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Accueil de « Les Naufragés »

: Conversation avec Emmanuel Merieu (1/2)

Propos recueillis par Géraldine Mercier

Comment en venez-vous à adapter Les Naufragés?


C’est François Cottrelle qui m’a fait découvrir le texte. Il était fait pour moi. Je l’ai su immédiatement. C’est totalement cohérent avec Ressusciter les Morts qui raconte l’histoire d’un infirmier urgentiste dans les ghettos de New York. Ma première adaptation de roman. Ça forme un diptyque avec ce spectacle. J’ai même pensé mettre en scène à nouveau Ressusciter les Morts pour raconter l’histoire de ces hommes, l’un dans les rues de New York et l’autre dans les rues de Paris. Ce sont deux hommes qui essaient de sauver tous les naufragés de la société.


Ressusciter les Morts est votre première adaptation sous forme de témoignage, c’était en 2003.


Oui. J’ai découvert Joe Connely grâce au film de Martin Scorsese Bringing Out the Death avec Nicolas Cage. Très souvent, c’est le cinéma qui me fait découvrir des livres, des musiques, des artistes et des acteurs. C’est parce que je vois ce film que j’achète le livre et que je veux à tout prix l’adapter. À l’origine, je n’ai jamais une forme préconçue quand je fais un spectacle donc j’en reviens à cette solution-là, un solo d’acteur face public. Je ne sais sincèrement jamais comment je vais réussir à raconter l’histoire. Et quand je commence mes adaptations, je cherche toujours d’autres voies que celles-là.


Comment procédez-vous pour le travail d’adaptation? Cela passe par les situations, les personnages?


Ça ne se passe pas comme ça. De mon point de vue, les deux gestes les plus importants sont le casting, la distribution et l’adaptation. Ce sont les deux gestes essentiels. L’adaptation est quantitativement la plus grosse part du travail. C’est parfois deux ans. Pas à temps complet. Je produis mes spectacles et je les mets en scène, je ne peux pas me consacrer uniquement à l’écriture, mais c’est un temps long. J’ai appris les règles techniques de la narration. C’est d’abord un travail très technique comparable à celui d’un scénariste lorsqu’il adapte un roman au cinéma. Il y a de très grands choix à faire. Je construis une histoire linéaire, sur un format classique. Un tout autre travail que le regard sur le texte matériau comme cela a existé beaucoup en France. Je ne vais pas, d’un coup, à l’instinct, me centrer sur un personnage, ce n’est pas cette approche. Je ne me situe pas du tout dans ce rapport à ce que l’on appelle le texte matériau, la matière textuelle. Mes gestes sont scénaristiques. C’est une autre école. Une autre tradition, une autre sensibilité.


Très concrètement


Dans Mon Traître, l’adaptation de deux romans de Sorj Chalandon, il y avait 125 000 mots. Moi je donne à entendre 5500 mots. Ça ne peut pas être une compression. Ça ne peut pas être un résumé. On ne peut évidemment pas raconter la même histoire avec 5000 mots et avec 500 mots. Je ne fais pas de coupes à la hache, je fais ça au scalpel. Le premier travail, c’est l’histoire. Je reconstruis une histoire qui ne sera pas du tout la même que celle du roman. C’est-à-dire que, très concrètement, l’acte 1, l’acte 2, l’acte 3, l’incident déclencheur ne seront pas les mêmes dans le spectacle et dans le livre. Toute l’architecture est totalement bouleversée. Ce n’est pas la même histoire. Il y a les gestes techniques et il y a le cœur.


Il faut maîtriser la technique. Il faut avoir du cœur. Il faut les deux. Je choisis ce qui résonne en moi. Je me trace un chemin personnel dans l’histoire d’un autre pour faire quelque chose qui me ressemble et qui résonne avec mon thème. Très concrètement, il y a d’abord et avant tout ce travail de scénario. Il est souvent connoté idéologiquement car on l’assimile à des recettes commerciales, ce qui est un tort à mon avis. Le premier des scénaristes est Aristote. C’est le père des scénaristes. Le premier geste est scénaristique, il est technique. Puis j’ajoute mes émotions et mon cœur. L’erreur, dans l’appréciation de ce travail d’adaptation, c’est de croire qu’il s’agit d’abord d’un rapport aux mots. Je ne la juge pas. Il y a des choses magnifiques. En France, on a un rapport aux mots très particulier.
On est presque imbattables sur ce terrain-là. Sur le terrain langagier. Sur le terrain de la langue et du mot. On a de très grands poètes. À mon avis, on a de moins bons scénaristes. La vérité, c’est que, dans mes adaptations, il n’y a pas une phrase qui conserve la syntaxe de l’auteur. Pas une. Je travaille le mot. Je retravaille les mots parce que les mots choisis par l’auteur, ce ne sont pas des mots de théâtre, ce ne sont pas des mots qui ont été écrits pour être entendus.
Ce sont des mots qui ont été écrits pour être lus. C’est le passage de l’écrit à l’oral. Il ne s’agit pas simplement de choisir un langage familier, d’être sur un niveau de familiarité. Chaque auteur a sa langue et il faut préserver un certain niveau de langue. Parce que derrière la langue, c’est le fond qui remonte à la surface. Ce n’est pas juste du style. Le style ne me passionne pas du tout. Derrière le style de Sorj, il y a le bègue qu’a été Sorj. Sorj écrit comme un bègue, il a des émotions de bègue. Il y a des charges d’émotions, des charges émotionnelles derrière les mots. Je commence ma direction d’acteur en choisissant les mots. La plupart du temps, je les adapte au rythme de l’acteur, au rythme physique de l’acteur. Je l’écoute, je l’enregistre et je vais voir comment il construit ses phrases, comment il respire.

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