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La Ménagerie de verre

+ d'infos sur le texte de Tennessee Williams traduit par Isabelle Famchon
mise en scène Ivo Van Hove

: Entretien avec Ivan van Hove (2/2)

Propos recueillis par Daniel Loayza

Le mot « cercueil », coffin, fait partie de l’identité du père de l’auteur : son nom complet était Cornelius Coffin Williams...


Ah ! Je ne le savais pas.


Vous avez travaillé à partir de l’édition du Centenaire (2011) publiée chez New Directions, qui contient une importante préface de Tony Kushner. Que retenez-vous de son commentaire sur la pièce ?


Toute son introduction est passionnante, très personnelle. Ce qui m’a le plus intéressé, c’est peut-être une remarque qu’il fait vers la fin, quand il compare La Ménagerie avec Portrait of a Girl in Glass, une nouvelle d’une dizaine de pages que Williams a écrite avant de traiter la même histoire sous forme dramatique. Kushner relève que Laura, dans la nouvelle, prononce une réplique qui disparaît dans la pièce. Cette réplique permet de supposer que si Tom a invité Jim, ce n’est pas pour sa sœur mais pour lui-même, parce qu’il est secrètement amoureux de lui, peut-être sans s’en douter.


Amanda dit à son fils qu’elle ne croit pas qu’il aille au cinéma tous les soirs, comme il le prétend. Qu’est-ce qu’elle sait ?


Il faut respecter les non-dits de la pièce. Il semble clair que Tom a une vie secrète. Il ne peut pas en parler. À un moment, il a une vraie conversation avec sa sœur – c’est là qu’il peut vraiment s’ouvrir, qu’il lui parle de Malvolio et du cercueil. Je suis convaincu qu’il va au cinéma – mais aussi qu’il rencontre des hommes. Le mot « aventure » revient tout le temps dans sa bouche. Et à la fin, quand il parle des compagnons qu’il trouve après avoir marché dans la rue, la nuit, dans une ville étrangère, l’indication paraît évidente. Aujourd’hui, je crois qu’il faut être aveugle pour ne pas le voir, mais en ce temps-là, il était impossible d’en parler.


Tony Kushner parle aussi de la « force de la fragilité » inhérente à ces personnages.


Cet aspect-là m’avait frappé avant même de lire ces mots dans sa préface. Ces sont des êtres qui n’ont pas eu de réussite ou de succès, comme Jim qui a été une idole et qui échoue six ans après dans une fabrique de chaussures. Tennessee Williams nous parle de ce monde-là, pas de celui des vainqueurs. Ses personnages sont d’autant plus attachants qu’ils sont vulnérables. Quand ils sont mis en scène, on profite trop souvent de leur faiblesse pour les rendre ridicules. Amanda, par exemple, devient une figure un peu grotesque. Dans mes conversations avec Isabelle, je lui ai toujours parlé d’Amanda comme d’une femme qui a une résilience énorme. Elle se relève toujours, même après le KO. Elle est un phénix qui renaît de ses cendres. Il y a une scène, vers le milieu de la pièce, où elle dit à Tom qu’elle sait bien que la situation devient de plus en plus difficile pour lui à la maison : tu veux t’échapper, soit, très bien, d’accord – mais d’abord tu dois trouver un mari pour Laura, quelqu’un qui va gagner de l’argent à ta place. C’est une négociation franche, de haut niveau !... Amanda lutte pour assurer à ses enfants une vie meilleure que celle qu’ils ont. Elle sait que ça va être dur, mais elle refuse de perdre espoir. Même quand elle est dans le déni, ce n’est pas un déni stupide ou naïf, mais un refus de concéder quoi que ce soit, une volonté acharnée de croire en la vie.


Une dénégation combative ?


C’est cela. Parce qu’il faut savoir que les Wingfield ne sont pas seulement faibles et fragiles : ils sont aussi pauvres. Leurs seules ressources sont le salaire de Tom et ce qu’Amanda essaie de gagner en plaçant des abonnements de magazines, sans beaucoup de succès. C’est une mère qui se bat, qui essaie d’inventer des moyens d’améliorer la situation familiale. Sa lutte est héroïque. Voilà comment je la vois.


Donc, c’est une pièce plus mélancolique que nostalgique ?


Les personnages comme Amanda ou Jim sont porteurs d’un passé idéalisé : le Sud, les belles années du lycée. Mais pour Amanda, le Sud, justement, ce n’est pas que le passé. C’est un ticket pour la réussite dans l’avenir. Le Sud, c’est toute une culture, un ensemble de valeurs, de comportements – la civilisation. C’est ce qui permettra de survivre dans un monde cruel : une inspiration, une source d’énergie à employer. Jim aussi a de l’ambition. Il poursuit une formation en s’inscrivant à des cours du soir. Comme il le dit à la fin : le savoir, l’argent, le pouvoir, c’est sur ce cycle-là qu’est bâtie la démocratie ! C’est le fameux American dream. Mais en même temps, on sent bien qu’il y a autre chose. Williams nous laisse entrevoir que c’est comme si son pays, dans ces années de crise, était à un carrefour. Comme s’il y avait d’un côté la voie de Jim, et de l’autre, une possibilité différente, artistique, sensible. Une possibilité silencieuse, mal définie, une autre façon d’être. Celle de Laura, peut-être, ou celle qui s’ouvrirait si la rencontre entre eux pouvait se faire. Mais cette voie de Laura n’est pas vraiment de celles qu’on puisse suivre – pas en ce monde. Ce carrefour n’est peut-être qu’un mirage, une illusion rétrospective. Davantage un rêve dans la mémoire de Tom, un rêve qu’il nous raconte. Quelque chose qui est confié à la garde du poète.


Où en êtes-vous avec les acteurs ?


Nous avons fini la première semaine de travail ensemble. Nous avons traversé trois scènes, c’était fantastique. J’ai découvert Nahuel pendant un vol Air France en voyant 120 battements par minute, mais je ne le connaissais pas encore comme acteur de théâtre. Avec lui, ça s’est noué immédiatement, comme avec Justine et Cyril. Avec Isabelle, c’est une autre histoire... une histoire qui remonte à loin ! On se connaît depuis une dizaine d’années. On s’est souvent vus à New York, parce que nous sommes tous les deux amoureux de cette ville. Quand je lui ai proposé de jouer Amanda, elle a tout de suite accepté. Ce que j’apprécie particulièrement chez elle, c’est son refus du sentimentalisme dans cette pièce – elle me comprend tout de suite quand je lui en parle, quand je lui décris ce phénix qui renaît de ses cendres... C’est beau. Et sur le plan technique, c’est évidemment d’un très haut niveau. Elle peut changer de registre, passer d’une émotion à l’autre comme ça, en une fraction de seconde, et pourtant c’est toujours organique, jamais artificiel. Jamais. – Et elle a de l’humour ! C’est important. Un humour très sec. Exactement ce qu’il faut dans une pièce comme celle-ci.
  • Paris, 14 février 2020
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