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Le Jugement dernier

mise en scène Nicolas Janvier

: Note d’intention

Le spectacle rassemble onze comédiens et comédiennes pour une galerie d’une quinzaine de personnages. Lors du lancement de ce projet j’avais la volonté de travailler avec un groupe large. En effet j’aime l’idée de troupe. Il s’agit pour le groupe d’éprouver une ambition portée ensemble et de créer un collectif qui mutualise les passions et les forces de chacun.


L’auteur nous propose des oeuvres nécessitant une distribution importante. Il dresse un portait le plus large possible, non seulement de la communauté humaine en tant que telle, mais aussi des sentiments et des émotions éprouvés par celle-ci.


Plus on est de fous plus on rit dit-on, je partage cet adage et crois que le « rire » dont on parle ici va au delà et recouvre l’ensemble des émotions partagées. Il n’y a qu’une mince frontière entre rire et larmes et Horváth joue sans cesse de cette proximité.


En décidant de travailler avec un groupe large je choisis de suivre le chemin d’expériences qu’il nous propose. Nous travaillons le texte bien sûr mais aussi « le meilleur matériau humain » comme il le nomme lui-même dans le premier tableau du Jugement dernier.


« Ma génération, c’est bien connu, est très méfiante et s’imagine être sans illusions. Dans tous les cas, elle en a considérablement moins que celle qui nous a conduits vers des temps meilleurs. Nous sommes dans l’heureuse position qui nous permet de croire qu’on peut vivre sans illusions. Et cela pourrait être notre unique illusion. Ce qui est vermoulu doit s’effondrer et si moi-même j’étais vermoulu, je m’effondrerais et je crois que je ne verserais aucune larme. »
Ödön von Horváth, 10 novembre 1927.


La pièce expose des êtres en proie à une lutte entre leurs pulsions sociales et asociales, entre vie et pulsion de mort. Celle- ci est évoquée de façon indirecte lorsque les personnages parlent à plusieurs reprises de leur « voix intérieure ». Cette lutte, on la retrouve chez tous les acteurs de l’histoire, tant directs que satellites, notamment dans l’utilisation récurrente de dictons, de sentences qu’ils énoncent presque malgré eux. Ces éléments de langage forment une sorte d’aparté, de surgissement du subconscient de chacun. Celui qui prend la parole devient un porte-voix, non seulement de ses propres pulsions, mais également de celles de sa communauté.


Horváth peint un monde tourmenté. Il donne une profondeur infinie à ses personnages, s’amuse à créer un gouffre derrière chaque réplique. Je cherche dans le travail cette expérience du trouble qu’il propose. Il s’agira de déjouer les évidences autant que possible. Cela doit constituer un premier objectif, capital.


Mais en creux se dresse un constat strictement politique. Dans ce monde en crise, les relations sociales se tendent. On s’observe, on envie l’autre et on désigne comme boucs-émissaires tous ceux qui sont « étrangers » à la « communauté ». Autant que la portée universelle et intemporelle des questions de culpabilité et de responsabilité, c’est l’exploitation de ces dernières dans ce contexte de crise globale qui a retenu mon attention. Ce contexte qui rappelle singulièrement celui dans lequel nous baignons aujourd’hui.


Celui d’une société adepte de l’information en boucle qui entretient une nappe anxiogène où les jugements varient au gré du vent de la dernière dépêche, sans recul, distillant un sourd poison dans les consciences, une peur de l’autre, irrationnelle et émotive. L’émotion est alors érigée comme valeur, presque comme politique publique et non plus comme pudeur privée.


Dès lors, la rencontre entre une démocratie en crise et le fait-divers heurtant l’opinion publique, agit comme un déclencheur d’une descente aux enfers de la société tout entière. C’est actuellement un danger permanent pour nos démocraties : l’Homme, ramené à son simple statut d’individualité par la destruction du lien social, sans conscience d’appartenance à un monde commun, se trouve abandonné et se livre souvent sans défense aux fossoyeurs de l’humanité.


L’oeuvre d’Horváth, sa dénonciation sans relâche du repli sur soi, du fascisme et du nazisme, résonne comme une parabole éclairante du monde d’aujourd’hui. Il nous dit que le monde d’hier est son frère jumeau.


« Je n’ai pas de pays natal et bien entendu je n’en souffre aucunement. Je me réjouis au contraire de ce manque d’enracinement, car il me libère d’une sentimentalité inutile... »
« Le concept de patrie, falsifié par le nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple.»
Ödön von Horváth, 10 novembre 1927.


Faire entendre ces mots, proclamer encore et encore cette mise en garde me semble plus que jamais essentiel et salutaire. Accomplir un acte politique au sens d’un acte citoyen en portant cette parole « haut et fort », telle doit être notre ambition.

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