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: Entretien avec Jonathan Capdevielle

Propos recueillis par Maïa Bouteillet, pour le Festival d'Automne

Sans famille c’est un classique de la littérature jeunesse que les enfants d’aujourd’hui ne connaissent pas forcément. Comment avez-vous décidé de le monter ? Comment cela s’inscrit dans votre parcours ?


Jonathan Capdevielle : Dans mes deux pièces, Adishatz et Saga, qui sont des autofictions, je m’adressais à un public adulte en traitant de problématiques de l’enfance et de l’adolescence. Aujourd’hui, j’ai envie de m’adresser directement aux enfants en prenant comme base le roman d’Hector Malot. J’avais en tête la version manga de Rémi sans famille, sortie dans les années 1970, avec des décors très expressionnistes et des visages proches du masque. J’ai depuis longtemps une vraie passion pour le déguisement et le carnaval. J’avais le souvenir d’une histoire très noire, mais en lisant le roman, j’ai découvert qu’il s’y trouve aussi plein de moments de bonheur. S’est posée la question d’une adaptation scénique d’une durée acceptable pour les enfants puisque le roman est long. J’ai donc eu l’idée d’en faire deux parties, une partie plateau et une partie radio-fiction. Après le spectacle, l’enfant rentre chez lui avec une fiction radiophonique qui lui est offerte à la fin spectacle.


Pourquoi privilégier ainsi la dimension sonore ?


Jonathan Capdevielle : C’est un élément de la mise en scène toujours très important dans mes pièces, que je travaille en complicité avec la créatrice sonore Vanessa Court qui crée le son diégétique et extradiégétique de Rémi. Par ailleurs, l’expérience de la fiction audio permet à l’enfant de se concentrer dans l’intimité d’une œuvre sonore, et de le faire voyager différemment. Je propose donc la disparition progressive au plateau de chaque figure au profit du son et de sa capacité à multiplier les espaces et à activer autrement l’imagination de l’enfant. Nous avons mené un travail très spécifique pour cette fiction audio, et pour cela j’ai voulu constituer une équipe, notamment Alexandre Lenot pour l’adaptation, et Laure Egoroff pour la réalisation sonore. On aura certainement des écritures assez différentes ; c’est intéressant que l’enfant ait accès à autre chose que ce qu’il a découvert et traversé dans le spectacle.


À la lecture, on sent déjà deux parties. Comment avez-vous fait votre découpage ?


Jonathan Capdevielle : La première partie s’achève au moment où Vitalis meurt, après il y a une sorte d’accélération des événements et des rencontres. Je suis le même mouvement. La mort de Vitalis signe la disparition du personnage qui a amené Rémi, joué par Dimitri Doré, dans la théâtralité, tout en le sortant de son contexte familial compliqué, avec une mère adoptive aimante mais un père au bout du rouleau, qui ne veut pas s’en occuper. Au début, Rémi en a un peu peur, mais très vite il comprend qu’il est entre les mains d’un homme, un artiste qui peu à peu lui apprend à appréhender la vie en dehors d’un cadre familial endommagé. Il apparaît très vite que Vitalis devient comme un guide.


Rémi est vraiment un héros très positif.


Jonathan Capdevielle : Il voit qu’il y a quelque chose à apprendre du drame, à apprendre du voyage et des rencontres. À travers l’apprentissage artistique et à travers les décisions qu’il doit prendre très tôt, Hector Malot lui donne une responsabilité d’adulte notamment lorsqu’il endosse pour un temps le rôle de chef de troupe. Par contre je ne vais pas rester dans le réalisme du roman, je vais créer des figures qui vont naître de cette rencontre avec Vitalis en m’inspirant des cérémonies traditionnelles populaires et des carnavals. Rémi se trouvera face à de grandes poupées au visage dissimulé. Il va côtoyer la bourgeoisie comme des personnages aux situations plus modestes. C’est le tissu du costume qui va traduire le statut social des personnages. Ils auront l’apparence de grandes marionnettes habitées par un comédien, dont les mouvements seront contraints par le costume et le masque, avec tout un travail de jeu et une approche presque chorégraphique. Certaines auront l’air d’avoir été confectionnées à la main, recousues, comme si elles avaient eu plusieurs vies... Il y a quelque chose de spectaculaire et de magique dans la tradition du carnaval, d’envoûtant, d’inquiétant. Il y a la question de la possession que j’avais envie d’insuffler dans le roman : que l’enfant se situe entre la réalité de ce qu’il vit et un monde de fantasmes. Dans les dialogues, je reste assez proche de ce que Malot fait dire à ses personnages même si j’ai orienté le parcours de Rémi vers la musique. L’histoire racontera l’éducation d’un enfant qui va devenir un artiste. Au début du spectacle on entend la voix de Rémi adulte, lors d’une émission de radio, parler de ce qu’il est devenu, comment la musique l’a fait grandir et pourquoi son album, entre chansons et récits, est devenu aussi populaire. Cela me permet entre autres de le placer dans un contexte plus actuel pour les enfants.


C’est donc assez transposé. Que deviennent les animaux savants ?


Jonathan Capdevielle : Le chien Capi et le singe Joli-cœur portés par Michèle Gurtner et Jonathan Drillet seront les acteurs danseurs et musiciens de Vitalis. Les chansons qui seront des compositions originales seront inspirées du roman, certaines scènes seront sans doute traitées uniquement en chanson. Il y aura tout un travail de composition, c’est Arthur B. Gillette qui signe la musique. Un dispositif lumière sera créé par Yves Godin, Il n’y a pas de décor, le son et la lumière auront toute leur importance dans la construction des espaces et la mise en scène des différents personnages. Ce sont vraiment les rencontres qui sont déterminantes comme autant d’étapes d’un véritable parcours initiatique. Les outils qui lui servent à se construire, une fois utilisés, meurent. Vitalis va disparaître mais il lui aura donné suffisamment d’appuis pour se construire.


Quel comédien va jouer Vitalis ?


Jonathan Capdevielle : Babacar M’Baye Fall, un acteur franco-sénégalais, dont le personnage de directeur de troupe empruntera aussi à la culture des sapeurs africains, avec toute cette importance du costume et de l’attitude. C’est ce qu’enseigne Vitalis à Rémi, il va d’ailleurs le défaire de ses vêtements pour le vêtir autrement et lui donner un statut d’artiste. Plusieurs influences se côtoient au plateau notamment inspirées de l’iconographie manga. La dimension visuelle sera très travaillée pour vraiment donner aux enfants une force esthétique.


On retrouve ici le marionnettiste que vous êtes ?


Jonathan Capdevielle : Il y a un retour au masque et à la marionnette c’est vrai. D’ailleurs je travaille avec Etienne Bideau Rey qui a été élève de la même promotion que moi à l’école de Charleville-Mézières. Il est plasticien, il a travaillé sur tous les premiers spectacles avec Gisèle Vienne. Il va faire tous les masques et illustrer le poster qui accompagnera la fiction audio. Colombe Lauriot-Prévost va créer les costumes. J’aimerai que les enfants se souviennent des personnages parce qu’ils vont les retrouver ensuite dans la fiction-audio.


Va-t-on retrouver toutes les aventures de Rémi dans la suite audio ?


Jonathan Capdevielle : Avec Laure Egoroff qui sera aux com-mandes de la réalisation sonore, on a fait une sélection en fonction de ce qui peut tenir dans les 73 minutes accordées au support audio, on va le séquencer pour que l’enfant puisse suivre les aventures de Rémi étape par étape, un peu comme pour une série. Que le personnage se métamorphose et se dématérialise pour continuer ses aventures dans la fiction audio m’intéresse beaucoup.


On peut penser que Sans famille est un roman un peu mélo, pétri de bons sentiments. Or l’auteur pointe une réalité sociale dure que votre adaptation va réactualiser.


Jonathan Capdevielle : À la lecture, on sent que même le paysage peut se révéler hostile. C’est un long voyage à pied, ils sont dehors tout le temps, ils s’adaptent tant bien que mal à la rigueur des saisons. Le père travaille à Paris, sur un chantier, il a un accident dont il n’est pas responsable mais par manque d’argent et une certaine précarité, il perd son procès et c’est la grande entreprise qui s’en sort sans rien payer. Hector Malot décrit vraiment une certaine crise sociale. J’aimerai bien y faire écho mais par petits signes, disséminés dans la pièce... Le danger avec Sans famille, c’est de tomber dans quelque chose de mièvre ou de pathos. L’adapter tel quel ne m’intéresse pas. Je veux vraiment que la structure de Malot se transforme au grès de mes fantaisies et de mes références plus personnelles. Je laisse aussi les acteurs s’emparer de l’adaptation dans le but qu’il se réapproprient l’œuvre a leur façon.


Vous disiez que cela faisait suite à Adishatz et à Saga ? Vous vous retrouvez dans Rémi ?


Jonathan Capdevielle : Ça me ramène à plein de choses de mon enfance, ne serait-ce que le mardi gras. J’ai été un enfant de la campagne, j’ai grandi dans une famille pas très riche. Ces gens-là, je les connais. Je retrouve aussi ce qu’il y a de chaleureux et de positif dans cette vie-là, ce qui m’a constitué. Comme Rémi, qui est en quête d’une certaine vérité et qui garde la mémoire de chaque rencontre.

Propos recueillis par Maïa Bouteillet, avril 2019

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