: Entretien avec Lazare
Entretien réalisé par Fanny Mentré
Pour écrire Cœur instamment dénudé, tu t’es inspiré du mythe de Psyché qui trouve son origine dans Les Métamorphoses d’Apulée écrit entre 160 et 180. Peux-tu parler de ce mythe originel ? Qu’as-tu voulu en conserver ?
Dans la première partie de Cœur instamment dénudé, j’ai gardé l’ossature du conte : Psyché,
une jeune fille est le centre rayonnant de toutes
les attentions − à tel point que la déesse Vénus
se sent éclipsée, en devient folle de jalousie et
demande au dieu Cupidon, son fils, de lui décocher
une flèche pour la rendre amoureuse du type le
plus abominable. Mais Cupidon tombe lui-même
amoureux de Psyché, alors avec la complicité du
vent Zéphyr, il l’enlève pour l’emmener dans un
palais magnifique, en cachette de sa mère. La nuit,
Cupidon, invisible, rejoint Psyché et elle ne doit
jamais chercher à le voir ni à savoir qui il est. Bien
qu’émerveillée par toutes les splendeurs mises
à sa disposition, Psyché commence à s’ennuyer
et souhaite revoir sa famille. Ses sœurs arrivent
à la convaincre que cet amant invisible n’est
rien d’autre qu’un monstre, un serpent : il faut le
démasquer et le tuer. Une nuit, Psyché enfreint
l’interdiction, elle éclaire Cupidon, découvre le
visage de l’amour, mais sa lampe coule et de
l’huile brûlante se déverse sur l’épaule du dieu, qui
s’enfuit fâché... laissant la pauvre Psyché blessée
d’une flèche dans le cœur.
Donc, dans le mythe comme dans la pièce, il est
question du désir, de l’amour, de sa brutalité
quand il nous atteint. Il est question de sa
puissance d’enseignement : le véritable amour
est à la fois invisible, imprévisible et capable de
nous faire voir le monde autrement. C’est un
bouleversement profond.
J’ai gardé les éléments du conte parce que j’aime
la dimension fantastique, j’aime qu’il soit aussi
question de la puissance d’assujettissement des
dieux sur les humains. Mais Cœur instamment
dénudé est une réécriture du mythe qui parle
avant tout de notre monde : aujourd’hui, par quoi
sommes-nous assujettis ? Quels sont les nouveaux
dieux que nous subissons mais aussi que nous
créons nous-mêmes ?
Peux-tu parler, justement, de cette réécriture, notamment au travers des personnages ? Que représente pour toi Psyché ?
a Psyché est différente de celle d’Apulée. Dans le
conte antique, c’est une jeune fille qui subit tout ce
qui lui arrive, elle est entièrement gouvernée par
les autres. Dans Cœur instamment dénudé, Psyché
est devenue un personnage kafkaïen, dans le sens
où elle réfléchit beaucoup, elle pense le monde
− y compris celui à venir, sa violence. Elle a du
mal à parler et agir de manière « sociable » parce
qu’elle est cernée de questionnements. Psyché est
une héroïne comme Prométhée est un héros qui
apporte le feu aux humains, avec sa lampe elle
va traverser le monde mystérieux et sacré des
divinités, les souterrains des enfers.
Psyché de Cœur instamment dénudé vient casser
le conte en quelque sorte. Comme Heiner Müller
peut venir casser un mythe pour l’ausculter
de l’intérieur. Psyché va chercher à éclairer
son inconscient. Il y a en elle un caractère
révolutionnaire. La figure de Louise Michel
enfant m’a beaucoup travaillé. Née enfant
illégitime d’une gouvernante, elle fut éduquée
par ses grands -parents, des aristocrates fauchés,
érudits, héritiers des Lumières et passionnés
de musique. Dans ses mémoires, Louise Michel
raconte qu’à l’âge de treize ans, son grand -père
lui fait lire attentivement L’École des femmes de
Molière − l’histoire d’une enfant mise à l’écart
de la société par un homme qui veut l’épouser.
Quand des vieux prétendants se présentent pour la
demander en mariage, bien que très jeune, Louise
Michel est «armée » et capable de dire «je ne serai
pas ta chose ». Cela m’a touché, et le début de
Cœur Instamment dénudé s’inspire de la pièce de
Molière et de cet épisode de la vie de Louise Michel.
Dans le récit originel, Psyché, à son retour des
enfers, serait détentrice du flacon de l’éternelle
beauté. Dans ma version, elle se met en quête
de la disquette de l’éternelle mémoire. Chez les
Grecs, quand on faisait quelque chose de fort,
de beau, on voulait l’inscrire dans la mémoire.
J’aimais cette idée que la beauté ne soit pas qu’un
attribut physique.
Et comment vois-tu Vénus, pour qui Psyché incarne la rivale qu’il faut détruire ?
J’ai une immense tendresse pour Vénus, qui
incarne l’idée que nous puissions être possédés
par des forces qui nous dépassent. On peut la voir
comme la « méchante » de cette histoire, mais ce
n’est pas si simple.
Vénus qui porte en elle la puissance magique du
désir et veut rester dans les yeux des amants,
sent que Psyché va prendre sa place : la poésie va
disparaître face à la flamme de la lumière et de la
compréhension, qui peut consumer les êtres.
Vénus, c’est une figure ancienne, qui a eu un rôle
d’intercesseur entre l’humain et ses émotions trop
grandes. Elle sent venu le moment où elle va être
remplacée par Psyché − on pourrait dire qu’elle
pressent l’arrivée de Freud et la psychanalyse !
Psyché a besoin de chercher, de tout comprendre.
Faut-il vouloir tout comprendre ? Psyché va voir le
visage de son amant, elle va découvrir la vérité,
découvrir qui est l’être qu’elle aime, ou plutôt le
dieu. Mais qui sait quel autre visage se trouve
derrière celui qu’elle voit ? Le royaume de la clarté
est aussi un leurre. Aujourd’hui, on est envahis
de discours sur la « clarté », mais qu’est-ce que
ça signifie ?
Dans ce combat entre Psyché et Vénus, je ne veux
pas trancher. Ce serait trop simple de penser que
Vénus est une déesse qui abuse de ses pouvoirs
face à une Psyché rayonnante de jeunesse qui
incarnerait la beauté de la modernité. Pour te
donner un exemple concret, Vénus pourrait être
une actrice qu’on ne voit plus sur scène parce
qu’elle ne serait plus à la mode, son phrasé issu
d’un courant passé du théâtre ne conviendrait plus,
pas assez fraîche et jeune, elle n’aurait pas sa place
dans les écritures contemporaines privilégiant les
thématiques d’actualité à la poésie.
Ce monde archaïque, faut-il le faire disparaître,
vouloir tout éclairer, tout mettre à jour ? Faut-il abolir le mystère de l’existence et sa puissance
au profit d’une science porteuse d’un progrès
qui, au final, peut nier et empêcher toute liberté ?
La question de la modernité, de la technologie, de
son pouvoir sur les êtres rejoint celle de l’amour :
est-ce une liberté ou une prison ?
Et notre Vénus, c’est aussi une mère en train de
perdre son ascendant sur son fils. Elle est prise à
son propre piège quand elle demande à Cupidon
d’envoyer une flèche pour que Psyché s’entiche
d’un idiot. C’est son fils qui se blesse et tombe
follement amoureux, au point de lui désobéir.
Vénus peut être celle qui enferme : on peut être
emprisonné par notre narcissisme ou notre amour,
cette question traverse la pièce.
Ce personnage de Cupidon, son fils, comment l’as-tu abordé ?
Cupidon est celui qui tire la flèche de l’arc-en-ciel,
qui atteint en plein corps et vient imposer l’amour.
Il tend son arc, atteint sa cible et, d’emblée, c’est un
spectacle : des drames, des catastrophes, des joies,
des bonheurs... Cupidon, c’est une pulsion, pas un
être humain. C’est une puissance, une passion qui
se déchaîne, qui n’a pas de rebord, qui surgit à
l’improviste, qui tisse les nuances de l’arc-en-ciel
dans les airs, qui vient amener la couleur dans une vie. Cupidon peut amener l’horreur comme
la couleur. Il n’est pas un homme, mais un dieu,
une force − comme sa mère, Vénus.
Cupidon, qui n’est habituellement jamais atteint
par l’amour, est un éternel enfant qui va, tout
à coup, essayer de devenir grand pour plaire à
Psyché. Il met tout en place en cachette de sa mère,
il se rend invisible pour séduire Psyché − Zéphyr, le
vent, l’aide −, il l’attire au « Palais sensuel », endroit
qui appartient à Vénus − dans le conte, c’est le
« Palais des chimères ». Psyché sort de sa banlieue
et va découvrir un monde de richesse, où tout est
sublime, voluptueux.une vie. Cupidon peut amener l’horreur comme
la couleur. Il n’est pas un homme, mais un dieu,
une force − comme sa mère, Vénus.une vie. Cupidon peut amener l’horreur comme
la couleur. Il n’est pas un homme, mais un dieu,
une force − comme sa mère, Vénus.
Cupidon, qui n’est habituellement jamais atteint
par l’amour, est un éternel enfant qui va, tout
à coup, essayer de devenir grand pour plaire à
Psyché. Il met tout en place en cachette de sa mère,
il se rend invisible pour séduire Psyché − Zéphyr, le
vent, l’aide −, il l’attire au « Palais sensuel », endroit
qui appartient à Vénus − dans le conte, c’est le
« Palais des chimères ». Psyché sort de sa banlieue
et va découvrir un monde de richesse, où tout est
sublime, voluptueux.
La question du fantasme est extrêmement
importante : comment chacun fantasme l’autre,
quelle histoire elle ou il se raconte à l’intérieur de
l’histoire. Cupidon est invisible quand il fait l’amour
à Psyché. Alors on peut s’interroger : est-ce un
fantasme de Psyché ? Est-elle consentante ? Est-ce
un viol ? À quel genre appartient ce rapport ? Est-il
purement magique ? Le jeu de l’invisibilité pose
cette question du consentement.
Quand des hommes se prennent pour des dieux
et s’imaginent pouvoir légitimement kidnapper
des femmes comme dans le conte, c’est
catastrophique ! Mais Cupidon n’est pas un homme,
c’est un dieu − et on pourrait pousser la chose
jusqu’à se dire qu’il est une création de Psyché.
Cupidon comme Vénus sont des figures très connues, Psyché un peu moins. Et il y a d’autres personnages autour : Zéphyr, le vent un peu charmeur un peu démon, le valet qui voudrait s’émanciper. Je m’amuse beaucoup avec les sœurs de Psyché, leur aigreur, leur jalousie quand elles découvrent qu’elle est amoureuse et vit dans le luxe. Comme dans les contes les objets parlent : le couteau refuse d’être un assassin et la lampe se réjouit de briller, de révéler. Vénus, ivre, débarque en Cadillac au « Palais sensuel » et fait un raffut de tous les diables quand elle comprend que Cupidon l’a trahie. Pour le punir, elle lui demande un loyer et l’oblige à faire des strip-teases pour ses copines... Il y a aussi des figures beckettiennes qui surgissent de l’absurdité d’un monde qui défait ses liens à l’humanité. Psyché va rencontrer un groupe de résistants aux dieux − les dieux qui ont mis le monde sur disquette. Parmi eux : le Capitaine Lyre − empruntant sa folie au roi Lear −, Serpillère, un hackeur, les Fillettes -criminelles − des braqueurs de coffres-forts, un oracle en galère, des enfants à la recherche du Poisson-pêche. Ces insurgés voudraient récréer du rêve, de l’imaginaire, réinventer le réel, un foyer de sens, de pensée, d’amour.
Comptes-tu utiliser la vidéo – le cinéma ou la prisevd’images en direct – comme tu l’as fait dans lesvprécédents spectacles ?
Non, il y a eu de la vidéo dans mes deux derniers spectacles − Sombre Rivière et Je m’appelle Ismaël − mais là j’ai décidé que ce ne sera pas le cas. Avec le confinement, on a assez vu d’écrans. Je veux remettre les acteurs au cœur du dispositif. Et je me laisse une carte d’improvisation : à chaque moment, je peux débouler sur le plateau et improviser. Je veux garder l’idée de l’instant, ce qui se passe « instamment », qui va arriver. L’espace de l’inventivité. Je peux tout à fait envisager de dire des poèmes au milieu des gens avant leur entrée en salle, ou même au bar ! Mais on verra...
Combien vois-tu de parties et que représentent-elles ?
Le conte d’Apulée se divise en trois : le monde des
dieux, le monde terrestre et les souterrains des
enfers. Même si je veux casser le conte − dans le
sens Müllerien −, j’ai besoin de le remettre en jeu,
pour voir aussi ses beautés, reconnaître dans son
architecture et sa fantaisie ce qui subsiste et nous
a charmés.
Dans Cœur instamment dénudé le monde des
dieux prend feu assez rapidement, on bascule
dans une époque franchement contemporaine,
voire futuriste ; le monde terrestre et l’enfer
sont entremêlés.
Il s’agit de voir se construire petit à petit la liberté
de Psyché. Elle traverse des épreuves, elle tombe
dans le filet de la société du paraître. Elle est
influençable et cède aux injonctions de ses sœurs.
Elle fait des erreurs, bien sûr. Elle va chercher la
lumière et voir le visage divin de Cupidon et, à
partir de cette révélation, elle va être bannie et
arriver en enfer sur terre : elle est exilée dans une
cité de la misère, « le zoo », où sont déposés les
largués qui ne savent ni lire ni écrire, ceux dont on
pense qu’ils ne servent à rien, les femmes qu’on
trouve trop vieilles, des toxicos et des dealers − ici,
le dieu Pan, gardien de ce troupeau des réprouvés,
vend de la drogue
Qu’est-ce qui crée un « destin » ? La question de la
« sélection » se pose évidemment. La pièce parle
d’une société où des gens n’ont pas leur place, sont
relégués en périphérie. Dans ce monde des enfers,
il y a des caméras partout, des robots identifiants.
Il y a aussi des secrets de la grande Histoire enfouis
dans des caves, comme les massacres de Sétif et
Guelma... Psyché doit traverser les cris du monde.
Les enfers, c’est l’envers du décor de notre monde
contemporain et de notre Histoire.
L’histoire de Psyché, c’est un parcours initiatique.
Elle va affronter des épreuves pour trouver son
propre chemin, se libérer du joug des dieux de
toutes sortes.
Tous tes écrits parlent de la séparation entre les êtres : comment la combattre ? Dans Cœur instamment dénudé, il me semble que tu abordes très clairement le danger de la technologie qui surveille et isole, du monde virtuel... Est-ce le fait d’avoir écrit notamment dans la période d’isolement liée au Covid qui t’a rendu plus sensible à la présence des écrans ?
Dans Je m’appelle Ismaël, on abordait déjà la
question de l’aliénation au monde virtuel, de
l’absence de contacts entre les êtres... Il se trouve
que c’est ce qu’on vit aujourd’hui, puissance mille
avec le Covid.
Quand j’écris, ce qui m’intéresse, c’est l’inconnu,
faire un effort pour aller au-delà du monde
compris, du monde réel. Le théâtre m’intéresse
dans ce qu’il peut avoir d’oraculaire et ce que
j’écris va toujours au-delà de moi. Ce que j’appelle
l’oraculaire, c’est voir comment ce qui est lointain
voisine avec ce qui va se jouer dans un futur plus ou moins proche. Dans Au pied du mur sans porte
et Rabah Robert, il y a le « monstre » tapi dans
la cave, celui des histoires passées, qui pressent,
à la manière d’un sismographe, les attentats
à venir ; dans Rabah Robert, il y un chapitre sur
fond d’endettement économique qui se nomme...
« Les virus »....
Dans ce temps de l’écriture, à l’écart, on peut
sentir ou pressentir − sans être prophète − ce qui
va advenir. L’écriture est aussi un espace où peut
se ré-articuler une parole sur l’amour, sur le rapport
à l’autre.
Au départ, j’ai pensé au mythe de Psyché parce
qu’il y a l’idée d’un monde où il est complexe de
retrouver la pensée, un monde où il est difficile de
démêler ce qui est « magique », artificiel, de ce qui
est réel. Dans le conte d’Apulée, il est question de
la puissance d’assujettissement des dieux sur les
humains. Et ce qui est beau, c’est qu’on voit leurs
ruses, leur mauvaise foi, leurs luttes internes et le
poids qu’ils ont sur les minuscules humains qu’ils
manipulent et pour qui ce qu’ils font reste un
mystère. Et aujourd’hui ? Une fois qu’on a cassé les
dieux, on devient responsables... Et qu’est-ce qu’on
fait de cette responsabilité ?
Aujourd’hui, il y aurait en chacun des êtres
connectés un petit dieu ou un héros. Sauf que ce petit dieu est impuissant, isolé derrière des
barreaux invisibles. Comment retrouver le goût
de sortir, s’évader, se retrouver ? Il y a cette prison
sans cage dans laquelle on a grandi, qui nous
donne le sentiment d’être liés aux autres, au
monde entier. On a beaucoup de mal à échapper
à ces réseaux sociaux qui nous ont bouclés dans
notre amour-propre, en nous donnant le sentiment
que c’est ce que nous voulons.
Cupidon fonctionne un peu comme ça : il joue
avec l’illusion, il prend délicieusement l’attention
de Psyché, qu’il amène dans un royaume. Autour
d’elle, tout est beau − pour que son esprit soit
léger... Aujourd’hui, la publicité, la société de
consommation, sont là pour capturer l’attention de
nos synapses par des scintillements, pour qu’on ne
puisse plus se défendre de quoi que ce soit, pour
qu’on assiste à un spectacle sans y participer.
Dans Cœur instamment dénudé, c’est la question
de la société du spectacle qui est centrale. Celle
d’un monde marchand qui enseigne ses lois de
la beauté et ses lois de la frayeur, qui font que
chacun est sans arrêt mis en compétition. C’est
comme si la pensée − l’aller-retour entre conscient
et inconscient − était complètement éclatée par
des sollicitations multiples, comme si les nouvelles
divinités qui sont les écrans, la publicité, etc.,
pouvaient paralyser, méduser notre psyché, la refouler. Elle est vivante mais endormie quelque
part. On l’a droguée pour ne pas qu’elle s’ennuie, on
l’a mise devant des téléfilms et YouTube... Et cette
psyché, on n’aurait plus vraiment accès à elle.
Je me suis dit qu’il fallait « rappeler Psyché »,
la réveiller !
Et il fallait aussi rappeler Vénus, la déesse qui
favorise l’amour mais préside aussi à ses carnages.
Peux-tu parler du travail d’écriture? Comme toujours, tu sembles t’être donné une très grande liberté en écrivant des vers, de la prose, des chansons.
Il y a une multiplicité de formes et de rythmes, de
francs accents de comédie comme des choses plus
sombres...
Le théâtre me permet d’expérimenter ma liberté.
Bien sûr, j’aime l’humour et je veux pouvoir offrir
aux acteurs le bonheur de bouffées burlesques.
Dans Cœur instamment dénudé, j’ai beaucoup
écrit en vers − non académiques. Dans cette liberté
que tu évoques, il y a un travail de chaque mot,
chaque son. Par exemple, il m’est arrivé d’écrire
des passages entiers en vers mais de trouver
après coup que c’était trop volontaire. Alors, je
reprends le texte, pour redonner à l’inconscient
une part agissante. Je passe par différentes phases.
Je remarque que je reviens aux vers quand ma douleur est trop grande. Les vers, ça me permet de
mettre les voiles et partir loin. Et il y a toujours de la
musique dans mes spectacles, du chant; j’ai besoin
de beauté et de joie. Il y a quelque chose de vrai dans
la musique et le chant qui unit les êtres humains,
qui les ravive. On pourrait dire que je suis tiraillé
entre Heiner Müller et Jacques Demy! J’ai une âme
enfantine mais la vie m’oblige au combat contre
des choses. Dans la pièce, le groupe d’activistes,
Le capitaine lyre et les Fillettes -criminelles, vivent
dans un théâtre en ruines, mais le langage n’a pas
perdu sa puissance − celle de dire et faire advenir
des possibilités d’existence pour les humains.
La réalité est plus rude que le poème et le poème
naît de cette douleur face à la réalité. C’est la
confrontation entre les deux qui crée la faille qu’est
le théâtre.
J’écris de la poésie pour essayer d’atteindre quelque
chose qui est plus grand que nous. On provoque
des flux, on est entrainé par des rythmes, surgit de
la musique. On décoche des flèches et on ne sait
pas jusqu’où elles vont nous amener.
- Lazare. Entretien réalisé par Fanny Mentré, collaboratrice littéraire et artistique au TNS, le 6 mars 2021, réactualisé le 7 novembre 2021
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