile à résoudre. Plusieurs femmes, dont l’histoire me touche, m’ont inspiré ce personnage de La Petite. Et plus généralement, bien des histoires de femmes et d’hommes dans lesquelles je me reconnais parfois et qui montrent combien chaque pas en avant, aussi vital soit-il, peut provoquer de la honte, de la culpabilité ou de la peur.


Dans ton précédent texte, Les Fidèles, dans celui-ci La Petite, il est beaucoup question de survie, de résilience, au sens où Cyrulnick décrit comment certaines personnes se reconstruisent après un traumatisme. Est-ce que tu envisages tes pièces comme des “romans d’initiation” ?


Non, je n’y avais pas pensé en tout cas. C’est la vie que je considère comme étant une initiation, et, comme j’essaye d’être au plus près des réalités que j’éprouve en écrivant, sans doute qu’on peut envisager mes pièces comme cela.


Dans Les Fidèles, toujours, la place de la généalogie, des ancêtres, des morts que l’on traine avec soi était omniprésente. Dans La Petite, le fantôme de la mère de Jennie hante très concrètement la scène, se mêle aux acteurs, n’en a pas fini avec le présent. Le théâtre est-il pour toi le lieu de prédilection pour convoquer les morts ?


C’est vrai, les vivants et les morts se sont toujours côtoyés dans mes spectacles. Cela m’est tout à fait naturel. Les morts existent à travers nous. Nous sommes leurs enfants, de sang de chair et de mémoire. Le théâtre est comme un lieu de rite qui permet la rencontre avec tous les mondes. En répétition, par exemple, je demande souvent aux comédiens de travailler avec plus de verticalité. D’être plus en conscience des forces en présence. De convoquer d’autres énergies que seulement la leur. De tenter de se relier à ce qui est plus grand qu’eux-mêmes, de se laisser traverser par ce qui nous dépasse. Ce n’est pas facile, ni à comprendre ni à éprouver! Mais il est arrivé qu’ils y parviennent.


Écris-tu en pensant à la scène? Ou dit autrement, est-ce qu’écrire et mettre en scène sont deux démarches convergentes, complémentaires ou au contraire conflictuelles ?


J’écris sans plan ni projections, à l’aveugle, en essayant d’ouvrir un chemin le plus intuitif possible. Je ne pense donc pas à la mise en scène en écrivant. Il m’arrive toutefois de sentir combien l’auteur que je suis est en train de tendre des pièges au metteur en scène que je vais être, et alors, j’entrevois les problèmes que je devrai résoudre au plateau. Mais, comme je sais que ce sera l’occasion de progresser, je me laisse faire! Cela ne m’empêche pas de pester contre moi-même sur le plateau, par exemple lorsque je ne trouve pas du tout le sens d’une scène que j’ai écrite - ce qui est quand même un comble, mais ce qui est assez fréquent!
En même temps, c’est cette incompréhension entre ces deux endroits de moi qui m’oblige à rentrer dans une collaboration étroite avec mon équipe. Sur La Petite, nous avons commencé les répétitions avec un texte inachevé, assez foutraque, que personne d’entre nous ne comprenait vraiment et qu’il fallait démêler. C’était vertigineux, mais c’était excitant! Je ne m’imagine pas rentrer dans le travail en disant: “mon texte parle de cela”, ou “c’est cela que j’ai envie de dire”. Ce qui m’intéresse, c’est l’espace du théâtre, ses différents niveaux de réalité et de temporalité, que j’essaye de faire coexister. Alors disons que le texte que j’amène, avec sa complexité, avec les différents niveaux d’écritures qu’il mêle, est un prétexte sans concession pour aborder ces questions au plateau dans un travail d’équipe. Avec les acteurs, mais aussi avec mes collègues du son et de la lumière, à qui je demande de m’accompagner de très près dans le travail.


Comment les acteurs interviennent-ils dans ce processus d’écriture scénique?


Durant un gros premier mois de travail, je demande chaque jour aux acteurs de faire une proposition collective que j’énonce, parfois assez longuement, parfois en quelques mots, autour de telle ou telle partie du texte. Puis je quitte la salle de répétition pour les laisser travailler entre eux. Je trouve que c’est important de leur laisser le plus d’intimité possible, et de liberté dans leurs propos par rapport au texte. Par ailleurs, je ne souhaite pas comprendre trop tôt par quelles étapes ils sont passés pour en arriver à ce qu’ils proposent. J’ai besoin de garder un regard le plus naïf possible sur leur travail. J’aime les distorsions entre ce que je m’étais éventuellement imaginé de la scène, et ce qu’ils me proposent. Et pour autant, je peux aussi leur dire que la manière dont ils ont abordé une scène m’apparaît être un contresens par rapport au texte. Mais dans ce cas comme dans tous les autres, l’important est que leur travail provoque chez moi toutes sortes de réactions qui viennent enrichir notre réflexion.
Dans un premier temps, une proposition réussie n’est pas nécessairement une proposition dont je vais conserver la trace, mais une proposition qui doit me permettre de comprendre quelque chose de mon texte. De ses manques, de ses forces, de ce que je vais devoir creuser ou au contraire abandonner dans l’écriture, bousculer ou restructurer.
Les acteurs qui m’accompagnent ont parfaitement intégré la contradiction qui est au coeur de notre travail : le spectacle doit absolument venir d’eux, alors même que sa vision se fraye en moi de manière très secrète, que j’en suis la garante et que je la construis seule.
Je dois nécessairement exister seule. Comme nous devons nécessairement exister ensemble. Comme ce groupe que forment les acteurs doit nécessairement exister sans moi.
Au fond, eux et moi sommes aussi autonomes que dépendants les uns des autres, ce qui nous demande d’être doublement en confiance.


La Petite commence par la dernière image des Fidèles, ton précédent spectacle. Comme une citation. Les deux spectacles se répondent-ils?


Oui, beaucoup. Celui-ci traite en creux ce que l’autre traitait en plein. Et, dans Les Fidèles, à l’exact inverse de celui-ci, Virginie (Colemyn) incarnait la mère de Camille (Garcia). J’essaye de faire en sorte que tous mes spectacles se répondent. D’ailleurs, il m’arrive en ce moment de rêver que chaque image de mon dernier spectacle sera celle par laquelle commencera le suivant.

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