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Le Soldat et la Ballerine

mise en scène Robert Sandoz

: Entretien avec Robert Sandoz

Propos recueillis par Lucie Madelaine

Le Soldat et la Ballerine raconte l’histoire de deux jouets qui se retrouvent face à des épreuves du monde du dehors. Quelles sont les difficultés qui les menacent ?


Robert Sandoz : Ce monde est menaçant parce qu’il n’est pas le leur. Le conte a cette puissance universelle qu’il peut raconter toutes les histoires à la fois. Ce sont deux jouets, que très vite nous associons dans nos esprits à deux enfants. Pour nous, ils pénètrent, seuls, dans le monde des grands. Ce monde n’est pas invivable en tant que tel, mais les deux jouets n’y sont tout simplement pas préparés. Jamais nous ne pourrons préparer les enfants à entrer dans le monde des adultes. Nous aurons beau leur raconter ce que cela fait, leur témoigner des sensations, des émotions, ils ne pourront pas anticiper ni comprendre, tant qu’ils n’en feront pas l’expérience. Cette histoire raconte les péripéties de deux enfants qui se retrouvent en inadéquation avec un univers, parce qu’ils ne le connaissent pas. Je suis attaché au fait que le spectacle soit une grille de multiples lectures. Certaines scènes nous racontent très vite la situation de deux enfants réfugiés qui, sans passeport, se retrouvent bloqués aux frontières. D’autres viennent aussi nous dire ce que cela fait d’être orphelins, ou de ne pas avoir de soutien de la part de leurs parents, du moins des adultes qui seraient censés les accompagner. Toutes les histoires d’enfants ont leur place dans ce conte. Et également, peut-être, la façon dont nous apprenons à nous relever. Si nous savons tous que nous serons amenés, un jour ou l’autre, à tomber, sans avoir toujours les moyens de nous en empêcher, nous pouvons apprendre à nous relever. Et ces deux jouets découvrent que la vie, même si elle n’a de la saveur que grâce au jeu, au plaisir et à la joie, n’est, de loin, pas seulement composée de cela.


Dans cette pièce de Roland Schimmelpfennig, deux acteurs sur scène doivent prendre en charge l’intégralité des personnages de l’histoire. Comment jouer avec ces contraintes ?


Dans tout jeu, il y a des règles. La contrainte a toujours fait partie de mon travail. Les règles et contraintes sont là pour permettre le jeu. Elles sont aussi là pour nous pousser à inventer. Nous cherchons, intuitivement, à repousser les limites des contraintes, détourner les règles... J’ai toujours eu, au long de mon parcours, la volonté de travailler avec des pièces chorales, avec plusieurs personnages dont les histoires et les narrations s’imbriquent. La prouesse de la pièce de Roland Schimmelpfennig est de proposer que si peu d’acteurs jouent autant de personnages. Cela crée forcément du jeu. Il y a une évidence théâtrale dans son écriture, dans le texte même, comme une réelle confiance en la parole. Les acteurs n’auront parfois que le temps de dire « je suis tel personnage » au public pour le devenir. À mon sens, ce mécanisme théâtral vient provoquer de la joie, chez les acteurs mais aussi chez les spectateurs. Et cette joie, ce plaisir, viennent compenser, ou du moins éclairer, le regard extrêmement noir et dur que Roland Schimmelpfennig porte sur la société, dans chacune de ses pièces d’ailleurs. C’est quelque chose qui lui est caractéristique. Cette joie du plateau était pour moi primordiale pour jouer avec le public. Si je devais discuter avec un enfant avant qu’il n’entre en salle, je lui dirais « Réjouis-toi, ça va secouer ! »


Vous semblez attaché au souhait que le public ne soit jamais tout à fait installé confortablement dans une histoire linéaire et fluide. Quelle est la place du spectateur dans Le Soldat et la Ballerine ?


J’aime l’idée que le public fasse sa part de chemin durant la représentation. La dramaturgie de la pièce crée cela aussi : nous n’avons pas le temps de signifier avec précision chacun des changements de lieux, alors il faut s’associer à la force imaginative du spectateur, et à son enthousiasme de nous suivre dans une histoire. Le Soldat et la Ballerine de Roland Schimmelpfennig est comme un road movie, les personnages ne reviennent jamais dans un endroit qu’ils ont déjà traversé. Il faut donc trouver, sur le plateau, quelques signes qui permettent aux spectateurs de nous suivre, le reste, c’est à eux de le dessiner. Pour cela, les matières m’intéressent énormément : le papier de la ballerine, le plomb du soldat, l’eau des égouts, le ciel... Lorsque j’invente un spectacle pour le jeune public, j’essaie de ne pas proposer le spectacle que j’aurais aimé voir enfant. Car ce spectacle a trente ans de retard. Je crois qu’il faut se méfier de la nostalgie créatrice, celle qui nous pousse à créer quelque chose pour celui ou celle qu’on aurait été. L’enfance d’aujourd’hui vit dans un monde avec ses propres références, sa propre culture, il faut jouer avec celles-ci pour pouvoir créer de l’imaginaire, c’est pour cela que je revendique sur le plateau une esthétique très contemporaine. À cet endroit-là, je ne traite pas le spectateur enfant autrement qu’un spectateur adulte. Si ce n’est peut-être la faculté de l’enfant à accepter beaucoup plus aisément les ruptures de narration et les changements abrupts.


Roland Schimmelpfennig dialogue avec le conte original de Hans Christian Andersen et en réécrit certains points majeurs de la narration. Quel est votre lien avec le texte de Roland Schimmelpfennig ?


Avant de travailler sur cette pièce, le conte de Hans Christian Andersen ne faisait pas partie de mon imaginaire. Les éditions de l’Arche m’ont proposé de mettre en scène pour la seconde fois un texte jeune public de Roland Schimmelpfennig – j’avais alors déjà proposé la mise en scène de son texte Le Dragon d’or. Je me suis donc plongé dans ce conte. Le premier dialogue se trouvait pour moi entre Roland Schimmelpfennig et Andersen. Dans l’histoire originale de ce dernier, le lecteur suit les aventures d’un soldat, qui finit brûlé. Roland Schimmelpfennig, lui, offre une narration, une parole, mais aussi une voix à la ballerine qui n’est plus simplement l’amour perdu du soldat. Elle est bien un personnage à qui il arrive des choses et qui ressent des émotions. J’aime cette idée que ces deux personnages, masculin et féminin, soient traités d’égal à égal dans la structure parallèle de la narration. Celle-ci devient alors un objet de jeu en tant que tel, tant et si bien que le Soldat et la Ballerine peuvent à tout moment modifier la fin du conte, et donc éviter de finir consumés – comme pourtant annoncé dès le début de la pièce ! À toutes les épreuves que propose Hans Christian Andersen dans ce conte, Roland Schimmelpfennig y oppose cet éclat amoureux qui lie les deux personnages et leur permet de tenir, de supporter et surmonter tous ces obstacles. Cette perméabilité des personnages me plaît dans le travail au plateau.


  • Propos recueillis par Lucie Madelaine
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