theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Le Petit Chaperon rouge »

Le Petit Chaperon rouge

Collectif Das Plateau ( Conception ) , Céleste Germe ( Mise en scène )


: Entretien avec Céleste Germe

Propos recueillis par Marion Guilloux

Pourquoi avez-vous préféré la version du Petit Chaperon rouge des frères Grimm à celle de Charles Perrault ?


Céleste Germe : J’ai été saisie, en relisant la version de Charles Perrault, par la pensée culpabilisatrice qu’elle véhiculait à l’égard des jeunes filles. Sous prétexte de visée pédagogique, qui est aussi liée à l’époque de sa rédaction, la morale consiste à prévenir les jeunes filles du danger qu’elles courent si elles parlent à des inconnus ; dans ces circonstances, il semblerait normal qu’elles se fassent manger. Je me suis interrogée sur les fondements de la représentation de cette petite fille, si présente dans notre inconscient collectif, et qui nous apparaît la plupart du temps comme suspecte. Suspecte dans son désir, alors qu’il s’agit d’une enfant, et de ses intentions vis-à-vis du loup. Nous savons tous que la fin de cette version est brutale : la petite fille se fait dévorer et le conte s’arrête là. A contrario, chez les frères Grimm, le Petit Chaperon rouge et la Grand-Mère sont sauvées par un chasseur, qui est une figure positive. Cette première fin réconfortante permet aux enfants de tirer une leçon rassurante de cette expérience du danger. Sauf que, dans cette version, l’histoire ne s’arrête pas là et se répète : le Petit Chaperon rouge est de nouveau envoyé chez sa grand-mère et rencontre une nouvelle fois un loup. Mais cette fois, l’expérience lui permet de fomenter un plan et de mettre en place un véritable guet-apens à l’intention du loup. Nous sommes alors dans une autre perspective morale qui garantit à l’enfant sa liberté grâce à cette alliance intergénérationnelle et féminine. C’est une double fin : une issue que nous pourrions dire « conforme » avec le chasseur qui sauve les deux femmes, et un second récit qui montre une enfant active dans cette expérience. Cela transforme l’histoire en conte initiatique et cette petite fille en héroïne. Dans cette version, elle prend acte du danger, apprend à le reconnaître et à le dépasser en se défendant. Au sein du collectif Das Plateau, c’est donc spécifiquement la version des frères Grimm que nous voulions faire entendre. Nous ne voulions pas procéder à une réécriture, car nous voulions pouvoir formuler cette seconde fin, si peu connue, au plateau, celle qui libère la jeune enfant de la peur. Véritable héroïne, elle ne craint pas de reparcourir son histoire pour s’en saisir.


Nous avons tous des images très fortes de cette histoire. Quel sera votre dispositif scénique pour traduire cette fable si connue ?


Avec la version des frères Grimm, nous sommes de plain-pied dans le romantisme allemand. La matérialité est sensible, la lumière dans la forêt est très présente... C’est très beau. Le lecteur vit une véritable description émotionnelle du paysage traversé. Or le romantisme allemand précède tout juste l’émergence de la psychanalyse. Dans la création, ce dialogue entre les époques m’intéresse et me questionne : qu’est-ce que ce conte nous dit des relations entre l’intériorité et sa mise en récit ? Il se trouve, par ailleurs, que l’une des sources de la version des frères Grimm est, fort étonnamment, celle de Perrault elle-même. Elle semble même la contenir. Ce conte est donc un véritable palimpseste dont les stratifications historiques sont fascinantes et ont beaucoup guidé le travail. D’un point de vue plastique, j’ai souhaité reformuler les recherches qui avaient été initiées avec Bois impériaux et Poings à partir de textes de Pauline Peyrade. L’utilisation des miroirs et des miroirs sans tain nous passionnait. D’un côté, le travail sur le paysage et la toile peinte, sur le reflet et la transparence, et de l’autre, la vidéo qui projette de fait des images. Ces jeux de superposition et de double-fond rendent l’histoire à la fois matériellement présente et un peu magique, entre les deux dimensions des livres d’images et la profondeur infinie des représentations oniriques et psychiques qu’on en a. La question du montré/caché est centrale dans notre proposition visuelle. La fragmentation et la possibilité de faire exister le Petit Chaperon rouge et les autres personnages de manière kaléidoscopique nous permettent de travailler des formes polysémiques. Ces personnages sont des icônes, ils ont une part d’insaisissable. Nous ne les connaîtrons jamais totalement. Nous sommes dans la suggestion de leurs présences et nous laissons le spectateur libre de réinterpréter à son tour les intentions et les caractères de chacun.


Votre travail de recherche est singulier... Comment s’organisent vos temps de création ?


Depuis plusieurs années, nous travaillons avec le scénographe James Brandily autour de la représentation des fantômes et des choses de l’esprit. Typiquement, le dispositif scénique du Petit Chaperon rouge tend vers l’invisible. Ici, nous voyons « au travers » des lieux qui ne se révèlent jamais tout à fait et qui viennent accentuer le mystère du conte. La réflexion sur la scénographie est un préalable au travail dramaturgique, lui-même antérieur à la répétition des acteurs au plateau. Nous savons que cet espace va venir modifier la recherche des uns et des autres. Maëlys Ricordeau, avec qui je mène toute la phase de conceptualisation des projets, voit son jeu de comédienne nourri par ces explorations. Il en est de même pour la musique de Jacob Stambach qui s’inspire de cet espace pour réfléchir à la manière dont le temps va se déplier, basculer dans une singularité sonore propre à un personnage ou aux différents lieux, puis revenir à la narration. Chaque élément se tisse et nous additionnons des strates d’interprétations. C’est une forme d’artisanat. Et si le dispositif scénique peut sembler impressionnant, il relève surtout d’une réflexion technique et non technologique. Les contes tendent un fil entre nous, aujourd’hui, et les temps anciens. Dans cette création, le rapport à l’artisanat théâtral et à ses possibles réinterprétations contemporaines nous a passionné. Nous nous sommes beaucoup inspirés du Pepper’s ghost qui est une vieille technique d’illusion optique inventée dans le théâtre élisabéthain pour refléter quelque chose rendu généralement invisible pour le public. Nous construisons des illusions, des moments de trouble voire de peur, mais nous pouvons les mettre à nue, faire voir les ficelles, simultanément. Les artifices sont démasqués et l’enfant-spectateur reste maître de ce qu’il voit.


  • Propos recueillis par Marion Guilloux
imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.

Loading…
Loading the web debug toolbar…
Attempt #