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Exécuteur 14

+ d'infos sur le texte de Adel Hakim
mise en scène Tatiana Vialle

: Entretien avec Tatiana Vialle et Swan Arlaud

Tatiana Vialle, après Une femme à Berlin, c’est encore la guerre qui vous intéresse ici, l’intérieur du crâne d’un guerrier... Est-ce un sujet obsessionnel ?


Tatiana Vialle : Oui, sans doute, je ne peux pas le nier, mais ça a longtemps été inconscient. J’ai découvert très tard que mon père avait fait la guerre d’Algérie et que beaucoup de ses démons venaient de là. Il n’en a jamais parlé. C’est quand mon fils aîné a eu dix-huit ans que j’ai réalisé que c’était à peu près le moment où mon père avait été confronté à la guerre, et que j’ai commencé à me questionner sur ce que la guerre fait aux hommes et aux femmes, d’ailleurs d’une autre façon, comment elle les change au plus profond d’eux-mêmes, de quelle façon elle bouleverse la vie des gens, modifie les comportements, réveille en nous l’inhumain. Cette obsession est née du désir de comprendre, d’imaginer ce que mon père a pu vivre alors qu’il était encore presque un enfant.


Swann Arlaud, ce projet vient de vous... Comment avez-vous découvert ce texte, et que vous a-t-il inspiré, quelles images, à sa lecture ?


Swann Arlaud : Ma mère m’a traîné au théâtre un soir quand j’avais 15 ans, aux Quartiers d’Ivry, voir Exécuteur 14 joué par Jean-Quentin Châtelain. À cet âge-là, le théâtre c’était pas trop mon truc. Pourtant la pièce m’a profondément marqué, je ne saurais dire précisément pourquoi, le jeu de Jean-Quentin, dérangeant, étranger et si proche. Cette langue... Adel Hakim a inventé ici un langage, à la fois très moderne, universel, et musical, comme du rap. Après la représentation, j’ai acheté le texte. Je l’ai gardé depuis, j’ai toujours su où il se trouvait dans ma bibliothèque. J’en ai même fait une illustration à l’École des Arts Déco. Il y a deux ou trois ans, 20 ans plus tard donc, Tatiana me dit : « J’ai envie de te mettre en scène, qu’est-ce que tu voudrais jouer ? »
J’ai immédiatement su. L’image qui me vient, c’est la cartographie mentale d’un homme en état de guerre. Ensuite, quand on a commencé le travail, je me suis rendu compte que le texte était bien plus compliqué qu’il n’en avait l’air, difficile aussi d’oublier la musique de Jean-Quentin dont je me souviens encore.


Tatiana Vialle, cet homme est-il innocent ou coupable ? Peut-on être innocent en temps de guerre quand on prend les armes ?


Tatiana Vialle : Non bien sûr, il n’est pas innocent mais c’est la guerre elle-même qui en fait un coupable. Au départ, ce jeune homme n’a aucun instinct guerrier, il ne veut pas être mêlé à la guerre, il l’évite. C’est elle qui vient à lui, qui l’atteint et c’est ça qui va le mettre en état de guerre, le faire basculer et en faire un coupable.
Adel Hakim nous entraîne dans sa pensée. Il cherche à nous faire comprendre comment on peut devenir un bourreau. Il ne s’agit pas de l’excuser, d’atténuer sa culpabilité mais juste de constater que tous nous pourrions être à sa place. Ce qui m’intéresse dans le travail qu’on fait avec Swann, c’est de garder une part d’enfance, d’innocence, de naïveté, de douceur. J’aimerais que le spectateur en arrive à se poser la question : « Qu’aurais-je fait à sa place ? »


Swann Arlaud, vous êtes seul en scène, à qui vous adressez-vous ? À nous, public, à un monde imaginaire ?


Swann Arlaud : Oui, le texte est une adresse au public, comme ces personnes dans la rue qui argumentent, divaguent, insultent les gens qui passent devant eux, sans qu’on sache bien s’ils les voient. C’est un homme à l’arrêt, dans un lieu de passage, il s’adresse au monde mais à personne en particulier. Si l’on croise son regard, on se rend compte qu’il est ailleurs, il parle d’ailleurs, depuis un autre monde, la mort peut-être. Face à nous il tente de remettre sa mémoire en ordre, de retracer le fil de son existence. Parfois il se perd et se parle à lui-même.


Tatiana Vialle, comment la représenterez-vous, cette guerre ? Verrons-nous la guerre qu’il traverse, qui le hante ?


Tatiana Vialle : La guerre qui le hante est pour lui dans le passé, il raconte des faits qui ont eu lieu, il n’est pas au présent. Cette guerre, on la verra dans ses yeux, on l’imaginera à travers les mots qu’il prononce. Il me semble que toute représentation concrète viendrait amoindrir son discours. Et puis cette guerre, je l’aimerais universelle, le texte évoque la guerre du Liban mais il n’y a aucune référence précise. C’est peut-être une guerre qui n’a pas encore eu lieu, une guerre du futur. C’est ce qui m’a frappée en relisant le texte, sa modernité, mais aussi quelque chose qui semble prémonitoire, qui se rapproche de nous.


Swann Arlaud, que lui est-il arrivé, quelle est cette guerre dont il parle ? Où a-t-elle lieu et quand ?


Swann Arlaud : Il a perdu sa femme, elle a été violée et tuée sous ses yeux. Il a commencé à croire, il est entré dans le combat. La guerre qui a largement inspiré ce texte, c’est celle du Liban, de 75 à 90. Mais telle qu’elle est écrite, la pièce parle de n’importe quelle guerre, ce pourrait être ici dans 5 ou 10 ans à peine... Ce pourrait être aujourd’hui, quelque part sur la terre.


  • Propos recueillis par Pierre Notte
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