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Othello


: Le diable et sa proie

Entretien avec Jean-François Sivadier

Après Un ennemi du peuple d’Ibsen en 2019, vous revenez au Théâtre de l’Odéon avec Shakespeare. Pourquoi avoir choisi Othello ?


Peter Brook disait : « Ce sont les pièces qui nous choisissent ». Il y a des textes qui nous obsèdent sans qu’on sache vraiment pourquoi. Je n’ai jamais monté une pièce pour dire quelque chose sur notre époque, ou faire passer un message, mais pour répondre à l’intuition que le texte que j’allais monter était, ici et maintenant, pour diverses raisons, le meilleur « pré-texte » pour remonter sur un plateau. L’intuition que les réponses qu’on allait devoir trouver aux questions de fond et de forme qu’il posait, allait nous faire bouger, évoluer mon équipe et moi.
Se confronter à un auteur, c’est partir à l’aventure dans l’espoir qu’elle puisse nous transformer. Si je cherche un lien entre Un ennemi du peuple et Othello je peux dire que c’est à nouveau l’histoire d’un duo ou d’un duel entre deux hommes, liés à la fois par l’amitié et par la haine, qui tourne au cauchemar. Et je pense immédiatement à la phrase de Brecht en exergue de Dans la jungle des villes : « ne pas se demander pourquoi ils se battent mais regarder si les coups sont bien portés ».
Après l’expérience du Roi Lear à Avignon, je voulais revenir à Shakespeare. Je pense à Othello depuis longtemps, mais ce qui m’attirait vers la pièce avant même son sujet, c’était sa forme. Comme le dit Iago, « nos corps sont des jardins dont nos volontés sont les jardiniers », et Shakespeare s’arrange toujours pour que les jardiniers sabotent le travail et laissent croître les herbes folles, jusqu’au basculement du monde vers la folie, la crise d’identité et le bain de sang. Othello n’échappe pas à la règle. On y voit la raison déserter le plateau et des êtres civilisés se transformer en bêtes sauvages.
Mais Shakespeare tente ici une expérience inédite : débarrasser son théâtre de tout ce qui en fait habituellement l’architecture. Il met de côté les grandes figures historiques, le symbole, la métaphysique, le surnaturel, les guerres de territoires, la multiplication des intrigues, des lieux, des travestissements et des personnages, pour se concentrer sur une intrigue simple, un texte sans « double-fond », un huis clos, une tragédie domestique, presque un fait divers.
J’ai souvent pensé, en répétition, au film Eyes Wide Shut de Kubrick. Kubrick a fait 2001, Spartacus, Barry Lindon... et il termine son œuvre avec (lui aussi) une histoire de couple, de jalousie et de fantasmes, une histoire simple, mais dans laquelle on retrouve toute la force de son vocabulaire esthétique, toute l’essence de son cinéma. C’est un peu le cas avec Othello dont l’histoire, presque banale, est traversée par des thèmes shakespeariens récurrents dont le plus repérable est la naissance et l’exercice du mal. Et sans doute le mal n’a jamais été exposé de façon si brutale, si pure et surtout si absurde, que dans le personnage de Iago : un petit dieu maléfique (Shakespeare lui-même ?), descendu sur le théâtre pour brouiller les pistes, allumer des feux partout jusqu’à l’incendie général...


Quel est selon vous le sujet de la pièce ?


C’est bien connu Shakespeare avance masqué. Ses pièces sont des énigmes. Impossible de connaître le point de vue de l’auteur qui montre l’envers et l’endroit, défend tous ses personnages, ne prend jamais parti pour l’un ou pour l’autre et se garde bien de nous expliquer « le grand théâtre du monde ». Dans Othello, la simplicité de la fable est inversement proportionnelle à la complexité des sujets qu’elle aborde. Si je devais en choisir un seul, je dirais que c’est une pièce sur l’emprise, toutes les formes d’emprises.
L’emprise amoureuse, l’emprise du discours politique, celle du patriarcat... Celle que Iago exerce sur Othello, celle d’Othello sur Desdémone, mais surtout celle que la République de Venise exerce sur le Maure, qu’elle a choisi pour défendre ses intérêts, mais dont elle n’hésitera pas à se débarrasser à la moindre occasion. En l’occurrence, cette occasion sera le meurtre d’une Vénitienne, la fille d’un sénateur...
L’emprise de Venise sur Othello, le noir, l’étranger, qui fascine autant qu’il effraie, se manifeste avant tout, par la bouche de Iago qui, à maintes reprises dans la pièce, de façon plus ou moins claire, rappelle à Othello qu’il est un homme en sursis devant sa femme et devant Venise. Othello sait qu’il doit faire un certain travail pour « se fondre, s’intégrer, s’assimiler » dans la bonne société vénitienne, pour être à la hauteur du rôle qu’on lui a donné...


C’est ce qui donne à la pièce sa couleur politique...


Oui parce que même si Othello n’est pas une pièce sur la politique, le politique s’insinue constamment dans le texte.
Le premier acte qu’on a parfois tendance, à tort, à couper (comme l’a fait Verdi dans son opéra), est la fondation, le socle de toute la pièce. Le père de Desdémone, le sénateur Brabantio (qui aurait voulu pour gendre un italien « de souche »), accuse Othello (dans une logorrhée ouvertement raciste) d’avoir usé de sorcellerie pour séduire sa fille et l’épouser en secret, acte passible d’une peine d’emprisonnement. Dans le doute et sans preuve, le Doge de Venise fait l’impasse sur l’accusation du sénateur et décide d’envoyer Othello à Chypre, lui seul étant capable de repousser l’attaque imminente des Turcs. Shakespeare accentue le comique de la situation : Othello n’est sûrement pas très clair (le Maure a forcément quelque chose à se reprocher !), mais on n’a personne d’autre !...


Il y a aussi dans la pièce un thème central, celui de la jalousie...


Oui, mais cette jalousie n’est au fond que l’arbre qui cache la forêt. Elle se manifeste d’une étrange façon. À aucun moment Othello n’envisage de confronter sa femme, son supposé amant et celui qui les accuse, et il n’a besoin que d’une poignée de secondes pour passer du déni au doute et du doute à la certitude. La jalousie d’Othello est comme le symptôme d’une conviction profondément ancrée en lui : la conviction que lui, le Maure, l’étranger, ne sera jamais totalement accepté ni par la République de Venise, ni par sa femme, la fille du sénateur, et que dans les deux cas il est sur un siège éjectable...
Si ma femme est infidèle, c’est qu’elle ne m’a jamais aimé... ou, comme dit Iago : il y a un certain vice à vous avoir épousé, vous, à vous avoir préféré à tous les beaux prétendants qui se présentaient à elle...
Une façon de dire que le choix de Venise de mettre un noir à la tête de son armée a aussi quelque chose de suspect...


Quelle interprétation faites-vous du duo mythique formé par Othello et Iago ?


C’est le centre de gravité de la pièce. Le duo est sans doute le plus étonnant de tout le théâtre de Shakespeare.
Même quand ils ne sont pas en présence l’un de l’autre, ils sont reliés par un lien très fort, comme un fil mystérieux qui les attirent l’un vers l’autre. Iago est tout ce qu’Othello n’est pas et inversement.
En fait, comme c’est le cas dans Le Conte d’hiver, Othello n’aurait pas vraiment besoin de Iago pour devenir jaloux de sa femme et la condamner à mort. La présence de Iago apporte à la pièce toute sa dimension fantastique. Il ne s’agit pas entre les deux hommes d’un simple affrontement des forces du mal contre les forces du bien, mais d’une maïeutique réciproque, chacun accouchant l’autre de sa propre nature. Le diable et sa proie sont à la fois ennemis et complices. La force comique du duo vient de ce qu’Othello n’a confiance qu’en Iago qui est le seul à lui mentir.
La définition parfaite de leur rapport pourrait tenir entièrement dans une question que l’écrivain Max Frisch pose dans son livre Questionnaires : « Y a-t-il des ennemis dont vous voudriez en secret faire des amis, afin de les admirer plus facilement ? ». Le syndrome du « sans lui je n’existe pas », le jeu de l’attirance et de la répulsion, prennent une dimension telle, qu’au début du quatrième acte, on pourrait presque penser que les deux hommes n’en font qu’un. Que chacun regarde l’autre comme une partie cachée de lui-même. L’on pense beaucoup à Faust et Méphisto évidemment. Othello s’apprête à jouer une pièce qui glorifie la guerre, l’amour et l’héroïsme. Iago va l’entraîner dans une autre pièce, vers la haine, la honte et l’enfer.
Comme toujours chez Shakespeare, le chemin initiatique vers la connaissance du monde, de l’autre et de soi-même passe par une forme de destruction. La statue d’Othello s’effondre et laisse apparaître un homme impuissant devant la complexité du monde. Othello c’est d’abord juste l’histoire d’un homme, Iago, qui sans véritable raison va en détruire un autre. Sans autre raison que le plaisir de comprendre la puissance du langage, la capacité des mots à tuer et celle du théâtre à révéler l’invisible et à donner à l’impossible la couleur du réel. À Othello qui lui demande à la fin de la pièce « pourquoi tant de haine ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? » Iago ne répond que par un vague « je ne sais pas. C’est comme ça. Ne me demandez rien. » Iago agit sans raison et cette absence de raison est sûrement le premier motif « poétique » de la pièce...


Beaucoup de commentateurs s’accordent à dire que c’est sans doute la pièce la plus théâtrale de Shakespeare puisqu’elle repose avant tout sur le langage...


Si Shakespeare et son public adorent tellement les monstres c’est d’abord pour leur amour du jeu, du théâtre et leur capacité à manipuler le langage. Et la beauté du couple Othello-Iago vient aussi de la jouissance étrange qu’Othello éprouve à se laisser manipuler par le texte de Iago.
Iago injecte dans le corps de son ennemi un poison mortel qui s’insinuera d’autant plus facilement, que le bourreau saura trouver les mots que sa victime a envie d’entendre. L’écrivain Iago va faire de son texte une arme d’autant plus efficace, qu’elle sera toujours séduisante. Othello va goûter ce texte comme une drogue et devenir accroc jusqu’à l’overdose...


Quelle est la place de Desdémone face à ce duo ?


Desdémone est sans doute la seule à avoir vraiment les pieds sur terre, voire le personnage le plus intelligent et le plus honnête de la pièce. Parce qu’elle est follement amoureuse, l’on a souvent tendance à en faire quelqu’un de naïf, d’innocent et d’un peu illuminé. Je n’ai jamais compris pourquoi. Ce n’est pas ce que je lis dans le texte et l’on ne peut clairement pas demander à une actrice de le jouer comme ça. Ce n’est pas parce qu’elle est vue par son mari comme un idéal de pureté qu’on doit la représenter comme telle. Elle peut être séduite par Cassio, sans avoir envie de coucher avec lui.
Jan Kott dit très justement que pour que la calomnie de Iago soit efficace, l’attirance de Desdémone pour Cassio doit être au moins plausible, et que la jeune femme doit avoir « quelque chose d’une putain ». Desdémone sait que les hommes ne sont pas des dieux, mais que, contrairement à ce que pense Iago, le monde n’est pas pourri pour autant. C’est sans doute le personnage le plus moderne de la pièce...


Même si elles sont tristement répandues dans l’histoire de l’art, il est difficile aujourd’hui de monter une œuvre qui montre un féminicide. Comment avez-vous abordé cette question ?


Ce qui est difficile c’est, en montant la pièce, de savoir qu’aujourd’hui, en France, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. Ce qui est difficile c’est de trouver la forme théâtrale que l’on va donner à ce meurtre. Il faut garder la décence de ne pas en rajouter, de ne pas apporter de commentaire, et de laisser le public se faire une idée de ce qu’il voit. Le malaise qu’on éprouve, aujourd’hui, devant la scène du meurtre vient de son effet de réel, de sa durée et de la précision avec laquelle Shakespeare écrit, dès le début de la pièce, le mécanisme psychologique dans lequel sont enfermés les deux amants pour arriver à cette extrémité. Othello hésite jusqu’au dernier moment à tuer sa femme, et elle ne cesse de défendre Othello devant Emilia, qui ne cesse de la mettre en garde contre lui...
On a cherché avec Emilie Lehuraux, qui joue Desdémone, à être au plus près du comportement d’une jeune femme d’aujourd’hui qui se retrouverait dans cette situation. On a effacé la couleur romantique, le pathos, la plainte, le côté « blanche colombe », on l’a fait descendre du piedestal sur lequel l’avaient placée son père, son mari, tous les hommes, et beaucoup de mises en scène de la pièce...


Lorsque l’on monte Othello, la première question qui se pose est celle de la distribution du rôle titre puisqu’il s’agit de l’une des rares pièces du répertoire dont le personnage principal est un homme noir...


C’est toujours la question : distribuer dans le rôle un acteur noir ou un acteur blanc.
En ce qui me concerne, c’est en revoyant jouer Adama Diop, que je connais depuis longtemps, et qui avait lui-même très envie que l’on travaille ensemble, que j’ai pensé au couple magnifique qu’il pourrait faire avec Nicolas Bouchaud que je voulais distribuer dans Iago... La question s’est donc réglée assez vite et naturellement...
Mais je sais bien ce qui se serait passé si j’avais choisi un acteur blanc, monter cette pièce étant justement l’occasion de distribuer un acteur noir dans un grand rôle... Et je me suis dit aussi fatalement : n’est-ce pas un peu douteux de choisir un acteur noir pour un personnage désigné comme tel et ne serait-il pas plus juste de le distribuer dans Iago, par exemple, pour affirmer l’idée qu’au théâtre tout n’est que construction ?!... Dans tous les cas de figure, on se heurte à la complexité du choix, de ce qu’il implique...
Je n’ai pas vu le spectacle d’Arnaud Churin (qui a distribué un acteur blanc dans Othello et des acteurs noirs dans les autres personnages), mais je trouve sa démarche audacieuse et intéressante...
Plus largement, je trouve étonnant cette crispation, cette maladresse, voire ce malaise qu’il peut y avoir aujourd’hui autour de cette question des distributions avec des acteurs de couleur. Il y a vingt ans, j’ai monté Le Mariage de Figaro et on m’a demandé pourquoi j’avais choisi un acteur noir pour jouer le père de Figaro. Moi je n’avais pas vu que j’avais distribué un acteur noir, j’avais seulement engagé le comédien Gaël Baron. En me posant cette question, on a simplement renvoyé l’acteur à la couleur de sa peau. On est vraiment là dans le sujet d’Othello où le personnage du Maure est constamment, insidieusement, renvoyé à ses origines. J’entends parfois une certaine hypocrisie autour de l’expression « représentation de la diversité culturelle ». Aujourd’hui, beaucoup plus qu’il y a dix ans ou vingt ans. D’une certaine manière, c’est bon signe, cela prouve que l’on se rend compte que nous sommes considérablement en retard sur cette question. Mais s’en rendre compte ne suffit pas et ça ne fait pas toujours avancer les choses comme ça devrait se passer. On entend encore quelquefois « bien sûr ils (sous-entendu les acteurs noirs ou arabes) peuvent tout jouer mais... » Et ce « mais » n’est plus acceptable.
La journaliste Louisa Yousfi dans son livre Rester barbare pose la question : « Comment se raconter dans un monde qui nous rétrécit ? » (nous : les populations issues de l’immigration coloniale et post-coloniale). Othello c’est l’histoire d’un homme qui cherche à se raconter dans un monde qui l’empêche de respirer. Tandis qu’il travaille à parfaire ce rôle d’enfant de la République, exemplaire et irréprochable, Iago s’acharne à le renvoyer à ses origines et son statut d’étranger. Iago, sans le savoir, dénonce l’hypocrisie d’un système politique, social, économique, la République de Venise, qui sous le masque de la tolérance s’arrange pour que chacun reste à sa place, à la place qu’on lui a assignée (en l’occurrence ici les femmes et les étrangers), pour que la société continue à fonctionner tranquillement, en s’appuyant sur le rapport de pouvoir entre les maîtres et les serviteurs, ceux qui dominent et ceux qui sont dominés, ceux qui croient dominer et ceux qui croient l’être...


On touche ici à la question de notre place dans le monde...


Oui... il n’y a aucune scène de la pièce qui ne tourne pas, plus ou moins, autour de la question. Est-ce que j’ai choisi ma place dans ce monde ? Est-ce que je la subis ? Est- ce que je suis libre de la choisir ? Est-elle déterminée par ce que les autres attendent de moi ? Projettent sur moi ? Inventent pour moi ?...
Et ça commence avec Iago qui n’a pas eu la place de lieutenant qu’il convoitait. Edward Bond dit que l’affaire des êtres humains n’est pas tant de savoir qui ils sont, mais où ils sont. Ça pourrait être le sous-titre d’Othello. Dans « le labyrinthe » des rues de Venise et dans cet exil, ce déracinement à Chypre, les personnages ne cessent de chercher, de perdre, de revendiquer, de défendre, de dissimuler ou d’abandonner leur place...


Othello est une tragédie, mais votre traitement est parfois comique, toujours ludique. Pouvez-vous revenir sur cette tension ?


Gisèle Venet, grande spécialiste du théâtre élisabéthain en général, et de Shakespeare en particulier, définit le comique de Shakespeare comme une « poétique de l’irrévérence ».
C’est une définition très juste. Shakespeare est irrévérent, c’est cela qui provoque le rire. On ne s’est jamais dit : on va monter Othello comme une comédie, mais on va affirmer que Shakespeare fait du théâtre, que personne n’est dupe, et que, comme dit Hamlet, plus on affirme que tout est faux, plus l’authenticité a des chances d’advenir.
Quand j’ai monté Le Roi Lear, certains spectateurs s’étonnaient de rire dans la première scène (on ne rit pas dans une tragédie !), mais cette scène n’a rien de tragique, elle est même très concrète, presque brechtienne dans la manière dont elle expose les questions. Othello commence dans le style et le rythme d’une comédie, et bascule à l’acte trois non pas dans la tragédie, mais dans la folie, dans une dimension psychique infernale. Et même au cœur du désastre, Shakespeare ne manque jamais une occasion de nous rappeler qu’on est au théâtre. Il ne juge pas ses personnages, mais il ne les prend jamais totalement au sérieux, il les promène du sublime au trivial pour les humaniser. Chez Shakespeare le comique et le tragique sont inextricablement liés...


Ce principe apporte au jeu une grande qualité de présence. Comment abordez-vous le travail de l’acteur ?


Comme c’est sans doute ce qui m’intéresse le plus, il me faudrait des heures pour en parler. Il y a une chose qui conduit, autant le jeu des acteurs, que la mise en scène : j’essaie de faire que l’ensemble du spectacle puisse ressembler, au bout du compte, à une grande improvisation. Comme si l’on suivait le texte en train de s’écrire sans à priori sur la suite. J’essaie de placer les acteurs dans la contrainte qui va les rendre libres, de trouver l’expérience qu’ils vont faire, et qui les dispensera d’avoir à représenter autre chose qu’eux-mêmes. Et dans l’idée d’expérience, il y a l’idée qu’on peut toujours se planter. Le risque est une idée très riche pour l’acteur. L’acteur qui prend un risque ne s’ennuie jamais...


Comme dans vos précédentes mises en scène de pièces classiques, vous avez modernisé la langue, ajouté des chansons... Pouvez-vous revenir sur ce travail d’adaptation ?


Je ne cherche jamais à moderniser les œuvres pour les rapprocher de nous. Je ne me reconnais pas dans l’expression « dépoussiérer les classiques ». Ce qui rend les textes classiques proches de nous, c’est la manière dont on s’empare du plateau et de la langue. Ce qui rend une œuvre moderne, c’est lorsqu’on voit des corps d’aujourd’hui, des acteurs, des voix d’aujourd’hui, faire véritablement, en direct, l’expérience de se confronter à un texte du passé...
Je n’ai pas adapté la pièce, j’ai pris la traduction de Jean-Michel Déprats que nous avons, avec son accord, sensiblement modifiée. Nous avons choisi des chansons contemporaines et glissé quelques mots d’une interview de Thomas Bernhard...


Dernière question : pourquoi faites-vous du théâtre ?


Je pourrais me défiler en répondant je ne sais pas... mais de toute façon, impossible de répondre clairement à cette question.
Pendant une rencontre avec le public, un jour à Avignon, après une représentation du Roi Lear, un spectateur m’a dit : « J’ai vu votre spectacle hier, je n’ai pas du tout aimé, mais ce matin, j’ai pris un café tout seul, j’ai repensé au spectacle, et j’ai pleuré. » Et je me suis dit « tiens voilà c’est peut-être pour cela que je fais du théâtre... »


  • Propos recueillis par Raphaëlle Tchamitchian, décembre 2022
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