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Othello


: Note d'intention

Une seule intrigue, simple, une ligne claire, rapide, directe, un texte « sans double fond » et une action qui se concentre uniquement sur la violence des rapports humains. Shakespeare épure le trait jusqu’à dire : c’est juste l’histoire d’un homme qui sans raison essentielle va en détruire un autre. Le projet de Iago est presque gratuit, construit sur sa haine, sa jalousie.


Ici les personnages ne sont mus par rien d’autre que le scénario que l’un d’entre eux écrit dans sa tête. Pas de guerre de territoires pas de couronne à se disputer. Shakespeare nous mène en bateau en nous faisant croire, à l’acte I, à une pièce de guerre, avec un héros censé défendre les intérêts de Venise contre les Turcs. La guerre n’aura pas lieu, le héros n’est vainqueur de rien et l’auteur enferme tout son petit monde sur une île où il n’y a plus rien à faire que manger, boire, surveiller les remparts et faire l’amour... ou se haïr viscéralement.


Si comme le dit Iago « nos corps sont des jardins dont nos volontés sont les jardiniers », Shakespeare s’arrange toujours pour que les jardiniers sabotent le travail et laissent croître les herbes folles jusqu’au basculement du monde vers la crise d’identité, la folie et le bain de sang.


L’ennemi est banal, invisible ou plutôt, à ce point central qu’il en devient insoupçonnable. Tout le monde aime Iago ; il déteste tout le monde. Il répand sa noirceur, allume des feux partout jusqu’à l’incendie général. On ne reconnaît plus l’autre, on ne se reconnaît plus soi-même.


Pièce cruelle où Shakespeare s’amuse et nous amuse. Si la pièce n’est pas jouée de façon drôle, elle perd en cruauté et inversement. Une histoire d’autant plus terrible qu’elle est souvent risible. Shakespeare n’alterne pas les scènes sérieuses avec les scènes de comédie. Il insinue la comédie au sein même de la « tragédie ». Othello, comme tous, humains trop humains, grandioses ou complètement idiots.


Difficile de saisir totalement le sens de ses pièces : des énigmes. Sans mode d’emploi. Shakespeare montre le pour et le contre sans prendre parti, sans dire, lui, ce qu’il pense. Mais tous les sujets qui traversent ses pièces de manière plus ou moins explicite (ici, entre autres, la circulation du désir, la jalousie, l’appétit de destruction, le racisme, la perversité...), il les attrape, comme toujours, « avec le théâtre ».


« La tragédie n’est ni une certaine forme de théâtre, ni une façon particulière de voir les choses ; le monde est déjà tragique, et les œuvres tragiques existent parce que la tragédie est. » écrit Michaël Edwards. Shakespeare semble explorer cette interprétation à la fois de la tragédie et de la vie, pour lui-même, afin de voir jusqu’où elle peut mener, en laissant toujours le spectateur entièrement libre.


Shakespeare sait qu’il (ne) fait (que) du théâtre et la question du théâtre (celui que se font les êtres humains) est toujours au centre de sa dramaturgie. Il écrit pour être joué (non pas lu), dans un certain contexte, devant un certain public qui a des désirs et des exigences, qui n’ont pas tant changé que ça : la jouissance, l’impensable, la comédie, le spectacle...

Jean-François Sivadier - notes, septembre 2022

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