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Mister Tambourine Man

+ d'infos sur le texte de Eugène Durif
mise en scène Karelle Prugnaud

: Entretien avec Karelle Prugnaud

Quelle a été la genèse de ce Mister Tambourine Man ?


Karelle Prugnaud : Depuis plusieurs années, je me questionne sur la meilleure manière d’emmener les gens au théâtre, de décloisonner des espaces qui peuvent effrayer par leur stature imposante. Dans Léonie et Noélie, mon précédent spectacle qui avait été créé au Festival d’Avignon en 2018, la présence de freerunners au plateau avait rendu curieux certains jeunes qui n’avaient pas pour habitude de se presser dans les salles. Je pense que, par la suite, ils ont pu renouveler l’expérience parce qu’une porte s’était ouverte et qu’ils s’étaient rendu compte que c’était tout simplement bien.
En créant Mister Tambourine Man, mon désir de rapprocher le théâtre des citoyens s’est encore plus précisé. Je voulais inventer un espace de retrouvailles et de rêverie qui émane d’un quotidien partagé par tous. Le bar s’est imposé. Une évidence. Partant de ce lieu, nous avons cherché le juste équilibre pour que ce spectacle soit un moment de théâtre exigeant tout en restant accessible.


Ce spectacle est destiné à mener une vie particulière en juillet, puisqu’il va de lieu en lieu. Que signifie pour vous cette itinérance ?


En visitant Avignon et ses alentours, nous avons traversé des lieux singuliers qui sont autant d’histoires particulières. Qu’il s’agisse de la cour du château d’Aramon, des salles des fêtes où les gens jouent au loto ou se marient, du collège Anselme Mathieu, des arènes de Roquemaure, de la prison, d’un parc... ces lieux portent une mémoire. L’image qui me vient est celle de ces fêtes foraines qui s’installent le temps de quelques jours et repartent, vidant la place qu’elles animaient et laissant une sorte d’empreinte de mélancolie et de joie.
L’itinérance de ce spectacle a à voir avec ces instants de magie et de rêverie. Des instants qui viennent sublimer un lieu que nous ne voyons plus car pris dans notre quotidien. Nous ne faisons que passer et, pourtant, nous créons quelque chose, un moment de partage : une représentation de théâtre. C’est aussi pour moi une manière de rendre hommage à ces chorales, cours de théâtre amateur et brocantes, qui ont rythmé mon adolescence dans un village où la culture ne semblait pas être un bien accessible. Ce sont ces expériences, ces rencontres, qui m’ont donné le goût ensuite de faire une école de théâtre, de monter une compagnie, de me positionner comme artiste.


Vous soulignez avoir choisi deux artistes très différents, pourtant ils ont comme point commun d’être des figures clownesques ?


Oui, il y a d’un côté cette figure de barman misanthrope incarnée par Nikolaus Holz. Il joue sur le déséquilibre d’un monde, tente de faire tenir le chaos en place et manipule tout ce qu’il a à portée de main : des verres, des tables, des chaises... Dans son bar, tout est bancal et lui-même se fait violence pour tenir droit, garder la stature du bon serveur, du personnage social. Mais ce métier n’est ici qu’un apparat, qu’un masque. Il hait les hommes autant qu’il aime la musique et plus précisément le piano.
De l’autre, il y a Mister Tambourine Man, joué par Denis Lavant. Il représente un bonimenteur, un aboyeur qui va de ville en ville pour raconter des histoires qui ne sont pas les siennes. Il est cette figure de l’étranger, montré du doigt parce qu’il mène une vie d’errance et de vagabondage.
Nous sommes donc en présence d’un homme qui déteste l’humanité dans son ensemble et de son alter qui souhaiterait retrouver une parole qui lui soit propre, pour se raconter et enfin advenir.
Ils partagent le même endroit de colère, d’empêchement d’exister et de désir de changement. Ces deux personnages nous questionnent aussi sur notre rapport au déterminisme, ce qui trace ou pas des carrières, qui permet à des passions de s’exprimer ou non, ce qui permet à l’homme de se rapprocher de ses endroits de désir malgré les injonctions sociales ou le regard de la famille.
Lorsque Mister Tambourine Man passe la porte du bar, ils sont aux antipodes l’un de l’autre. Ce n’est que progressivement qu’ils vont devenir des pendants gémellaires, jusqu’à être interchangeables et s’apercevoir que la présence de l’un fait maintenant partie de l’existence de l’autre. Par la présence de celui « qui n’est pas moi », l’étranger que je porte en moi se révèle et m’appelle vers d’autres facettes de ce qui me constitue.


Pourriez-vous revenir sur une référence centrale de votre pièce : Le Joueur de flûte de Hamelin des frères Grimm. Que vient mettre ce conte en lumière ?


Nous souhaitions avoir un point d’appui populaire pour parler de l’histoire de ces deux personnages et nous avons choisi : Le Joueur de flûte de Hamelin. Lorsque le musicien est appelé pour dératiser cette ville bourgeoise, il accepte pour rendre service aux villageois mais aussi pour toucher un salaire. Il s’apercevra à ses dépens que la ville et ses habitants l’ont trompé et ne comptent pas le payer en retour. Ce manque de reconnaissance va nourrir son désir de vengeance et le pousser à enlever les enfants de la ville.
J’aime cette dualité entre une colère juste et un acte inconcevable. Parce qu’il est seul contre tous, il en est réduit à se comporter comme un être mauvais. Ce café est donc situé dans la ville de Hamelin, des années après la disparition des enfants. À la fin du conte, nous apprenons que deux enfants ont survécu à la noyade orchestrée par le musicien. L’un est boiteux et l’autre aveugle.
Le boiteux est ce serveur qui craint l’autre comme la peste et vit dans ce bar aux allures de caverne, l’aveugle est le bonimenteur qui a repris le flambeau de son bourreau. Il est un adulte qui refuse de grandir, un homme Peter Pan, condamné et se condamnant à être en marge. Ce qui sauve ce bonimenteur, contrairement au Joueur de flûte, est sa capacité d’émerveillement qui va aussi toucher le serveur, le sortir de sa morosité et lui donner envie de partir et se réinventer. Cette quête de l’enfance est un chemin à préserver, même adulte.
Mister Tambourine Man fait l’apologie de cette liberté-là. Nous allons donc voyager de village en village, raconter cette histoire, parler aux gens de leur liberté, de leurs endroits d’enfance, de leurs passions enfouies et leur donner une envie de se réinventer.


  • Propos recueillis par Marion Guilloux en février 2021
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