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Harvey

+ d'infos sur le texte de Mary Chase traduit par Agathe Mélinand
mise en scène Laurent Pelly

: Dans le terrier du lapin

Entretien entre Laurent Pelly et Agathe Mélinand

  • Elwood : La réalité ? Je me suis battu contre la réalité toute ma vie, docteur et je suis heureux de l’avoir enfin emporté.

Agathe Mélinand : — Comment as-tu découvert Harvey ?


Laurent Pelly : — Il y a plusieurs années, j’ai vu le film de Henry Koster1 qui m’avait ému et intrigué. Il était évident qu’il s’agissait de l’adaptation d’une pièce de théâtre et il a été facile de la retrouver vu son énorme succès aux États-Unis et le fait que Mary Chase ait obtenu le prix Pulitzer...


AM :
– Tu m’as donc fait voir le film et j’ai, comme toi, été touchée et plus que séduite par la prestation déjantée de James Stewart. A ta demande, j’ai traduit la pièce méconnue en France.
Mais pourquoi Harvey a-t-elle attiré ton attention, suscité ton désir ?


LP :
– Parce que c’est une comédie qui laisse le pouvoir à l’imagination et au rêve tout en grinçant de tous ses rebondissements... Harvey aborde les thèmes de la différence, de la tolérance aussi et de la solitude, beaucoup. Mary Chase pointe un monde insupportable où l’incommunicabilité pèse. L’ami Harvey est un facteur d’optimisme qui déboule dans cette société rétrécie ....


AM :
– Mais elle prend pour peindre ce monde, le biais de la comédie folle et de la poésie tout en se cachant sous la forme d’une pièce classique comme celles qu’on jouait à Broadway pendant ces années-là... Harvey avance sous le masque d’un conte presque pour enfant ou d’une comédie de boulevard et le tord et fait dévier le sujet. Mais qui est Harvey ?


LP :
– Harvey est un pooka.


AM :
– Mais encore ?


LP :
– Une créature, un génie, venu de la mythologie celte.


AM :
– Mary Chase avait des ancêtres irlandais. On dit qu’Harvey serait venu de contes qu’on lui racontait, enfant.


LP :
– Un pooka est un esprit féérique, un génie sous une forme animale, capable de se transformer en tout et n’importe quoi. Il est rusé, il est cruel. Dans la pièce, il prend la forme d’un immense lapin blanc même si on ne le voit pas.


AM :
– Ce lapin existe-t-il ? 1 Harvey de Henry Koster – 1950 avec James Stewart et Joséphine Hull (oscar de la meilleure actrice)


LP :
– On ne sait pas, c’est mystérieux et c’est cela qui est touchant. Harvey est sans doute la part secrète et intime de chacun de nous. Il permet peut-être à Elwood de supporter la réalité.


AM :
– Pour toi, il est la part d’inconnu secret, d’évasion mentale ? Comme l’incarnation de l’imagination ?


LP :
– Oui, l’incarnation de l’art et de la poésie.


AM :
– C’était l’intérêt du travail de traduction. Garder le rythme fou du comique de Mary Chase et ne pas rater sa douce poésie rêveuse. On se demande comment cette journaliste a eu, un jour, l’idée de raconter cette folle histoire d’homme et de lapin. Elle dit qu’elle avait fait un rêve, elle raconte ses souvenirs d’histoires entendues enfant. Mais partir de rêves, de contes et légendes et, en arriver à ce tableau humain, éminemment social et comique et jusqu’au tableau de la psychiatrie... La description des soins psychiatriques dans les années 40 doit être une donnée importante dans la construction de sa pièce.


LP :
– Oui, mais la psychiatrie a heureusement évolué et ce qui est décrit devient plutôt un levier comique qu’un reportage au cœur des asiles...


AM :
– Ce n’est pas comme le Tennessee Williams de Soudain l’été dernier...


LP :
– Absolument pas. Chez Mary Chase, c’est un prétexte au burlesque. Mais la pièce est plus profonde qu’elle n’y paraît.


AM :
– Elle est profonde et inquiétante. Une seule injection peut vous faire rentrer dans le rang, vous faire perdre l’enfance et tous vos amis imaginaires... Mais Elwood n’est-il pas qu’un alcoolique, un pilier de bar ? Que représente-t-il, pour toi ?


LP :
– Pour moi, il est le poète. Par la présence d’Harvey, son ami, sa création, Elwood remet en question tous les ordres et les constructions. Par sa gentillesse et son charme il a presque une fonction curative et, sans le vouloir, trouve des solutions. Il est l’enfance, sage et turbulente


AM :
– Il est aussi un personnage en creux, comme ces héros mythologiques qui voyagent dans le monde antique et révèlent les autres. Un aède américain... Mais comment traiter, aujourd’hui, la folle histoire d’Elwood et d’Harvey ?


LP :
– Il est, selon moi, obligatoire d’échapper au réalisme, d’utiliser les codes de la comédie bourgeoise tout en les tordant. Que représentons-nous ? Le regard d’Elwood ? Les personnages et les décors sont-ils déformés par son imagination, par sa folie ?


AM :
– Est-il seul au milieu d’un monde hostile ?


LP :
– Il ne peut pas être seul puisqu’il a Harvey


AM :
– Harvey qui le secoue et le protège depuis des années...


LP :
– Le lieu imaginé pour la représentation réunit l’esprit embrouillé du personnage et des bribes de réalité tangible, précise ou flottante.


AM :
– Un univers où les meubles qui se dérobent ne sont que la vitrine de la sécurité bourgeoise et de ses conventions...


LP :
– L’alternance entre le confort faussement sécurisant de la maison familiale et l’inconnu froid et glaçant de la clinique psychiatrique privée.


AM :
– Pourtant, Elwood n’a pas l’air traumatisé par cette ambiance


LP :
– Oui. Parce qu’avec Harvey, il peut s’accommoder de toutes les situations et de tous les lieux.
Mêmes les plus dangereux ou difficiles.


AM :
– Harvey est donc une part de lui-même ? Une béquille un peu mal embouchée qui l’aide à supporter le monde ?


LP :
– Il serait dommage de répondre à cette question comme il est impossible d’analyser ce qu’est la poésie. Immédiatement, elle se dérobe et perd sa magie. Pour moi, la chose la plus importante est le mystère.


AM :
– Oui, le mystère... Et le sens de l’humour...


LP :
– Jacques Gamblin a en lui cette part de mystère, d’enfance et de poésie.


AM :
– De burlesque et de virtuosité.


LP :
– De charme. Elwood est profondément charmeur mais il a aussi une part de noirceur inquiétante...


AM :
– Qui est peut-être la folie.


  • Propos recueillis par Agathe Mélinand
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