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茶馆 - La Maison de thé

+ d'infos sur l'adaptation de Jinghui Meng ,
mise en scène Jinghui Meng

: Entretien avec Men Jinghuien

Propos recueillis par Malika Baaziz

Pour cette adaptation du grand classique de Lao She La Maison de thé, vous vous êtes associé au dramaturge allemand Sebastian Kaiser et avez choisi des acteurs chinois qui sont aussi, pour certains, metteurs en scène ou réalisateurs.

Comment le travail s’est-il mis en place avec cette équipe singulière ?


Meng Jinghui  : Nous nous sommes d’abord tous réunis, sans parler de la pièce. Nous avons seulement partagé des sujets d’actualité, des informations d’ordre social, discuté l’idée d’esprit de groupe. Nous avons évoqué les inquiétudes personnelles de chacun et les préoccupations quotidiennes et matérielles que nous rencontrons. Après cela, nous avons commencé à lire la pièce, à la couper et à la réorganiser, abandonnant certaines choses qui ne nous parlaient pas.
Simultanément, nous appuyant sur l’intervention de la musique, de la danse ou d’installations contemporaines, nous avons improvisé et développé une structure dramatique fragmentée, désordonnée et même hors de contrôle. Nous avons combiné les performances débridées des acteurs pour exprimer notre propos, en utilisant aussi des méthodes concrètes pour corroborer le sens de certaines scènes. Les dix jours qui ont précédé la première ont été très importants et excitants. Chaque jour comportait son lot de réussites et d’échecs. Mes artistes et acteurs sont habitués à cette façon de créer.Vous avez voulu transposer la pièce écrite en 1956.


Qu’avez-vous souhaité mettre en lumière de la langue utilisée par Lao She, une langue populaire, en apparence simple et familière qu’il travaillait beaucoup ?


J’ai adopté un style expressionniste contrasté, combinant au plateau un visuel non réaliste et un effet d’improvisation spontanée. J’espère ainsi donner un cadre aux dialogues à la fois tranchants et poétiques, et rendre compte du clivage entre corps et esprit.
La langue de Lao She est nette, fluide, naturelle et sans fioritures, mais le plus important est qu’elle est traversée par une force humoristique sans cesse entretenue. Les premiers travaux de Lao She étaient même riches en émotions poétiques.
En répétition avec les comédiens, j’ai découvert que l’on pouvait ajouter d’autres textes dans le spectacle, pour créer un effet de montage et rendre le langage simple et raffiné de l’auteur encore plus complexe et profond. Sur scène, je veux non seulement que le public voie les acteurs sous les lumières, mais j’aimerais qu’il voie aussi la myriade d’ombres, nettes et vagues, qu’ils projettent. L’ombre est obscure, mais je la trouve belle. Nous pouvons utiliser l’humour pour pénétrer dans les ténèbres, introduire le comique dans le tragique, remplacer le cruel par l’absurdité et soupirer face au temps qui passe.


La Maison de thé est une galerie foisonnante de personnages où tous les caractères humains sont représentés ou presque. Le découpage en trois époques décrit la réalité et les bouleversements de la société chinoise. Quels sont les personnages qui vous ont le plus intéressé et comment les avez-vous intégrés à cette chronologie ?


Wang Lifa, le Quatrième Aîné Chang et Qin Zhongyi sont trois rôles qui représentent la mentalité complexe de la société chinoise. Ils sont à la fois particuliers et universels. La vie qui s’écoule ne cesse de les faire paraître minuscules face au poids de l’Histoire. Ils finissent leur vie dans la faim et la folie, la révolution et les rêves, la lutte et le compromis, le mépris et l’espoir.
La vie est une roue qui ne cesse de tourner. Le temps, l’amour et la colère sont empêtrés dans le tumulte et le silence des humains. Notre scénographe, Zhang Wu, m’a dit un jour : un cercle n’a ni point de départ ni fin. Il en va de même pour le temps et pour les hommes. La roue tournant vers l’avant et celle tournant dans le sens inverse semblent effectivement symboliser le progrès, mais aussi les forces réactionnaires qui sont à l’œuvre en l’homme.
Dans ma mise en scène de La Maison de thé, les personnages sur scène ne changent pas du début à la fin. Leur caractère, leur impulsivité, leur pensée, leur confusion, leur indulgence et leur espoir ne se modifient pas. Trois époques, trois tourbillons et trois possibilités sont répartis sur scène selon une coupe transversale. J’en suis petit à petit venu à croire que tout ce qui se passe dans la maison de thé est un rêve. Et le rêve est la seule réalité, c’est-à-dire une réalité authentique et désinhibée.


Vous faites résonner le texte de Lao She avec ceux, entre autres, de Fiodor Dostoïevski ou Bertolt Brecht, des auteurs qui cheminaient aussi sur les thèmes de la condition humaine et du libre arbitre. Est-ce pour vous une manière de parler des problèmes politiques et sociétaux chinois ou une réflexion plus large sur nos sociétés et sur la condition humaine ? Pensez-vous que le théâtre a une responsabilité sociale ?


Durant ma jeunesse, c’est-à-dire dans les années 1980, la culture chinoise a été influencée de façon directe, globale et profonde par la culture et l’art occidentaux. L’éducation que nous avons reçue était la suivante : « Avoir le cœur tourné vers la patrie et le regard rivé sur le monde ». Les créateurs de théâtre de notre génération aspirent à représenter dans leurs œuvres une forme d’humanisme, un esprit héroïque de liberté et d’idéalisme romantique. Je pense que ce que les artistes parviennent à exprimer en propre, c’est l’entrechoc de sentiments antagonistes qui se situent au-delà de la réalité, au-delà de tout espace ou temps donnés.
Le théâtre ne peut pas changer la société, mais il peut changer les gens. Je travaille également avec des références contemporaines et d’autres domaines artistiques, comme ici avec le groupe rock et électro Nova Heart. J’aime cette sensation d’une musique libérée et brutale sur scène. En un sens, la musique live est nécessaire. Nova Heart est un groupe jeune, dynamique et communicatif ; j’en ai besoin. J’envisage la musique non comme l’enveloppe extérieure de la scène, mais comme l’un de ses organes propres.


Propos recueillis par Malika Baaziz et traduits du chinois par Lin Hsiao-Yin, Lucie Morel, Wang Jing

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