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Le Malade imaginaire

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Claude Stratz

: Une comédie de la mélancolie

par Claude Stratz

« Quand Molière écrit Le Malade imaginaire, il se sait gravement malade. Sa dernière pièce est une comédie, mais chaque acte se termine par une évocation de la mort. On ne peut s’empêcher de voir derrière le personnage d’Argan (interprété par Molière lui-même à la création) l’auteur mourant, qui joue avec la souffrance et la mort. Le même thème, tragique dans la vie, devient comique sur la scène, et c’est avec son propre malheur que l’auteur choisit de nous faire rire.


Dans un siècle où les écrivains ne parlent pas d’eux-mêmes, Molière nous fait une confidence personnelle: il est si affaibli, nous dit Béralde, «qu’il n’a justement de la force que pour porter son mal». Le vrai malade joue au faux malade. Toute la pièce tourne autour de l’opposition du vrai et du faux: vrai ou faux maître de musique, vrai ou faux médecin, vraie ou fausse maladie,vraie ou fausse mort. Cette dialectique culmine au dernier acte quand, dans une parodie de diagnostic (où le poumon est la cause de tous les maux d’Argan), Molière fait dire à Toinette déguisée en médecin la vérité de son mal: à la quatrième représentation, Molière crache du sang et meurt quelques heures plus tard – du poumon, justement. C’est l’imposture au second degré, l’imposture (de Toinette) pour dénoncer l’imposture (des médecins), qui finalement dit la vérité. C’est du mensonge que surgit la vérité. C’est le mensonge d’Argan (quand il joue au mort) qui révèle la trahison de Béline. C’est en «changeant de batterie», en feignant d’entrer dans les sentiments d’Argan et de Béline, que Toinette aidera Angélique. C’est comme faux maître de musique que Cléante peut s’introduire dans la maison. C’est qu’il faut être hypocrite pour dénoncer les impostures et les mensonges. Mais, plus profondément encore, Molière joue avec la maladie et la mort pour tenter peut-être de les conjurer.


Tout est objet de parodie dans cette pièce. Les choses les plus graves y sont tournées en dérision. C’est son côté carnavalesque. À la fin du 3ème acte, pour justifier l’ultime parodie, celle de l’intronisation d’Argan en médecin, Béralde nous avertit que «le carnaval autorise cela». En organisant ce dernier divertissement, véritable fête des fous, Béralde fait littéralement entrer le carnaval dans cette maison bourgeoise. La pièce a été créée en février 1673, pendant le carnaval justement.


Le Malade imaginaire a suscité les interprétations les plus contradictoires: on a joué Argan malade, on l’a joué resplendissant de santé; on l’a joué tyrannique, on l’a joué victime; on l’a joué comique, on l’a joué dramatique. C’est que tout cela y est, non pas simultanément mais successivement. Molière propose une formidable partition, toute en ruptures, toute en contradictions où le comique et le tragique sont étroitement imbriqués l’un dans l’autre, où ils sont l’envers l’un de l’autre. Derrière la grande comédie qui a intégré certains schémas de la farce, on découvre l’inquiétude, l’égoïsme, la méchanceté, la cruauté.


Comédie paradoxale? Dans cette pièce rien n’est tout à fait dans l’ordre des choses. L’unité de temps, par exemple, y est respectée et pourtant discrètement subvertie: le premier acte commence en fin d’après-midi et se termine à la nuit tombante, les deux actes suivants se déroulant le matin et l’après-midi du lendemain. La dernière pièce de Molière commence donc dans les teintes d’une journée finissante; c’est une comédie crépusculaire, teintée d’amertume et de mélancolie. »


Claude Stratz

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