theatre-contemporain.net artcena.fr

Si bleue, si bleue, la mer

mise en scène Armel Veilhan

: Notes de mise en scène

Extraits des séances de travail : Juillet 2014 / mars 2015

« Une histoire d’amour ? Je crois que la pièce ne m’aurait pas intéressé sans la présence de l’amour, sans sentir ce rêve là : la possibilité d’aimer. Oui, mais malgré tout, ce qui nous a d’abord frappés, c’est la manière dont Si bleue, si bleue, la mer interrogeait le modèle allemand. L’auteur place l’action en banlieue, dans un « lotissement » comme on dit en Allemagne.


Mais cette réalité de la banlieue n’est pas, non plus, le centre de la pièce, comme c’est le cas dans La Haine de Mathieu Kassovitz par exemple.


Non, dans ce texte, un homme nous parle à partir de cet endroit, comme le personnage des Carnets du sous-sol de Dostoïevski nous parle depuis son sous-sol. On ressent dès les premières pages, qu’il y a un choix presque existentiel pour l’auteur de parler de l’endroit le plus « bas » du réel.


Ce « lotissement », cette banlieue où le pire se produit, Stockmann la « délivre » au travers de trois personnages, dont l’un, Darko, possède le don de raconter.


Dans un contexte où l’espoir « ne sert plus à rien », où la consolation est impossible, que pourrait-il rester ?


Faire le récit de sa vie comme pour mieux se l’approprier, propose Darko.
L’usage de la narration devient une nécessité, offrant aussi l’arme du rire et de l’ironie pour traverser ses marécages intérieurs. Une capacité, comme chez Bernhardt, à provoquer notre colère ou notre rire. Sois tu refermes le livre, soit tu acceptes de rire...


L’écriture est à la fois acide et poétique, éloignée du pathos et de la vision faussement omnisciente du concert médiatique qui nous sert un prêt-à-penser sur toute chose avec les codes émotionnels qui vont avec. Loin de tout psychologie, j’attends des acteurs qu’ils soient traversés par l’écriture, qu’ils la projettent au-delà même des murs du théâtre, pour l’Agora toute entière. Pour nous, il est urgent d’entendre la parole de cette génération d’exclus. «Une génération en survie » pour paraphraser Dostoïevski.


Car tout est refusé à ces personnages, même une promenade au zoo.
Darko et Mok (la jeune prostituée) savent tous les deux que, comme l’ours du zoo, ils sont condamnés s’ils ne se tirent pas rapidement de cet environnement qu’ils décrivent comme un camp.


Le parallélisme pourrait nous paraître insupportable, il n’en est pas moins fécond dans son analyse d’une organisation sociétale qui laisse une grande liberté à l’individu mais l’enferme tout autant dans des mécanismes de reproduction.


Comment (s’en) sortir, dépasser cette frontière aux bords de la Cité, que Darko décrit comme une barrière de flammes, qu’il aime à venir contempler sans parvenir à la franchir ?
J’ai souhaité un espace de jeu dépouillé qui dénonce la cage de scène.


Il faut faire confiance aux mots, à la parole, aux corps des acteurs.
Nous sommes saturés d’images, en général, et en particulier d’images de nos territoires. Des images qui ne racontent plus rien, viennent seulement polluer notre œil au quotidien et nous empêchent de voir au-delà des apparences.


Sur le plateau, on essaie de faire apparaître ce qui est à l’intérieur des personnages, leur paysage mental. Dans ce lieu vide, comme unique point de départ et d’arrivée, il y a un tabouret d’intérieur. Tout d’abord anodin pour le spectateur, il est le centre d’où la parole émerge. Il deviendra, par la suite, le lieu du secret familial.


La mère de Darko viendra y prendre place, comme à jamais anesthésiée de douleur. L’enfermement mental du personnage se trouve là, dans l’espace d’une mère qui a dévoré son fils à défaut d’avoir pu l’élever ? Avec le personnage de la mère, l’œuvre prend un autre visage, celui d’un conte. Darko, apparaît comme un enfant englué dans ses cauchemars.



Comme pour mieux appréhender sa peur et sa culpabilité, il nous raconte une histoire peuplée de personnages monstrueux, avec lesquels il apprend à jouer.


Plus on avance dans l’histoire et plus la question de la responsabilité personnelle du narrateur se dévoile. Il faut voir comment, dans la scène 8, scène vers laquelle toute l’histoire converge,où Darko parle avec Mok après qu’il lui ait présenté la mère (est-ce encore la sienne ? ), un silence assourdissant soudain explose.


Un silence amorti par la neige qui tombe simultanément sur la cité.


Un froid d’ailleurs omniprésent dans la pièce, comme un réservoir de sensations venues du Pôle Nord par lesquelles les situations se matérialisent, dégelées au fur et à mesure par les mots qui taillent une route dans la glace, trouent les murs de la cité et de la bonne conscience d’un pays qui offre aux yeux de l’Europe un taux de chômage inférieur à la moyenne de ses voisins.


Il était urgent de tenter de dire tout cela.


L’auteur de ces « carnets » et les « carnets » eux-mêmes sont certes imaginaires. Pourtant non seulement des hommes comme l’auteur des carnets peuvent exister, mais ils le doivent dans notre société au vu des circonstances dans lesquelles celle-ci s’est édifiée.
Fédor Dostoïevski, « Avertissement », aux Carnets du sous-sol.

Armel Veilhan et Clémence Bordier

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.

Loading…
Loading the web debug toolbar…
Attempt #