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Ombre (Eurydice parle)

mise en scène Marie Fortuit

: Note d’intention

Par Marie Fortuit

Donner (enfin) voix à Eurydice


Depuis le Royaume des Morts où la morsure dʼun serpent lʼa conduite et où Orphée lʼa condamnée à vivre, il sʼagit dʼécouter Eurydice donc. Ecouter la voix, la profération, lʼincantation que lui prodigue lʼécriture vibrante de Jelinek. Prêter oreille à son souffle de femme paradoxalement enfin libérée dʼun amour pour Orphée qui sʼavère aussi astreignant quʼéreintant, lʼobserver commencer une vie dans lʼombre, une existence qui est de façon radicale une existence nouvelle. Envisager sa descente aux enfers comme une éclatante libération, lʼémancipation incontestée dʼune parole créatrice et féministe, assister à la (re)naissance dʼune poétesse.


Quʼon se le dise, chez Jelinek, Eurydice était loin dʼêtre heureuse avec Orphée. Elle était assujettie à une vision édulcorée et patriarcale de lʼamour romantique, arrimée à son apparence terrestre et à ses fringales de shopping, dévouée à lʼavènement du génie masculin de son sérial-rockeur dʼamant.



Dépouillée de tout, étrangement soulagée de laisser Orphée remonter vers les lumières des villes et des scènes, Eurydice peut alors sʼautoriser le luxe de ne plus être que « rien » et donc dʼaffirmer « je suis ». Assertion bouleversante qui est au coeur de mon geste de mise en scène. Il sʼagit pour moi dʼinverser le topos de la complainte de lʼéternelle abandonnée, de prendre à rebours le chant dʼOrphée, de sublimer le paradoxe : Eurydice esseulée parmi les ombres est une femme qui, pour la première fois, agit. Nous sommes au coeur de la « chambre à soi » woolfienne re-interprété par Jelinek : lʼobscure solitude, le détachement des dominations, devient par essence le lieu du déploiement du cri lyrique féminin. Un royaume des ombres qui fait écho aux enjeux qui ont habité Jelinek, « la sauvage », toute sa vie.


Lʼécrivaine vit aujourdʼhui presque retirée du monde, ne communiquant que par son site internet et lors de très rares interviews. Eurydice et Jelinek semblent déployer une vibration commune. Comme Christine Lecerf lʼévoque dans son article paru dans le quotidien Le Monde en 2016 : « ce qui demeure intact et sans bornes, cʼest la colère dʼElfriede Jelinek. La violence faite aux femmes, les structures inviolables de leur domination sociale, politique et artistique, lʼasservissement du corps, le mépris de la pensée, lʼinterdit de création, rien ne change sur ce terrain-là, et ça rend dingue. » Cʼest donc un cri du coeur aussi intime que politique que portent de concert Eurydice et Jelinek, et cʼest cette parole aussi rare que précieuse quʼil sʼagit de faire résonner au plateau.

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