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Couverture de Erich von Stroheim

Erich von Stroheim

de Christophe Pellet


Erich von Stroheim : Questions à Christophe Pellet

par Fanny Mentré

Fanny Mentré : Pourquoi avez-vous choisi de faire de l’acteur/réalisateur Erich von Stroheim le titre de votre pièce ? Que représente-t-il pour vous ?


Christophe Pellet : Le titre est symbolique : Erich von Stroheim n’apparaît pas dans la pièce, seuls son nom et son « aura » sont évoqués. Cet artiste − cet homme, c’est inséparable − représente pour moi le génie pornocrate brisé, l’a rmation de soi poussée jusqu’au sublime, où les frontières entre réel et ction sont abolies. Ce type de caractère ou d’individualité a rmée (héritée de Sade et se poursuivant jusqu’à Warhol), est profondément moderne.


Quand vous vous lancez dans un projet d’écriture, savez-vous d’emblée s’il s’agit de théâtre ou de cinéma ? Qu’est-ce qui fait, selon vous, qu’une écriture est théâtrale ou non ?


Je n’écris pas de scénario pour le cinéma ; lorsque je fais des lms, j’adapte parfois les textes des autres (Julien Thèves, Cesare Pavese) ou mes propres textes théâtraux...


En ce qui me concerne, la frontière entre théâtre et cinéma est poreuse : ils se nourrissent l’un et l’autre. J’aime les cinéastes qui ont une théâtralité forte : Visconti, Fassbinder, Minnelli, et d’une certaine manière Akerman et Duras, encore que pour ces deux cinéastes majeures, c’est la frontière entre littérature et cinéma qui est abolie. Mais les mots proférés dans les lms d’Akerman (dialogue ou voix off ) peuvent tout à fait l’être sur une scène et cela sans perdre leur puissance.

L’écriture théâtrale, comme cinématographique, est avant tout celle du poème : au théâtre cela passe en partie par les mots, et au cinéma par les mots aussi, mais surtout par le choix des cadres, de la lumière, des sons, des musiques et par l’agencement des plans, et à la n de tout : par le montage. La fable est un prétexte ou alors elle est au service d’un cinéma de pur divertissement ou de propagande (qui parfois se rejoignent, ils sont alors oublieux de sensations et avides de démonstration ou de manipulation, heureusement cela reste assez rare).


Quand vous écrivez, visualisez-vous un espace, des acteurs ?


Non, je visualise ma réalité, mon propre vécu, qui m’apparaît alors dans toute son absurdité, sa grandeur ou son étroitesse... bref : qui prend sens. C’est un espace intérieur, intime. Ensuite, comme je suis fasciné par les acteurs, dans un second temps, ceux-ci apparaissent de fait et bien sûr me transportent, m’élèvent. J’attends toujours avec impatience le surgissement de leurs corps, de leurs voix, et ce déplacement est un grand bonheur à chaque fois, c’est pour cela aussi que j’écris et je filme.


Qu’attendez-vous d’un metteur en scène ?


Qu’il rajoute son regard, sa propre écriture à la mienne. J’ai une profonde admiration pour les metteurs en scène, d’autant que je ne pratique pas la mise en scène de théâtre et que mes « mises en scènes » de cinéma sont très particulières. Alors je trouve remarquable qu’on puisse diriger une équipe et des acteurs.
J’attends d’être surpris et pourquoi pas éclairé et même obscurci par le metteur en scène ; Stanislas Nordey dit souvent qu’il met en scène des textes qui lui semblent des énigmes, des dé s... En ce qui me concerne, j’aime l’idée que la mise en scène de mes textes − qui sont assez clairs et prosaïques, voire triviaux −, soit elle-même un dé , une énigme : alors la clarté trop évidente de mes textes (avec leur fable et leur narration classique) peut révéler une part obscure, énigmatique, devenir une forme d’art. L’écriture du poème est ainsi : une énigme à laquelle chacun peut répondre selon sa lecture. L’art qui compte pour moi, c’est celui-là. Que ce soit celui de l’écriture ou de la mise en scène. Le théâtre, comme le cinéma, appelle une communauté de spectateurs. Donc un dispositif, primordial.
Et d’ailleurs, Balzac ou Brueghel ne sont-ils pas eux-mêmes des metteurs en scène de génie ? Metteurs en scène aussi certains artistes, de leur propre corps souvent, ou d’espaces qu’ils modi ent en les traversant (Marina Abramović, Anish Kapoor, Christo...)


Pour Erich von Stroheim, quel a été votre point de départ : un sujet, une situation, des personnages ?


Le point de départ, c’est toujours le réel, ma vie, celle de mes proches. Je ne pars que de là.


Comment avez-vous écrit la pièce ? (En combien de temps ? Aviez-vous un plan ? Avez-vous fait de nombreuses versions ? De nombreuses coupes ?)


En une quinzaine de jours. Avant l’écriture, je marche beaucoup, je construis dans ma tête des situations, « j’entends » des dialogues. Le rythme de la marche devient celui de l’écriture à venir.


ELLE/L’UN/L’AUTRE semblent être, au départ, un trio qui parvient à s’échapper des normes, trouver son équilibre. Puis le fait d’être « hors norme » semble impossible. Aviez-vous prévu cette fin ?


Non, elle est venue en cours d’écriture. Je savais tout de même qu’il y aurait une gure d’enfant, ou en tout cas, une présence d’enfant. Erich von Stroheim a lui aussi été rattrapé par le « groupe humain », la société humaine − plus que par le réel qui, il me semble, nous laisse libres de tous les possibles, même s’il nous met des bâtons dans les roues et qu’il a le dernier mot, du moins nous permet-il de nous dépasser : dès lors naissent toutes les tentatives artistiques. Alors que le groupe humain avec ses codes, ses structures, brise l’individu en le formatant.
Curieusement, c’est lorsque le groupe humain se soulève dans un même élan de révolte, qu’il peut changer les choses, pour le meilleur parfois et souvent pour le pire. Mais lorsque l’on reste entre soi, dans l’idée d’une famille traditionnelle par exemple, d’une reproduction, d’un travail... eh bien non seulement on va vers la mort (comme tout un chacun) mais il arrive qu’on soit mort bien avant cette échéance... (c’est en tout cas ce que j’ai ressenti dans certains moments de ma vie). Il nous reste à interroger la façon dont on va vers cette mort certaine. Être « hors norme », comme vous dites, c’est reculer la mort, la défier.


Avez-vous besoin d’être dans une forme d’empathie avec vos personnages ?


Oui, toujours, je les aime profondément. Ne pas les aimer, les comprendre, ce serait me renier moi-même.


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