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Le Dernier ami

+ d'infos sur le texte de Eric Durnez

: Présentation

Trilogie


Lorsque j’ai remis à Thierry Lefèvre la première version du dernier ami, il m’a fait remarquer qu’elle constituait le troisième volet d’une trilogie autour de l’amitié.
C’est juste mais je ne l’avais pas remarqué.
Cette trilogie est constituée de Tam, du Voyage intraordinaire et donc de ce nouveau texte, Le dernier ami.
L’amitié n’y est pas forcément le sujet central, mais dans les trois textes, ce thème s’avère être un moteur dramatique, le point de départ de questionnements directs et indirects, le poisson pilote des émotions transmises au public.


Dans Tam, il s’agit d’une amitié enfantine, exclusive, qui va marquer l’existence du narrateur.
Dans Le voyage intraordinaire la thématique de l’amitié –une amitié d’adolescent cette fois- va s’affirmer à la fin de l’histoire, quand le narrateur se retrouve au chevet de son copain malade.
Dans le dernier ami, c’est une amitié entre deux adultes qui se réalise, imprévue et profonde.


Les narrateurs se ressemblent d’un texte à l’autre mais ce ne sont pas pour autant les mêmes personnages.
Il s’agit bien de trois nomades, de trois voyageurs solitaires. La figure du vagabond est un truchement périscopique qui permet à l’auteur de mettre son public (ou son lecteur) dans la position de celui qui découvre le monde avec une certaine (et bienvenue) naïveté.
Le vagabond est délivré du corset temporel et pratique la liberté de s’arrêter où il le veut, dans la durée qu’il décide.


Dans Tam, le narrateur raconte un épisode de son enfance et dévoile, vers la fin du texte, qu’il est devenu comédien (pour le jeune public). Il vit donc une vie « en tournée » qui le mène de villes en villages.


Dans Le voyage intraordinaire, la quête identitaire du narrateur, déclenchée par la remarque acerbe d’un de ses copains, prend la forme d’un voyage à pieds, ponctué d’étapes qui mettront le héros en relation avec des êtres plus ou moins « réalistes » dont il devra ultérieurement décrypter les messages, explicites ou non.


Dans Le dernier ami, le narrateur semble être un vagabond permanent, ayant rompu les amarres depuis longtemps et s’arrêtant dans le village où va se dérouler le récit, le temps d’y vivre pleinement l’épisode de sa rencontre improbable avec Sam, homme étrange et âpre, marqué par un passé pesant. Au début de la pièce, le narrateur nous avertit « quand mon dernier ami est mort, j’ai quitté le village ». Le dernier ? Est-ce à dire qu’il n’en aura plus d’autre ? Ou parle-t-on du « dernier ami en date » dans une existence de l’instant, qui se refuse à anticiper et à se laisser enfermer dans une infernale auto-programmation.


Le poids du passé


Nous n’apprendrons pas le prénom du narrateur du « Dernier ami », ni même son âge. Il se met en retrait et braque le projecteur sur Sam. En creux, on comprendra que cette rencontre l’a bouleversé et modifié le cours de son existence, le registre de ses perceptions, sa connaissance. Il nous livre néanmoins des indices et des éléments sur lui-même, surtout au début du texte. On soupçonne d’anciennes fêlures, des passes insupportables qui l’ont conduit à s’envoler. Avec Sam, il partage le goût de la poésie.
Il rencontre en Sam un homme qui n’est pas plus bavard que lui, qui peut même se montrer fruste et fermé. Dans le même temps, dans ce village au demeurant charmant, Sam est le premier à ouvrir sa porte à l’étranger, sans rien demander en échange, comme s’il s’agissait d’une conduite naturelle, une générosité élémentaire, quelque chose qui va de soi. De soi à l’autre.


Trois autres figures apparaissent dans l’histoire : une jeune femme, mystérieuse, dont l’histoire et les raisons de la présence ne seront pas éclaircies, laissant au récepteur le soin d’assembler indices et intuitions. Il y a ensuite le Père Simon, joyeux et tolérant centenaire, sorte de druide délabré qui prépare sa potion vineuse et mourra, sans vergogne et bien tranquillement, pendant le concert que donnera Sam. Enfin, il y a l’évocation de la grand-mère de Sam, femme exigeante et forte dont la fin tragique tracera le destin de Sam, par ailleurs orphelin, condition qui offre aux auteurs des avantages similaires à ceux du personnage-vagabond évoqués plus haut.


L’amitié ne se formule pas entre Sam et le narrateur. Elle se vit, elle se découvre au fil des jours, se révèle et monte en puissance jusqu’au récital que Sam décide de donner chez lui pour le village, que le narrateur aidera à organiser et qui fera descendre le récit vers la divulgation du secret de Sam.


Comme d’autres personnages des pièces que j’ai écrites pour Une Compagnie, (Katia dans Echange clarinette, Ella dans La maman du Prince, Manu, le narrateur de Tam…), Sam traîne avec lui un lourd boulet, une vieille histoire qui l’encombre et corrode sa confiance, risquant de le plonger dans l’aigreur ou la mélancolie.
Sam vit en quelque sorte une triple peine. Il perd sa grand-mère, assassinée par un inconnu de passage (comme quoi, tous les vagabonds ne sont pas célestes), il est accusé du meurtre ; quand il revient au village après avoir été innocenté, il est mis au ban par les habitants, incapables de se défaire du sentiment irrationnel que Sam est un individu dangereux, infréquentable par le simple fait d’avoir été accusé.
Néanmoins, et c’est sans doute cela qui marquera profondément le narrateur, Sam a quitté la colère. Il a fait le gros dos et garde, malgré la solitude et la relégation, une certaine foi en l’humain : « les gens finissent toujours par revenir à de meilleurs sentiments. »
Candeur ? Plutôt credo.


Cette possibilité de la guérison traverse beaucoup d’histoires que j’écris pour les adolescents. Ce n’est pas prémédité, ce n’est pas un sujet.
M’adressant à eux, je vais naturellement vers des récits où il y a un horizon après la tempête. Mais le cap ne nous est pas donné, nous ne sommes pas guidés par un quelconque enchantement. Nous devons traverser à la rame au risque de perdre la boussole.
Ou prendre des chemins de traverse. Des chemins qu’il faut tracer et qui n’existent que pour soi. Une liberté qu’il s’agit de construire pas à pas.
L’âge des possibles et des peurs/désirs, des transformations et des arrachements, est aussi celui de la tentation du conformisme, du suivisme, du repli, du recours aux cache-misères existentiels.


J’aime dire « ça ne dépend que de toi, de vous ».
Et je crois encore à la vertu des fables.

Eric Durnez

décembre 2012

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