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Opening Night

+ d'infos sur l'adaptation de Cyril Teste ,
mise en scène Cyril Teste

: Note d'intention

par Daniel Loayza

Nous ne cesserons pas notre exploration Et le terme de notre quête Sera d’arriver là d’où nous étions partis Et de savoir le lieu pour la première fois. T. S. Eliot. (« Little Gidding », in Quatre Quatuors, trad. Pierre Leyris)


Un soir après le spectacle, du côté de l’entrée des artistes, une toute jeune fille attend parmi la foule des chasseurs d’autographes. Elle a dix-sept ans à peine. Elle s’appelle Nancy. Lorsque la grande actrice Myrtle Gordon franchit enfin le seuil du théâtre, Nancy se précipite, l’enlace, tombe à ses genoux. Inlassablement, elle lui répète  « Je vous aime, je vous aime  ». Myrtle est touchée par sa passion, sa fraîcheur, sa beauté. Voit-elle en son admiratrice une image d’elle toute jeune ? Un instant plus tard, Nancy est renversée par une voiture sous les yeux de son idole. Elle est tuée sur le coup...Ainsi s’ouvre Opening Night : par un imprévu mortel. Triste fait divers ou signe fatal ? Banalité ou tragédie ? Question de point de vue, sans doute. À une exception près, tous les témoins de l’accident iront au restaurant. Et dès le lendemain, tous auraient oublié, s’il n’y avait justement cette exception nommée Myrtle, qui va s’enfoncer dans l’insomnie et dans l’obsession pour déchiffrer ce que lui dit cette mort, cette morte. Ce qui commence pour elle cette nuit-là, c’est une aventure étrange, extrêmement intime et violente: un dialogue avec elle-même qui tient à la fois de l’examen de conscience, de la descente aux enfers et de la quête créative.


Opening Night est aussi le titre d’une courte pièce de John Cromwell, créée au début des années 60 et diffusée à la télévision. On y découvre une grande star dans l’intimité de sa loge new-yorkaise, une demi-heure avant la première d’une mise en scène de La Mouette, de Tchekhov, où elle interprète Arkadina. Elle y dialogue de tout et de rien avec son habilleuse, va et vient sans cesse entre quelques fragments de son rôle qu’elle se repasse une dernière fois et les souvenirs qui l’envahissent, divaguant, rêvant... On ne sait pas si Cromwell a influencé Cassavetes. Ce qui est sûr, c’est que le cinéaste avait d’abord conçu son scénario pour la scène avant de se laisser convaincre par Gena Rowlands d’en tirer un film. Et l’on retrouve dans son oeuvre le mélange des temps, le brouillage des identités, cette tension extraordinaire qui naît de l’imminence de la toute première rencontre avec le public, du frémissement du rideau sur le point de se lever. Or ce rideau se lève, car Cassavetes, brisant le huis-clos de Cromwell, franchit cette dernière limite pour accompagner Myrtle Gordon jusque sur le plateau – là où, dit-elle, jamais elle ne laisserait personne aller à sa place.


Opening Night est aussi le titre d’une courte pièce de John Cromwell, créée au début des années 60 et diffusée à la télévision. On y découvre une grande star dans l’intimité de sa loge new-yorkaise, une demi-heure avant la première d’une mise en scène de La Mouette, de Tchekhov, où elle interprète Arkadina. Elle y dialogue de tout et de rien avec son habilleuse, va et vient sans cesse entre quelques fragments de son rôle qu’elle se repasse une dernière fois et les souvenirs qui l’envahissent, divaguant, rêvant...
On ne sait pas si Cromwell a influencé Cassavetes. Ce qui est sûr, c’est que le cinéaste avait d’abord conçu son scénario pour la scène avant de se laisser convaincre par Gena Rowlands d’en tirer un film. Et l’on retrouve dans son oeuvre le mélange des temps, le brouillage des identités, cette tension extraordinaire qui naît de l’imminence de la toute première rencontre avec le public, du frémissement du rideau sur le point de se lever. Or ce rideau se lève, car Cassavetes, brisant le huis-clos de Cromwell, franchit cette dernière limite pour accompagner Myrtle Gordon jusque sur le plateau – là où, dit-elle, jamais elle ne laisserait personne aller à sa place.


Le résultat est un portrait d’actrice au travail, une comédienne qui sait mieux que personne qu’on ne doit jamais se contenter de « faire semblant ». Que si un peu d’expérience et de professionnalisme permet d’assimiler quelques trucs, la véritable expérience conduit à s’en dépouiller, à s’arracher tout masque pour se remettre à nu.
Et que donc, la plus grande maîtrise consiste à prendre le risque du plus extrême abandon. Car parfois, pour jouer, il faut d’abord se remettre soi-même en jeu, entièrement, sans réserve. Et au besoin, soir après soir, à chaque représentation. Prête à la solitude si tel est le prix à payer pour que cette solitude soit ressentie et reconnue ne serait-ce que par une seule spectatrice anonyme au fond du théâtre – et pour qu’ainsi partagée, cette solitude lui soit moins lourde. Prête à se battre contre tous au nom de cet idéal.
Contre le metteur en scène qui ne voit pas d’inconvénient à la faire gifler en scène. Contre la dramaturge qui veut se servir d’elle pour résoudre ses propres problèmes en présence du public.
Contre son partenaire de jeu, qui refuse de s’investir outre mesure ou de prendre certains risques.
Contre tous ceux qui l’assiègent et voudraient l’assigner à résidence, lui imposer des limites, lui dicter le sens et les moyens de son travail – et peu importe que ce soit au nom de la raison, de la conformité aux attentes supposées du public, du  « nécessaire respect du texte  » ou de quelque principe que ce soit. Mais d’abord et avant tout contre elle-même.


Auteur, Cassavetes peaufinait son scénario. Réalisateur, il multipliait inlassablement les prises, laissant les comédiens libres de réinventer le texte et les situations qu’ils s’étaient assimilés au cours de longues semaines de répétitions. Monteur, il récrivait une dernière fois son film, taillait dans la matière pour y ouvrir des ellipses, des silences fulgurants.


Dans Opening Night, ces créations successives s’enrichissent d’une dimension supplémentaire : le cinéma s’y aventure au plus près du théâtre, tout contre lui, jusque dans ses coulisses, dans ses recoins secrets que sont les loges, les chambres d’hôtel, les salles désertes à l’heure des répétitions. Et c’est à partir de ces espaces théâtraux, pour ainsi dire de l’extérieur, que Cassavetes parvient à faire place à l’informulable monde intérieur de Myrtle Gordon, à le faire passer de l’autre côté du miroir.


Pour aller à la rencontre de Cassavetes, Adjani et Teste ont fait comme lui : ils ont pris leur temps et sont partis de loin. Plusieurs étapes de travail, étalées au long de plusieurs mois, ont permis au metteur en scène et à la comédienne d’éprouver ensemble toutes sortes de matériaux, parfois autobiographiques, afin d’explorer leurs imaginaires respectifs et de vérifier qu’ils se répondaient bien. Après ces travaux d’approche, l’heure est à la mise au point définitive. Cyril Teste met la dernière main à son adaptation. Grâce à Al Ruban, qui fut le directeur de la photographie de Cassavetes (notamment sur Opening Night, il y a tout juste quarante ans), sa version sera fondée sur le texte original du script avant tournage, demeuré inédit jusqu’ici.

Daniel Loayza

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