: Entretien
Jos Houben – Propos recueillis par Pierre Notte
Air sérieux, presque grave, c’est du rire qu’il va parler. De tous les rires, ceux qui jaillissent aux pires moments, face aux chutes des uns, devant les désastres des autres. Les rires clairs, francs, massifs. Les rires faux, cyniques ou moqueurs. Sous toutes ses formes, chargé de sens ou décharge insensée, le rire devient un objet de découvertes hilarantes. Le conférencier s’empare des gestes du quotidien, stimuli de rires dingues ou pincés. Show ou performance, L’Art du rire s’impose comme une expérience unique dont le sujet décortiqué se propage, se provoque lui-même. Tous les rires, sourires et éclats, finissent par fuser dans la salle face au clown qui joue la plus fantaisiste et rigoureuse des master class. Comme de tout on fait théâtre, Jos Houben fait rire de tout. Il déconstruit et bricole les mécanismes du rire.
Rire de quoi et rire comment
Le rire, comme émotion en soi, n’est pas intéressant. La question c’est : qui rit, quand et comment ? Je
n’explique rien, je constate. Je m’appuie sur des observations simples du quotidien. Je pars du corps, je reste
fasciné par sa verticalité. J’ai un enfant de onze mois. Quand il a fait ses premiers pas, nous lui avons fait une
fête, nous l’avons applaudi, acclamé, comme s’il passait de l’état animal rampant au statut d’être humain. Il
était debout, et soudain quelqu’un ! J’aime débusquer les évidences cachées. Je regarde les gens dans les yeux ;
je veux toucher tous les sens, visuels, le contact avec le sol, par la chute du corps, la musique des mots, des noms.
C’est une « rééducation » des émotions. On va découvrir comment et qui rit, sachant que le rire peut rire de
lui-même : il est anarchique. On ne peut pas le contrôler, c’est quand il est interdit qu’il est le plus présent. Il
peut jaillir aux funérailles, il est présent dans le soulagement comme dans la joie, il peut être froid, méchant.
Il est amoral. Il est partout où est l’humain. Si on explique le rire, on tend à expliquer l’humain. Comment le
rire est-il incarné ? Le rire est une révélation : la reine peut trébucher, et cela nous soulage. J’évite les grands
essais théoriques sur le rire. Je livre des constats et je donne des exemples concrets, basés sur une expérience
concrète. Le vrai sujet du rire, c’est le corps des choses. Car tout bouge et drôlement. Tout est corps. Pourquoi
est-ce que la tour de Pise nous attendrit, nous fait sourire, alors que la Tour Eiffel nous impressionne ? Parce
que ce qui penche, ce qui hésite et boite nous touche et nous fait rire. Il y a un équilibre à trouver entre ce qui
est immuable et rigide, et l’incertitude permanente. Nous avons besoin des deux, de la gravité et du flottement,
qu’il s’agisse de politique, de religion, de famille ou d’art.
Spectacle, one man show ou master class ?
En réalité, ce spectacle n’a jamais eu l’intention d’en être un. Il l’est devenu au fil des réactions que j’ai
rencontrées lors des différents cours, classes ou master class que j’ai pu donner un peu partout dans le monde.
Mes observations sur le corps, le mouvement, les constats et leur transmission ont suscité des réactions
diverses. Je suis devenu auprès de quelques compagnies anglaises un ingénieur du rire ; je devais construire
une machine qui fonctionne. Je rencontrais des géants du music-hall qui me montraient leurs sketchs et leur
fonctionnement mécanique ; j’apprenais la science du rire. Pour eux, la machine est infaillible. Et si cela ne
marche pas, ils analysent, étudient, réparent. Cet aspect de l’étude du rire est vertigineux, passionnant. J’ai
voulu mettre en oeuvre des mises en abîme, déconstruire, étudier, comme je l’ai fait avec Georges Aperghis, le
procédé du contrepoint musical, le phénomène du rire. J’ai enseigné pendant près de dix ans le mouvement,
le théâtre gestuel et burlesque. Je donnais des cours en Israël, en Thaïlande. De plus en plus, on me demandait
d’assister aux cours. Je refusais d’abord, puis j’acceptais qu’un public prenne la place des élèves ; et les cours
sont devenus des spectacles, des conférences, des performances. La première partition de L’Art du rire est née
ainsi en 1998. Le spectacle prend le temps du cours, entre cinquante minutes et une heure. Les architectes le
trouvent très construit, les musiciens me disent qu’ils ont entendu une partition, les gens qui ont besoin d’être
touchés me disent que tout est très touchant. J’ai seulement ouvert une porte, chacun fait son propre voyage.
Beckett, Brook, Aperghis, et autres rires d’influences
Beckett, Brook et Aperghis ont tous les trois un humour formidable. Aperghis est un homme très drôle, Beckett
adorait raconter des blagues, et Brook s’émerveille de tout, sans arrière-pensée. Il observe deux vieilles qui
se disputent sur un trottoir et demande à ses acteurs de retrouver leur fraîcheur et leur vitalité, l’étincelle de
la vie. Je ris quand je lis le livre de Sarah Palin, où elle explique que Dieu n’a pas souhaité que nous soyons
végétarien, puisque qu’il a fait en sorte que les animaux soient faits de viande. Quel génie dans la stupidité ! Je
ris devant les films de Billy Wilder, devant Gary Grant et Katherine Hepburn dans L’Impossible monsieur Bébé, et
toute la comédie américaine. Mon enfant de onze mois hurle de rire quand je mets quelque chose sur ma tête.
Pourquoi ? Le rire survient toujours à la marge des autres émotions, en frôlement. Quelqu’un qui est fâché ne
peut pas rire. Mais quelqu’un qui est dans le doute, quelque part entre la peur, la tristesse ou la colère, peut
rire. C’est un soulagement, une charge émotionnelle ou une décharge. On rit après une tension trop grande.
Le rire a besoin d’une distance. Là où les humains se rassemblent, le rire est présent. On vit, on se trouve, on
se rencontre à travers le rire. Le rire permet ce que la politesse ou les formalités ne permettent pas. Le rire est
présent dans tout, sauf parfois chez les comiques.
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