: Note d’intention
Par Tiphaine Raffier
- « Tu la connais cette histoire ? Il existe un lac. Calme et profond. Un jour, au fond du lac, un vieux poisson croise deux jeunes poissons. Le vieux leur dit : « Alors les garçons ? L’eau est bonne ? » Les deux jeunes poissons nagent encore un peu, puis se regardent, puis l’un dit à l’autre: « Tu sais ce que c’est toi, l’eau ? ».
Cette anecdote est extraite d’une conférence tenue par l’écrivain David Foster Wallace devant de
jeunes diplômés. Que voulait-il dire ? Que ce qui va de soi ne va pas de soi. David Foster Wallace
nous invite à penser. A remettre en question ce qui est précisément le plus difficile à remettre en
question : l’environnement dans lequel on a grandi.
Sans aucun doute, le Val d’Europe est le personnage principal de cette ville. Le Val d’Europe est
une idée. Une ville plus construite avec des signes qu’avec des briques. Un simulacre devenu
réalité. A Val d’Europe, la nostalgie règne en maître. C’est dans cette ville qui imite d’autres ville
de la vieille Europe, que Barbara, Pauline et Jessica vont répéter un spectacle de sosie d’ABBA.
Mais un jour Pauline va vouloir s’affranchir du trio pour écrire ses propres chansons. On assiste
donc aux répétitions du trio, à la domestication de leur corps, mais aussi au récit de la naissance
de cette ville-simulacre où la lumière et la musique ne s’arrêtent jamais. On assiste à la quête de
pureté et d’absolu de ces trois filles. Leur extrême sexualisation aussi, à travers les notes d’une
même mélodie qui se répète indéfiniment et qui porte le titre prophétique : S.O.S.
Ainsi
caractérisées, Barbara, Pauline et Jessica semblent sortir tout droit d’un teen-movie.
Adolescente,
j’ai vu ce qu’on me donnait à voir. J’ai baigné dans cette culture du Slasher movie et de la comédie
américaine. Ces codes m’intéressent. Barbara, Pauline et Jessica sont l’incarnation de cette ville
étrange. Quels sont les modèles qu’on a donnés à ces filles pour qu’elles ressemblent tant à des
stéréotypes ? Est-ce qu’en grandissant dans un décor on devient une fiction ? Comment accéder
à l’art au royaume enchanté du Mainstream ? Comment s’autoriser ce désir irrépressible de créer
et de partager ses oeuvres ? En ça La Chanson parle également des classes sociales. Plus qu’un
éveil à l’art, Pauline va vivre un véritable « réveil ». Une émotion dévastatrice qui mutera en
insurrection.
Mon sentiment sur cette ville est très contrasté ; il incarne mon enfance. Petite fille, je me rappelle
très bien de la première fois que j’ai vu de la pornographie. J’étais jeune, et je peux dire que j’ai
été très choquée. J’étais choquée parce que je croyais à ce que je voyais. Je ne savais pas qu’il
s’agissait d’acteurs. Je n’avais pas conscience du cadrage et des décors. La pornographie est la
version hyperréaliste de la sexualité, une extériorisation d’un acte qui, par son essence même, se
passe à l’intérieur.
J’ai eu le même rapport à la ville de Val d’Europe qu’à la pornographie. Comme
la pornographie, ce coin de la Seine-et-Marne ne m’a jamais dérangé. Mais j’ai longtemps cru en
sa fiction. J’ai longtemps cru que cette ville était normale. J’ai d’abord vu la place de Toscane
avant d’aller en Italie. J’ai d’abord découvert de faux immeubles haussmanniens avant de voir les
vrais, à Paris. Cette ville a donc construit mon rapport au monde, mais grandir dans un décor m’a
aussi indéniablement donné envie de faire du théâtre.
L’histoire de La Chanson n’est pas l’histoire d’une guerre des cultures, c’est avant tout une quête, une quête de la beauté
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