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Cassé

+ d'infos sur le texte de Rémi De Vos
mise en scène Christophe Rauck

: Notes dramaturgiques

À propos de Cassé


Une comédie sur le travail. Une comédie sur le suicide au travail. C’est un peu regarder ce qui fonde notre société en en pointant les mécaniques à la fois absurdes et cyniques. Dans sa nouvelle pièce, Rémi De Vos nous peint des personnages en prise avec un monde du travail qui les exclut, les méprise, se joue d’eux. Petits personnages, petits rouages pour une tragédie immense où les enjeux de vie et de mort sont présents à chaque instant.


Alors que Christine vient de se faire licencier d’une usine d’électroménager, son mari, Frédéric, lui annonce, que suite à plusieurs vagues de suicide dans son entreprise, on lui confie des tâches de moins en moins importantes, de moins en moins reliées à sa formation de technicien en informatique. Il ne se plaint pas de cette mise au « placard », qui lui permet de retrouver le goût des contacts humains. Mais sa femme comprend qu’il s’agit d’une stratégie de sa direction pour le pousser à craquer et à démissionner de lui-même.


C’est l’organisation du travail dans sa dimension sournoise et barbare qui est ainsi au cœur de la pièce.
Le discours qui prédomine aujourd’hui est en effet un discours productiviste et de sacralisation du travail : un discours nécessaire pour faire accepter des emplois dégradés et dégradants.
« On a besoin d’une revalorisation d’autant plus symbolique et morale du travail qu’il paie d’autant moins économiquement. »


Au sujet du travail


Travailler sur la pièce nous a amené à pénétrer au cœur de l’organisation du travail, de ses mythologies et de ses contradictions.


L’évolution de la nature même du travail révèle un profond paradoxe : aujourd’hui, on demande aux salariés d’être de plus en plus autonomes en se soumettant sans cesse à davantage de contraintes. En effet, depuis toujours le travail est associé à l’idée de liberté. Tantôt synonyme d’esclavage s’opposant au travail intellectuel de l’homme libre (chez les Grecs), tantôt émancipateur et synonyme de progrès social. Et l’organisation du travail l’a bien compris, elle qui aujourd’hui, s’appuie sur cette notion de liberté pour mieux tenir l’individu.


Autonomie et contrôle, les deux versants d’une organisation invisible.


Les stratégies gestionnaires favorisent une plus grande autonomie des salariés et transforment ainsi chaque salarié en entrepreneur, individuellement responsable des missions qui lui sont confiées : le salarié est attaché à l’entreprise par un nouveau lien, un faisceau à la fois solide et souple.


L’entreprise moderne se fonde désormais sur l’idée de modulation continue (concept deleuzien) : modulation de l’usage du temps (ordinateur transportable, salarié affranchi des horaires légaux, on travaille sur des temps plus souples, chez soi etc.), modulation de l’espace (on peut travailler n’importe où, on évolue dans des espaces ouverts /open-space). Tout bouge, se remodule sans cesse (le contenu du travail, les objectifs). Si cette modulation génère une perpétuelle instabilité, elle procure également un sentiment de liberté.


À cette apparente autonomie favorable à un investissement total du salarié vient s’ajouter son pendant : la prédominance de la technologie informatique où l’ordinateur devient un outil central de travail.
La technologie informatique permet en effet un meilleur contrôle de chaque acte de travail et de sa durée. Les informations sont de plus en plus précises. Ainsi, la productivité exigée pour chaque employé est sans cesse réévaluée, et de façon toujours plus précise, et le salarié se voit alors assigner des objectifs sans cesse renouvelés à partir de ces informations (élaboration de statistiques permettant de réaliser des normes standard de travail et de recalculer les effectifs nécessaires avec une extrême précision).


Mais surtout, c’est l’employé lui-même qui déclenche cette opération de contrôle : son ordinateur est à la fois son outil de travail et un formidable outil de contrôle du salarié par lui-même.
On a donc un affinement extrême de la disciplinarisation, sans équivalent historique, une redéfinition du moule d’une précision inédite.


On retrouve là cet engagement inédit, cet investissement absolument indispensable du salarié dans son travail et dans son entreprise pour être à même d’accepter les conditions citées ci-dessus. C’est là toute la force et la perversité d’un système économique fondé sur un travail où chaque employé est plus autonome et à la fois se contrôle lui-même.



L’engagement, l’absorption du salarié


À travers une rhétorique des responsabilités (par la communication interne à l’entreprise, les chartes, les codes de déontologie) on cherche à persuader que l’entreprise est une communauté à part entière avec ses valeurs et ses exigences.
Travailler c’est bien plus que produire un bien ou un service, c’est aussi se conformer à un idéal d’éthique et de performance individuelle. L’entreprise s’appuie alors sur des rhétoriques qui allient source éthique et exigence de performance.
Le nouveau monde du travail exige donc un engagement total de soi, un réel don de soi, un rapport fusionnel (éthique, moral) au travail et à l’entreprise. Une foi. Notre société semble alors imposer le travail comme un nouveau Dieu, où s’impose cette idée forte et intégrée par chacun au plus profond de lui-même : ne pas appartenir à cette organisation-là, c’est être exclu du monde, c’est ne « plus exister ». Il paraît dès lors totalement impossible d’imaginer vivre en dehors.


L’organisation du travail associée au système capitaliste tient donc profondément l’individu, le tient dans son être même : en lui faisant croire qu’il est libre, qu’elle lui « offre » une plus grande autonomie et une plus grande souplesse dans son travail, elle instaure par là un lien redoutable où l’individu s’engage corps et âme dans le destin de l’entreprise. Mieux, il fait du destin de l’entreprise le sien propre.

Leslie Six

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