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Un bon petit soldat

+ d'infos sur le texte de Mitch Hooper
mise en scène Mitch Hooper

: Entretien avec Mitch Hooper

Réalisé par Claude Pereira-Leconte en novembre 2018

Vous êtes auteur de théâtre et metteur en scène et vous montez actuellement Un bon petit soldat. Avant d’aborder la pièce elle-même, pouvez-vous nous indiquer votre parcours artistique ?


Je suis anglais et j’ai passé les vingt premières années de ma vie en Angleterre où j’ai suivi des études de littérature française à Cambridge. Je suis venu m’établir en France après mes études, au départ pour faire du cinéma et du théâtre. J’ai commencé comme metteur en scène à la Galerie 55, un théâtre de la rue de Seine qui ne programmait à l’époque que des pièces en langue anglaise. À partir de la fin des années 1980, j’ai commencé à écrire directement en français. Mais c’est la rencontre avec Harold Pinter qui a été déterminante pour moi. Je lui avais envoyé un de mes textes et il m’a immédiatement répondu et encouragé à écrire pour le théâtre. À la fin des années 1990, je suis devenu son assistant quand il est venu à Paris monter Ashes to Ashes. Par la suite, j’ai mis en scène certaines de ses pièces, dont Le Monte-plats en 2007 et Trahisons en 2009.
’ai aussi exploré le cinéma et la télévision pour lesquels j’ai beaucoup travaillé comme lecteur de scénarios ou conseiller. Mais aujourd’hui, je me consacre surtout au théâtre, à l’écriture et à la mise en scène.


Comment passe-t-on de l’écriture de l’adaptation cinématographique Les Âmes fortes de Giono, réalisé en 2001 par Raoul Ruiz, à celle théâtrale d’Un bon petit soldat ? Est-ce que le processus créatif et les inspirations sont les mêmes ou sont-elles totalement différentes ?


Ce n’est pas exactement la même chose. Les Âmes fortes étaient une adaptation et une coécriture. Mon travail a consisté à revenir au livre et à réinjecter les dialogues de Giono dans le premier scénario écrit par deux autres scénaristes. Un bon petit soldat est un projet plus personnel. C’était quelque chose qui était en moi depuis plus de 10 ans, et qui ne demandait qu’à s’exprimer. Le temps de gestation, de maturation, pour structurer le propos, a été très long, mais j’ai écrit ce texte très vite, en quelques semaines.


Comment vous êtes-vous documenté ? Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire cette histoire et donner vie à ce personnage ?


Cela relève à la fois de l’intuition et d’un long cheminement. En fait, le projet de cette pièce remonte aux attentats de Londres du 7 juillet 2005. J’ai alors eu l’idée d’écrire l’histoire d’un attentat dans le métro parisien, un peu pour dire « Attention, ça pourrait arriver ici. » J’ai développé l’idée de deux frères, dont l’un est entraîné par l’autre dans un attentat kamikaze, mais qui finit par choisir la vie. Ce projet est resté au stade d’ébauche. Jusqu’aux attentats parisiens de janvier et novembre 2015. Et ce sont les événements qui ont rattrapé la fiction. Cela a été un choc. Dans les deux cas, avec Charlie Hebdo et lors des attentats du 13 novembre, il y avait une histoire de deux frères. Les lectures que j’ai faites à ce moment-là, sur les frères Kouachi et les frères Abdeslam, m’ont certainement influencé, mais je ne saurais pas vous dire exactement comment.


Dans Un bon petit soldat, vous faites le choix du monologue pour retracer le parcours de ces deux figures de frères qui se radicalisent. Pour quelle raison avez-vous pris le parti de développer uniquement le point de vue du plus jeune des frères ?


Quand j’ai décidé de me concentrer sur un seul personnage, je n’ai pas longtemps hésité entre les deux frères. Le petit frère est justement traversé par le doute et dramatiquement c’était beaucoup plus intéressant. Les certitudes m’intéressent peu. Quant à l’utilisation du monologue, c’est une forme que j’ai déjà utilisée. Cette voix unique clarifie beaucoup de problématiques mais elle n’est pas aussi simple qu’elle n’en a l’air. Elle instaure un dialogue tacite entre le personnage et le public. De ce fait, le public est souvent en avance sur le personnage, et il comprend plus vite ce qui va arriver. Cette forme permet ainsi de jouer sur l’ironie dramatique et sur l’humour.


Votre texte est exigeant. Est-ce difficile de trouver un interprète qui puisse le porter seul sur scène ?


J’ai fini par choisir deux acteurs. Je n’ai pas pu choisir entre les deux. Ils sont assez différents. L’un fait ressortir l’humour et a un côté très doux. L’autre met plus en avant la face sombre du personnage, la violence intérieure, un côté romantique mais sombre. C’est intéressant d’avoir les deux facettes sur des représentations différentes.


Votre personnage est effectivement à la fois romantique, très révolté par le monde qui l’entoure tout en envisageant la vie avec une certaine ironie, une forme d’humour. Cet humour est présent tout au long de votre texte. Comment fait-on le choix créatif d’utiliser ce ressort pour parler d’un sujet grave comme celui de la radicalisation et du terrorisme ?


Je crois que c’est un réflexe anglais. Ce n’est pas toujours simple de l’expliquer aux Français. J’ai grandi avec Shakespeare et Pinter que nous lisons à l’école. Ils ont aussi cet humour grinçant face aux événements graves. J’ai du mal à séparer le point de vue humoristique du point de vue dramatique. Pour moi, tout est mêlé. La vie est comme ça. Et au théâtre, le spectateur peut avoir les deux. Il peut être à la fois subjectif et objectif : être à la fois dedans, vivre pleinement le côté tragique de la situation, tout en restant en dehors pour juger, réfléchir, rire. C’est la beauté du théâtre.


On peut se demander si le personnage est réellement radicalisé ou s’il se contente de suivre son frère.


Il n’est effectivement pas vraiment radicalisé. Mais cela me semblait crédible qu’il se retrouve dans cette situation pour suivre son frère. C’est de sa part une forme de conformisme. Il n’est pas complètement mature. Il part avec l’idée qu’il va accomplir quelque chose de glorieux. Ce trajet en métro va lui permettre de prendre conscience de ce qu’il va faire et surtout de ce qu’il va faire aux autres. Il aime la vie mais surtout il respecte la vie des autres.


Quel message essayez-vous de faire passer au travers de votre pièce ?


Lorsque j’écris, je ne le fais pas pour faire passer un message mais plutôt pour moi et pour découvrir pourquoi j’écris. C’est l’écriture qui éclaire mes choix, mes intuitions, et me fait peu à peu comprendre le sujet. Avec le théâtre, cette compréhension ne s’arrête pas à la fin du processus d’écriture : elle se poursuit avec la rencontre avec les acteurs et le public.


Le dénouement de la pièce fait émerger de nombreuses questions : Peut-on faire confiance en quelqu’un ? Avons-nous droit à une seconde chance ? À l’erreur ? Il y a aussi l’idée de rédemption. Quelle perspective ouvre cette fin pour le personnage et le public ?


Je pense que la réponse appartient à chaque spectateur. Cela me semblait important d’aller au-delà de la décision finale du personnage. Les dernières scènes apportent des rebondissements au niveau narratif, et complètent le trajet du protagoniste

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