theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Derniers remords (.) »

Derniers remords (.)

mise en scène Cédric Veschambre

: Regard sur la pièce

Pierre, Paul et Hélène donc. Deux hommes et une femme qui se sont aimés. Une vie en commun, dans une maison achetée en commun, vers 68. Un temps et à un âge (vers 20 ans) où la propriété n'était à leurs yeux qu'une convention bourgeoise. Vingt ans plus tard (87, date de l’écriture de la pièce). Pierre, Paul et Hélène vont tenter de faire la part des choses. S'entendre sur ce qui s'est passé et partager les tors. Mais le partage oscille entre la mise en commun (le refus de distinguer entre ma part et la tienne) et la distribution à chacun de son dû (trancher entre tien et mien, et chacun, désormais seul). Ces retrouvailles mesurent ironiquement la distance entre l'utopie d’une vie ensemble et la "réalité" d’une vie rangée. Jean-Luc Lagarce règle ses comptes avec une génération qui semble avoir eu du mal à grandir. Quarante ans après 68, vingt ans après l’écriture de la pièce, à une heure où le politique affirme la primauté de l’individualisme, ces retrouvailles des amis d’hier interrogent, leurs idéaux, les jeunesses, y mettent fin, tentent d’y mettre fin, hésitent à y mettre fin.


« Un jour, on se dit que jamais plus on ne retournera dans cet endroit où on a vécu, avec ces gens qu'on croyait garder tout le reste de l'existence, on croit cela, on se le répète pour s'en persuader, c'est une des nombreuses décisions définitives qu'on croit prendre. » Jean-Luc Lagarce


Derniers remords avant l'oubli, c'est cette décision et les malentendus, les détours, la tricherie (rempart à la peur), le sentiment de la vitesse de notre vie, et du rêve perdu dans son sillage. Des amours, des souvenirs, non-dits chargeant ce lieu où le vécu et le devenir de chaque personnage est questionné. (De quoi nous questionner nous-même.) Vivre a été partir, et l’avenir sera ailleurs. C’est dans ce lieu sans vie, sans devenir de vie, un lieu mort chargé de la vie d’hier, une pause, que chaque voie personnelle se trouve confrontée à l’autre. Chacun joue la mise en échec de l’autre et tente de faire de son devenir le meilleur des possibles. Chez Jean-Luc Lagarce tout se dit, s’appuie sur le verbe, par sédimentations, par traces. Un temps de questionnements, de bilans, de regards. C’est un retour sur les lieux, sur soi, sur les autres, regarder, regarder les autres et se regarder soi-même. Une langue pour le théâtre, où le spectateur à son tour regarde les comédiens. Un temps qui correspond au temps du théâtre. Puis, il y a les jeux de sens et l’humour du symbolique qui se glissent.


Les « Remors » sont les vers qui rongent la conscience. Ils sont la douleur, la honte, sans apaisement ni pardon, d’avoir agi contre la morale. Une offense (sociale? à Dieu?) avec le propos de ne pas recommencer. Il s’agit alors de chercher la faute : le trio amoureux ? La première fille ? L’abandon de l’un par les autres ? L’abandon d’un autre par Hélène ? Ne pas avoir réussi sa vie professionnelle ? Ne pas avoir assez de culture ? S’inquiéter du matériel ? S’inquiéter de son avenir ?


L’oubli est une défaillance temporaire ou définitive de la mémoire résultant soit d’une sélection opérée par la conscience soit d’une pathologie. Ainsi, les figures s’opposent sur ces deux types d’oubli ou de volonté d’oubli. L’oubli aussi comme la disparition de souvenirs dans la mémoire collective. Ou tout bêtement le fait de ne pas effectuer ce qu’on devait faire ou de ne pas tenir compte d’une règle (bienséance). Des abandons, des manquements, des inadvertances / inattentions / distractions / négligences (des omissions ?) qui surgissent tout au long de cette pièce. C’est aussi le fait de ne pas prendre en considération quelqu’un par mépris ou indifférence (autre oubli) ou encore l’oubli de soi-même dans l’amour, l’abnégation.


« Telle est la récompense infini de l’amour : un oubli de soi. » Suarès.


L’oubli est aussi ce lieu fictif où se retrouveraient les souvenirs non évoqués, les êtres et les évènements dont les hommes ne gardent pas la mémoire, le Léthé, fleuve de l’oubli. Et preuve que Jean-Luc Lagarce se joue des références, il place ces retrouvailles et ce délicieux temps de souvenirs et de reproches un dimanche et l’oublie (l’hostie non consacrée en rémission des péchés) doit trouver sa place autour de cette histoire.


« Au nom de quoi, les biens, les cœurs ou les rêves se laisseraient-ils liquider ? » Jean-Luc Lagarce


Cédric Veschambre, août 2007

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.

Loading…
Loading the web debug toolbar…
Attempt #