theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Le Roi Lear »

Le Roi Lear

mise en scène Georges Lavaudant

: Entretien avec Georges Lavaudant

par Hervé Pons

Pour cette nouvelle création du Roi Lear comment avez-vous composé votre distribution ?


Lorsque l’on décide de monter une pièce titre comme Le Misanthrope, Hamlet ou bien les pièces dont on sait qu’elles portent en elles un rôle d’une très grande difficulté à assumer, on organise une galaxie, ou plus exactement une communauté autour de l’acteur principal. C’est ce que j’ai essayé de faire en rassemblant des gens avec qui j’avais déjà travaillé comme François Marthouret qui jouera Gloster, ou Manuel Lelièvre qui sera le fou. Deux acteurs prodigieux. Néanmoins je vais rencontrer à l’occasion de cette nouvelle production de nouvelles personnes notamment les deux fils Edgard et Edmond, Thibaut Vinçon et Laurent Papot. Je souhaitais donc créer une communauté mêlée de personnalités que je connais bien et de nouvelles figures pour que l’aventure soit stimulante et que l’on ne se retrouve pas dans un entre-soi sclérosant...


Vous mettez en scène Le Roi Lear pour la troisième fois ?


Je l’ai monté une première fois il y a quarante ans au Théâtre Rio à Grenoble quand j’ai démarré avec Ariel Garcia Valdès. Philippe Morier-Genoud jouait le rôle. Je l’ai repris dans la foulée, toujours à Grenoble, mais on peut dire que c’était quasiment la même version. Je l’ai mis en scène quinze années plus tard à mon arrivée au Théâtre de l’Odéon à Paris.


Remettre ainsi régulièrement l’ouvrage sur le métier n’est pas anodin, comment est ce que le regard sur l’œuvre évolue ?


C’est à chaque fois différent. Il y a des « pièces monde », comme on peut parler de « roman monde » comme l’Orestie, le Faust de Goethe, La Tempête de Shakes-peare... une dizaine de pièces qui brassent absolument tout le destin de l’homme, les problèmes politiques, les problèmes amoureux, sexuels, les questions de pouvoir ou économique... En les lisant, en les voyant, on a l’impression que le monde entier est exposé sur la scène. Dans Lear les récits, les niveaux d’écritures sont très différents les uns des autres, c’est merveilleux, la langue que parle Gloster n’est pas la même que celle du fou, de Cordélia ou bien encore de Kent. Alors en termes de pure jouissance de l’art, de la matière écrite, travailler ces grandes disparités langagières est sensationnel.
C’est pour cela que l’on se donne rendez-vous tous les quinze ans ! J’ai envie de la revisiter, de la relire, de la voir...


Elle me permet de faire le point sur moi, j’imagine que j’insisterai sur des aspects différents d’il y a quinze ans mais il est étonnant lorsque l’on s’y replonge de constater que les intuitions de la première fois resurgissent. Il s’agit alors soit de les approfondir soit de les rendre encore plus jouissives théâtralement car, dans le fond, la matière première est l’acteur. Je suis très heureux que l’on puisse avoir cette rencontre avec Jacques. Ce sera la première fois.


Dans votre note d’intention vous évoquez la folie, il faut être fou pour mettre en scène Lear ?


Au contraire, il faut être très lucide et attentif à ce qui se raconte. Lear est une pièce sur la démesure, sur l’excès, tous les personnages débordent d’eux-mêmes. Ils ne savent plus ce qu’il faut faire soit par passion politique, soit par passion amoureuse ou morale. Ils pénètrent des territoires inconnus pour eux et ils seront menés au drame et à la mort. Lorsqu’à la fin Edgard se retrouve seul, c’est l’hécatombe autour de lui. Il n’y a que des morts.


Un théâtre d’une telle démesure permet-il d’organiser la folie du monde ?


Il permet surtout de la toucher du doigt et de comprendre que l’homme est un être excessif. Levy Strauss a fait cette distinction entre l’histoire froide et l’histoire chaude. Les tribus qui reproduisent à l’infini les mêmes rituels et celles dont l’histoire avance par bonds et par excès. Cette pièce nous permet de comprendre que rien n’est jamais simple, on retrouve la phrase dans Hamlet : « le monde est hors de ses gonds ». Rien n’est jamais stable. Au début tout devrait aller formidablement bien au royaume de Lear. Une très belle soirée s’annonce, le roi va partager son royaume en trois, ses trois filles lui diront qu’elles l’adorent. On fera la fête et tout est bien qui finira bien. Mais là... il n’y a pas de pièce. Alors le simple « non » de Cordélia, un mot, un petit mot dit avec douceur, ni arrogant, ni violent, mais dit avec vérité, « non », et tout se met en route, tout se déglingue, la catastrophe historique est là. Le « non » de Cordélia résonne dans toute l’histoire du théâtre de manière sensationnelle.


  • Propos recueillis par Hervé Pons pour le Théâtre de la Ville
imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.

Loading…
Loading the web debug toolbar…
Attempt #