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La Chair des tristes culs

+ d'infos sur le texte de Pierre Notte
mise en scène Pierre Notte

: Entretien avec Pierre Notte

Propos recueillis par Brice Hillairet, Tiphaine Gentilleau et Chloé Olivères

Diptyque. Il s’agit de représenter dans la même soirée deux pièces sans rapport, en tout opposées. Il s’agit pourtant des mêmes comédiens, du même principe d’un cabaret humaniste, aux moyens modestes et au projet immodeste. Évoquer les désastres humains, familiaux ou amoureux, et envisager les réconciliations des vivants avec les morts, des blondes avec les brunes, des fils avec leurs pères, et des vivants entre eux.

Sortir de sa mère est un titre ambigu. De quoi s’agit-il exactement?


La mère, on l’accuse de tout, et tout le temps. Et quand il pleut, c’est sa faute. Tout est sa faute. Elle est à l’origine de tout, elle est responsable du pire évidemment, et surtout du pire de soi. Je lui ai fait payer le prix fort, à ma pauvre mère, dans Moi aussi je suis Catherine Deneuve, ou dans Pour l’amour de Gérard Philipe. Elle en a pris plein la gueule. Puis j’ai vieilli. J’ai eu quarante ans, et l’âge qu’avait ma mère quand j’étais ado, vieil enfant. Je me suis senti soudain si impuissant, démuni face aux attaques lancées. Et j’ai voulu régler cette sorte de compte cruel, et composer un conte tendre, une fable chantée en hommage aux mères, aux figures des femmes grandes et belles, les engagées, les indignées sans certitudes, les Annie Girardot, les Madame Ingalls de La Petite maison dans la prairie, Sortir de sa mère, c’est regarder en face les êtres aimés, c’est tenter de les côtoyer sans les mettre à mal. Et dire, aux noms des fils indignes dont je suis, l’amour inconditionnel des enfants pour ces femmes qu’ils sauraient admirer s’ils ne savaient pas qu’elles sont leur mère.


Une fausse blonde, une pâte à crêpes, un suicidaire qui se découpe le cul… La Chair des tristes culs, qu’est-ce que c’est que ce bordel ?


Ce bordel-là est peuplé de fantômes, de morts perdus entre deux mondes, et de vivants paumés. C’est un bordel de limbes. Les vivants et les morts se croisent. Ils s’effleurent dans des espaces un peu domestiques, une cuisine, une chambre à louer. On veut se foutre en l’air, mais on n’y arrive pas. Parce que ce n’est pas si facile de vouloir mourir. Et vouloir vivre non plus, voire encore moins. La Chair des tristes culs, c’est un cabaret plutôt joyeux, rieur, dans un monde en suspend, un monde trop mou, trop gris, trop tiède pour ces quatre gugusses qui veulent en sortir. Tous seuls, ils échouent. Ils ratent tout. Mais à force de se croiser, ils finissent par se frôler, et les frôlements deviennent des frottements sensuels, et hop. L’amour et le désir sauvent le monde et la vie quand ils sont plats comme des crêpes ! Alors on fait des crêpes, mais on les fait à la chair des fesses pour retrouver le goût savoureux de l’humanité, et pour oublier que la terre est plate et que la vie est longue. C’est un bordel de tendresses, de sucre, de miel, de ratages à rattraper, de réconciliations et d’engueulades. C’est un bordel refuge. Et c’est le seul bordel au monde où il n’est jamais question de pouvoir ou d’argent.


Même auteur, même metteur en scène, mêmes acteurs, même salle. Quelles sont les différences entre les deux spectacles ?


À part ça, ce sont deux pièces absolument contraires. Tout les oppose. Sortir de sa mère est une épopée intime, une traversée dans l’histoire de deux enfants divisés par un héritage impossible. Elle contient une quinzaine de personnages qui se prennent les pieds dans les tapis de la vie avant la révélation et la réconciliation. Ces deux gosses, c’est le monde et les vérités qui leur tombent sur le coin de la figure qui les transforment. Sortir de sa mère se joue dans un temps étiré, dans une dizaine d’espaces, au B.H.V, chez Leroy Merlin, dans un cimetière, au bord de la mer de Trouville, dans une garçonnière. Ça commence à Clichy, ça finit à Hollywood. La Chair des tristes culs, c’est tout le contraire. Ça se joue dans un seul et même lieu divisé en trois dimensions, à la fois une cuisine, une chambre sordide et une plage paradisiaque. Tout en un. La pièce ne contient que quatre personnages qui vont évoluer ensemble, grandir, changer, se rencontrer enfin, alors qu’ils ne se voyaient pas. C’est euxmêmes qui vont transformer leur monde. Sortir de sa mère et La Chair des tristes culs, c’est un diptyque du jeu des réconciliations. Les deux pièces sont deux formes opposées en tout, écrites pour trois acteurs chanteurs que j’aime, et que j’admire. Les deux pièces sont aussi leur terrain de jeux, et elles sont indépendantes absolument. Et en miroir. Pour le spectateur aussi, cela doit devenir comme un jeu.


Vous annoncez des « cabarets ». En est-ce vraiment ? Qu’est ce qui vous plaît dans cette forme ?


Sortir de sa mère et La Chair des tristes culs rassemblent une quarantaine de chansonnettes. Des petites bulles chantées, courtes, jouées ou non. Ce sont des petits écarts, des soubresauts. On veut créer des surprises, des petites fêtes tendres dans un lieu qui serait un peu à l’écart des agressions du monde. Un petit refuge pour les gens qui doutent, qui se prennent des coups un peu tout le temps, un peu partout, et qui se rassemblent là, un soir, pour s’attendrir avec nous sur nos faiblesses, nos maladresses, nos temps perdus, nos colères vaines. Se laisser aller à être ensemble sans que cela soit trop compliqué, à nous balader un peu comme dans une orangeraie. C’est ça, l’idée du cabaret. C’est l’espace qui convient le mieux à notre petite compagnie, qu’on a créée en octobre 2011 avec Anne Gégu, et qu’on a appelée La Compagnie des gens qui tombent. Un lieu de séduction et de repos, un refuge pour tous les mélancoliques plus ou moins fracassés par le rythme de leur temps, par les coups bas du monde. Un lieu d’éclats d’humanités faute d’avoir les moyens d’un grand show spectaculaire, mais dans des lumières qu’on veut somptueuses. C’est aussi un genre bâtard, un peu poubelle qui réunit les déchets des autres genres : un peu de lyrisme, quelques numéros, une poésie bancale, des chansonnettes, des gags indignes et des élans tragiques. On dérape, on glisse, on tombe. Et on rit, puis on se relève un peu plus solides. On prend le temps de poser sa tête sur les genoux des chers disparus, de leur dire qu’ils nous manquent avant de repartir bien disposé à tomber, à retomber encore, mais cette fois-ci amoureux.

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