J’ai un lien vraiment intime avec cette pièce que j’ai d’abord aimé en tant que spectateur et je n’oublierai pas la première fois que j’ai vu le spectacle de Joël au théâtre de la Main d’Or : cette représentation bouleversante fut pour moi un choc théâtral. J’ai remercié Joël Pommerat et suis rentré plein de cette pièce mystérieuse, sombre et poignante ; sans savoir que j’allais remplacer Pierre-Yves Chapalain dans Alexandre-Maurice dix jours plus tard. Les « répétitions » consistèrent aussi à assister à la pièce tous les soirs. Je l’ai vue neuf fois et ai pu en découvrir toute ses subtilités avant d’incarner ce personnage à la dimension mythologique.

Ce fut le commencement d’un travail passionnant avec Joël Pommerat qui dura six ans et a profondément influencé ma vision du théâtre. Car mon histoire avec cette pièce ne s’arrête pas là. Elle fut recréée quatre ans plus tard au théâtre Paris-Villette et j’y ai joué le rôle de Walter, très effacé à la Main d’Or. Joël le réécrit pour moi et le développa davantage, lui donnant un caractère plus agressif et imposant, rongé par son œuvre jusqu’à l’antipathie, vivant au crochet de sa sœur qui oublie sans cesse de payer le loyer de son atelier. Une fois ses sculptures dans la rue, il se voit consacré artiste par une foule qui s’empare de ses œuvres en toute liberté, heureux mais dépossédé. Achèvement ultime de l’Artiste.

Il va de soi que monter cette pièce est pour moi, tout en restant un acte créatif fort, la manière de rendre hommage à l’auteur qui un jour m’a fait confiance et que j’ai la fierté d’avoir inspiré dans son écriture théâtrale. Mais je veux aussi partager avec le public ce que j’ai vécu en découvrant cette œuvre.

Il est primordial de diffuser à nouveau cette pièce de Pommerat, une de ses grandes écritures, qui n’a plus été représentée depuis 2001 au Lavoir moderne parisien. Joël me donne l’exclusivité des droits pour monter cette pièce que j’ai jouée avec lui. La boucle est bouclée.

Pôles est le symbole de notre rencontre artistique et humaine. Mon désir est de « faire renaitre le Phénix de ses cendres », recréer Pôles, tout en gardant l’esprit de sa première création à la Main d’Or, dans sa sobriété, tendue, haletante, peut-être ma «version» préférée car aussi la plus charnelle.

L’atmosphère étouffante de la vie de ces personnages et le changement rapide d’époque pourraient être représentés par un décor constitué de panneaux mobiles et silencieux pour figurer les différents lieux d’action, les appartements étriqués, étouffants, l’entrepôt. Cinq panneaux représenteraient des cloisons et des portes, une pièce avec un immense lit. Ils seraient déplacés par les comédiens pendant les noirs ou à vue.

Dans cette trépidante histoire présentée comme une énigme que l’on remonte à l’envers, saccadée par des flashs–back, la lumière rythmera aussi les sauts du présent au passé. Clair-obscur, éclairage blafard ou criard, sons lyriques ou cacophoniques reflèteront les états d’âme de ces personnages englués dans leur présent, dans leur passé et à l’avenir incertain.

Elda Older, Alexandre Maurice, et les autres, tous sont des êtres inadaptés, inaccomplis ; ils sont ou empêchés dans leurs parole ou au contraire déversent une véritable logorrhée pour exister ; la langue très particulière, à la fois écorchée et comique, dont Pommerat affuble ses personnages illustre bien l’absurdité de leur vie, de leurs illusions.

Pôles possède un rythme et une personnalité qui s’impose comme une évidence. Il s’agira de s’approprier cette parole si imagée pour raconter la drôle et pathétique histoire de la rencontre d’Elda Older et d’Alexandre-Maurice Butofarsy.