theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « L'île d’Or (Kanemu-jima) »

L'île d’Or (Kanemu-jima)

Ariane Mnouchkine ( Direction artistique )


: Vite, une île !

par Hélène Cixous

Comme on était malade, hier, vous vous souvenez - de la bêtise, de la médiocrité, comme on était mondialement malade, de la lâcheté, de l’empoisonnement de la vérité, des minables trafiquants des consciences et des sciences, de la complicité des pouvoirs avec toutes les forces de destruction, du délabrement volontaire de la langue, de la chute vertigineuse des lumières dans l’entonnoir des ténèbres !


Alors, en l’an 2000-et-quelque-20-ou-100, nous nous éloignâmes des capitales et donc de la peste et des dix fléaux, et nous fîmes si bien que le lendemain nous arrivâmes à l’Ile d’Or.
On aborde et la pièce commence.


En cas de malheurs, qu’on nous donne une île et sans tarder nous créerons un nouveau monde. Aussitôt, de tous les coins de l’Univers, accourent les compagnies des rescapés par l’imagination, venues de bien des pays endommagés. On reconnaît les partisans de l’idée de Bonheur et de l’amour de la Liberté : les agents de la Vie et ses victoires, les poètes et les enfants du Théâtre, c’est-à-dire du triomphe de la Vérité.


Ceci n’est pas une fable.
L’Ile d’Or existe-t-elle en réalité ? Où se trouve-t-elle ? Cette fois-ci elle se trouve dans les eaux du Japon. Oui, elle existe. Ce n’est pas la première fois. Elle a déjà existé (et elle existera encore) plus d’une fois dans la longue chronique de nos Astres et Désastres. Chaque fois que le monde est tout près de s’autodétruire, maints joyeux défenseurs de l’honneur de l’espoir, pas fous du tout, se démènent pour trouver l’arche ou le vaisseau. On va à l’Ile, ça a l’air d’un exil, c’est un refuge et un recommencement.
Vous vous souvenez d’Utopia, naturellement. Une île presqu’incroyable : répondant à un Roi tyran violent, cruel - et réel - qui secouait la planète et décapitait comme argument, le courageux lettré Thomas More vint faire la découverte de cette île promise. Et déjà, dans les années 1530, c’était la culture du cœur contre les Pouvoirs Brutaux, assassins de l’esprit.
Un brouillard sanglant répandu dans la ville ?
Vite ! une île. Et tout ce qu’il faut pour faire paradis, égalité entre les sexes, culture des arts, création d’une langue, l’utopienne, délivrée des sons rauques des vulgarités dites « modernes ». A ce propos que parlerons-nous sur notre île ? Sans aucun doute le mélodieux Aureus (or en latin) du théâtre.


En vérité le Théâtre est toujours une île. Mais cela ne se voit pas toujours au premier regard, surtout lorsque le Théâtre, Globe, Nef, Cartoucherie, est ancré sur le sol d’un continent. Mais cela se sent et se soupçonne. Et un jour, sous une Tempête Politique, le Théâtre d’Or rompt les chaînes et les amarres et gagne le dehors.


Elle s’appelle vraiment l’Ile d’Or. Mais qu’est-ce que l’or ? Pour nos personnages défenseurs du Bonheur, ce n’est pas l’or des mines et des banques c’est l’or de l’hospitalité, l’or innocent, hors coffre, l’or des banquets de l’amitié, le bon or qui va permettre la Fête de la Guérison à venir, de l’intelligence ranimée.


Ah ! Certains d’entre nous avaient pu croire que l’Ile d’Or dort ? Ça lui arrive. Mais l’île du Théâtre ne dort que d’un œil et pour bien rêver. D’un œil elle est toujours réveillée. D’une oreille, toujours vigilante : pas folle, pas innocente notre île est sur le qui-vive. Qui dort veille, nuit et jour, sur les préparatifs du Festival.


Le Festival, c’est la Cérémonie des Moments de Vie. Des quatre coins du pauvre monde nous ne sommes pas venus à l’île pour oublier mais pour célébrer, relever. Nous sommes venus mettre nos nombreuses et diverses colères en musiques, les jouer, les transformer et les faire entendre.


Pas pour fuir le Virus et ses co-virus, mais, bravant ses bombes, à la lumière de ses explosions, tenter d’éclairer le chaos du monde et d’illuminer les nids et les coins de bonheur et de promesse.


Le Festival ?! Rien qu’à ce mot, les gens de Bêtise et de Guerres se mobilisent. Le bonheur ? Quelle horreur !
Le Festival ? Non ! Pas de festival ! Tout sauf le théâtre, c’est-à-dire les voies de la liberté, et pas cotées en bourse.


- Un Festival de Théâtre ? râlent les démons spéculateurs. Et vous croyez que nos suppôts vont vous laisser survoler l’abîme, rire, jouer, jouir, cesser de souffrir, laisser la Vie gagner ? Un Festival ? Jamais. Au diable les acteurs ! A nous les actions ! Vous nous faites ricaner !
- Le Festival aura bien lieu, bande de jaloux !


- C’est ce que nous allons voir !
Comment cela finira-t-il ? Cela finira-t-il jamais ?


  • Hélène Cixous 11 mars 2021
imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.

Loading…
Loading the web debug toolbar…
Attempt #