Le regard colonial pourrait-il s’immiscer jusque dans son travail d’acteur ? Tiburón est le récit de ces voyages sur l'île… par ce collectif mexicain qui avait déjà présenté Tijuana à Vidy.

Le 20 août 2019, l'acteur Lázaro Gabino Rodríguez entreprend un voyage sur l'île de Tiburón avec l'intention de reconstituer l'expérience vécue par José María de Barahona cinq cents ans plus tôt sur cette même terre. Le spectacle est le récit de ce voyage.

José María de Barahona était un missionnaire du XVIe siècle qui s'est rendu sur l'île de Tiburón, une île aujourd'hui mexicaine située dans le golfe de Californie, en provenance de Séville. Les éléments disponibles pour reconstituer sa vie sont rares ; la principale source est ce qu'il a écrit lui-même pendant son séjour sur l'île, rassemblé par Andrés Pérez de Ribas et publié dans son livre Triunfos de nuestra santa fe sobre estas tribus, las más barbaras del norte Triomphes de notre sainte foi sur ces tribus, les plus barbares du nord.

Lors de son séjour sur l'île et de sa rencontre avec le peuple Tocáriku, José María change radicalement sa compréhension du monde. Ces deux voyages – celui de Lázaro en 2019 et celui de José María au XVIe siècle – articulent le projet et produisent un cadre de recherche pour les trois sujets autour desquels gravite le projet:

1- La relation que les Mexicain·ne·s qui vivent dans les villes ont avec le passé et le présent des peuples indigènes qui étaient enfermés dans le territoire qui comprend l'État-nation actuel.

Quelles tensions entretiennent cette relation? Comment nous positionnons-nous, nous qui venons de territoires ayant une histoire coloniale et qui participons à des sociétés qui ont opprimé les peuples indigènes pendant des siècles? Quel lieu d'énonciation assumons-nous pour parler du passé et du présent? Comment la décolonisation a-t-elle été travaillée dans l'art ? Quelles complexités et quelles simplifications sont appliquées?

2- La crise de la foi dans certaines sociétés contemporaines et le discrédit des institutions qui étaient traditionnellement censées la guider.

Est-il possible de vivre sans croire? Quelles sont les racines de la foi dans la société que j'habite? Quels sont les rapports entre la foi, la démocratie et le capitalisme? Est-il possible d'agir sans croire? Comment pouvons-nous réfléchir à cette dimension de l'expérience humaine aujourd'hui?

3- L'agir comme mécanisme de connaissance et la fiction comme instrument de négociation avec la réalité.

Dans quelle mesure l'agir est-il quelque chose qui le vit? Pourquoi continuons-nous à considérer la fiction comme subordonnée à la réalité? À quoi la fiction pourrait-elle nous donner accès que la réalité nous interdit? De même que nous comprenons mieux notre pays lorsque nous nous en éloignons, la fiction n'est-elle pas le meilleur endroit pour appréhender la réalité?

Tiburón fait partie du projet La democracia en México 1965 - …: 50 ans après la publication du livre de Pablo González Casanova, La democracia en México (1965), nous cherchons à repenser la démocratie à la lumière de l'analyse faite il y a un demi-siècle. Ce projet est une recherche sur les idées qui soutiennent l'idéal démocratique et sur les expériences que produit la mise en œuvre de cet idéal. Il se base sur le fait que nous ne vivons pas une, mais de multiples expériences de la démocratie. Plus qu'une explication de la démocratie, La democracia en México 1965 - … est une implication avec la démocratie. Le projet est divisé en 32 parties, une pour chaque état de la République mexicaine. 32 visions d'un même pays. À ce jour, nous avons réalisé 8 projets de ce cycle dans différents formats, 2 pièces de théâtre, 1 conférence-performance, 1 film sonore en direct, une vidéo et un livre.